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Mohcine Belabbas : « Le silence du Gouvernement est inquiétant »

10-06-2017 09:55  N. S

Législatives, installation de l’APN avec le rôle des députés RCD, formation du gouvernement, relance du dialogue  au sein de  l’opposition et enfin les perspéctives politiques du pays dans un contexte de crise multidimensionnelle…. Autant de questions abordées dans cet entretien avec Algérie1, sans langue de bois, par le patron du RCD qui, en jusqu’auboutiste de l’optimisme, croit possible l’existence de solutions. Surtout pour les problèmes politiques.   

Dans le communiqué de la réunion de votre Conseil national vous aviez réagi à la formation du nouveau gouvernement, est ce que vous pensez que le casting est à la hauteur de cette conjoncture ?

Loin de moi de porter des jugements sur les individus, les personnes qui composent ce gouvernement. Ce qui est important à relever, en revanche, c’est qu’il n’y a pas de nouveauté. La plupart des ministres ont été membres de l’exécutif avant ce remaniement. Les nouveaux arrivants sont issus du corps des walis.

A chaque fois qu’il y a un remaniement, on ne focalise pas sur la composante, nous, on s’intéresse plutôt aux annonces en terme de programme, en terme de projection d’action. Nous avons vu que depuis que la composante de ce nouveau gouvernement est connue aucune annonce sérieuse n’a été faite que ce soit par le premier ministre lui-même ou par les autres ministres.

Ce silence est inquiétant, d’autant plus qu’il dure depuis près d’un mois. On nous parle d’un plan d’action du programme du chef de l’Etat qui sera déposé au bureau de l’Assemblée le 18 de ce mois.

Dans tous les cas, nous allons voir le 18 juin s’il y a un message important autre que celui rapporté par la presse sur la reconversion de l’économie. Ce qui est de notre point de vue, un slogan.

L’idée d’un gouvernement d’union nationale a été quelque chose de réccurent dans le discours politique ces derniers temps.  Mais on constate que la composante de l’équipe Tebboune   en est très loin. Qu’est ce qui empêche, selon vous, la formation d’un tel gouvernement d’autant plus que la situation politique et économique l’exige ? 

Moi, je ne pense pas que la solution soit dans la constitution d’un gouvernement d’union nationale surtout après une élection législative.

Dans tous les pays du monde, quand on veut aller vers la constitution d’un gouvernement d’union nationale, le pouvoir exécutif doit discuter avec l’opposition. Chose qu’il refuse chez nous depuis 2014. Ce n’est qu’à travers des négociations sérieuses entre l’exécutif et l’opposition qu’on peut éventuellement envisager la constitution d’un gouvernement d’union nationale.

Mais à partir du moment où le gouvernement a refusé tout dialogue avec l’opposition, à partir du moment où il s’est entêté depuis 2015 à aller en solo à la révision de la constitution, à organiser une élection législative avec la volonté manifeste d’exclure l’opposition, notamment à travers la nouvelle loi électorale qu’il avait fait adopter avec son ancienne APN constituée pour l’essentiel de députés issus de la fraude électorale de 2012, comment est-il possible  de parler de gouvernement d’union. 

De mon point de vue, si les législatives étaient réellement l’émanation d’une élection libre, le pouvoir devait composer un gouvernement essentiellement composé de deux formations politiques, le FLN et RND. Il n’avait pas besoin d’aller chercher des alliances avec d’autres partis politiques de l’opposition, notamment les islamistes.

Il est vrai que ce courant avait effectivement envoyé durant la campagne électorale des messages au pouvoir pour faire croire à sa disponibilité à participer à un gouvernement d’union nationale.

Le fait que le pouvoir a eu recours à cette opposition islamiste, est une manière de reconnaitre de facto que les élections n’étaient pas libres. Il y   a bien eu un trafic. En principe, le parti qui a la majorité constitue le gouvernement tout seul.  C’est la règle en démocratie.

Si vous permettez, on va faire un petit retour en arrière sur les législatives. Au lendemain des résultats, vous aviez fait une déclaration un peu surprenante pour vous féliciter des 9 sièges obtenus par votre parti. Mais vous conviendriez bien que le poids politique du RCD dépasse les neuf députés ?

C’est important qu’on évalue les résultats d’un parti par rapport aux objectifs qu’il s’est fixés.  Durant l’année 2016, vous savez tous que le RCD avait préconisé un boycott collectif. Jusqu’au mois de juillet, il était encore sur l’idée de la construction d’un consensus autour d’un boycott collectif de l’opposition, parce qu’il était convaincu que seule une telle démarche   pouvait peser dans une conjoncture comme celle que nous vivons pour contraindre le pouvoir à s’asseoir à la table des négociations. Des négociations pour faire aboutir les projections et les objectifs contenus dans la plate-forme politique de Mazafran et pourquoi pas un gouvernement d’union nationale.

Mais   après avoir constaté qu’il était impossible de construire ce consensus autour d’un boycott collectif, le RCD s’est   trouvé contraint de participer à cette élection. Dès le départ, l’idée était d’exploiter la campagne électorale, en tenant compte de l’expérience du boycott de 2102.

Nous avions vu que lorsqu’un parti politique boycotte il n’a pas l’autorisation pour exploiter les salles pour les meetings et les conférences –débats, pour aller à la rencontre des citoyens.  C’est ce que nous avons pu faire à l’occasion de cette campagne électorale. Pas moins de 700 rencontres de proximités ont été organisées dans les wilayas où nous avons participé. A l’occasion de ces rencontres nous avons montré aux algériens qu’il existe des solutions aux problèmes que vit la nation. Nous avons consigné ces solutions dans un programme décliné au cours de cette campagne.

Vous n’avez pas répondu à ma question ; neuf députés, ce n’est assez pour former au moins un groupe parlementaire.  

Du moment que l’objectif principal était la campagne électorale, la rencontre avec les citoyens pour passer les messages, peu importe le résultat. Nous étions les seuls à dire que les élections seraient marquées par une abstention record, car, comme nous l’avons expliqué, le pouvoir avait délibérément opté pour la stratégie de démobilisation. Ce pouvoir semait le désespoir chez le citoyen pour le pousser à ne pas voter, sachant que plus l’abstention est importante, plus il est facile de traficoter les résultats.

A aucun moment nous n’avons vu sur les chaines de télévision publiques un débat contradictoire auquel participaient les partis de l’opposition. Ce qui a poussé les citoyens à se désintéresser de cette élection. Nous étions aussi les seuls à dire qu’il y avait un sérieux problème avec les votes des corps constitués dont les voix sont systématiquement versées  aux partis du pouvoir.  Donc pour revenir à votre question, je dirais que 9 députés est un très bon résultat pour un parti qui a présenté 11 listes dans une conjoncture où la fraude était immense et l’abstention avec des chiffres records, notamment au niveau de nos fiefs électoraux.

Parlons de l’APN : avec neuf députés, allez-vous vous contenter juste de la fonction tribune pour passer votre message, où vous comptez travailler en collaboration avec d’autres partis de l’opposition pour faire avancer les idées que vous aviez développé pendant la campagne ?    

Il faudrait d’abord que les journalistes expliquent à l’opinion, c’est quoi un groupe parlementaire dans une assemblée nationale, c’est quoi son utilité, on gagne quoi ?  En réalité on ne gagne rien, sauf à avoir un salaire plus important pour le président du groupe et accéder éventuellement à des postes de responsabilité au niveau du bureau de l’APN comme les vice-présidents, les présidents de commissions. Surtout si on a un groupe important. C’est la seule différence. Mais rassurez-vous, un député à lui seul peut faire la différence.

Pourquoi il y a des députés non affiliés ? Avec neuf députés, on peut faire beaucoup de choses. Si on devait regarder le bilan des députés depuis l’installation de cette nouvelle assemblée le 23 mai, on peut aisément constater que le bilan des députés du RCD est plus intéressant que toutes les autres formations politiques.

D’abord nous avons participé à l’élection du président de l’APN avec notre candidat et nous avons gagné une voix en plus.

Nous sommes aussi le seul groupe de députés à ne pas valider les résultats de cette élection à l’occasion de la cérémonie d’installation. A chaque fois qu’il y a une installation, on nous présente un rapport d’une soi-disant commission de validation des mandats.

Les mandats des députés ont été validés dans l’illégalité, puisqu’il y avait des ministres qui étaient encore en poste. Ils n’avaient pas démissionné, ils n’étaient pas démis non plus.

Ils avaient des intérimaires, cela veut dire qu’ils étaient toujours dans l’exécutif et en même temps députés. Ce n’est pas normal, c’est contraire au principe de séparation des pouvoirs. On ne pouvait pas valider, il y avait une violation de la loi avec   la caution  des autres députés.

L’APN a confondu entre validations des mandats et validation des élections. Les résultats étaient lus en plénière tels qu’ils étaient proclamés par le Conseil constitutionnel et adoptés par l’ensemble des députés, y compris même par les députés de l’opposition qui avaient crié à la fraude électorale ! On était les seuls à relever cette contradiction et à voter contre.

Autre chose : nous sommes les seuls députés à avoir deux projets qui sont déjà prêts.  Le premier porte sur la limitation de l’immunité parlementaire. Le document est prêt dans les deux langues en arabe et en français. Il y a aussi le document pour la mise en place d’une commission d’enquête sur la gestion du Club des Pins. Nous avons déjà réussi à imposer ce débat dans l’immédiat.

Nous allons collecter des signatures pour ces projets, si on réussit tant mieux pour nous et pour la crédibilité de l’institution, si on ne réussit pas, les citoyens constateront que le problème n’est pas au niveau de notre parti. Il est chez les autres députés qui auront refusé de revoir la loi sur l’immunité parlementaire, alors que dans la société cela fait des années qu’on en parle.

Ce n’est pas normal en 2017 qu’un député qui est coupable d’un assassinat avec des preuves ne réponde pas de son acte devant la Justice.

Je rajoute autre chose à l’actif des nouveaux députés du RCD, ils ont participé à des actions de terrain, puisqu’ils ont accompagné les syndicats dans leurs protestations et revendications socio-professionnelles durant ces deux dernières semaines. En terme debilan, nous sommes déjà dans le positif, contrairement à d’autres députés qui sont silencieux depuis l’installation de l’Assemblée.

On se projette un peu dans l’avenir après ces élections, est-ce que on peut envisager de nouveau un travail collaboratif des partis d’opposition, voire par exemple relancer la CNLTD pour préparer les futures échéances ?

L’idée de relancer les initiatives qui ont existé depuis 2014 fait actuellement débat.

Au niveau du RCD, nous réfléchissons depuis un moment à relancer des contacts avec un certain nombre d’acteurs politiques.

Demain (Jeudi NDLR), je reçois dans mon bureau monsieur Ahmed Benbitour, ancien premier ministre. Mais encore une fois, le plus important reste les actions que nous construisons et menons sur le terrain.

Je suis à ma troisième rencontre depuis le début du mois de Ramadhan. J’ai entamé une série de conférences –débats dans les wilayas de Tizi-Ouzou, Béjaia, Bouira. Nous faisons en sorte d’associer les acteurs de la société civile, des faiseurs d’opinion et même, les citoyens qui ne sont pas structurés au RCD à ses initiatives.

Le débat porte essentiellement sur les projections d’avenir. Aujourd’hui c’est tout le monde qui a pris conscience qu’il y a un réel danger qui guette l’Algérie, surtout du fait de la crise financière mais aussi du risque au niveau des frontières. Les citoyens sont inquiets de voir que les acteurs de l’opposition tardent à relancer des initiatives consensuelles.

Maintenant que les législatives sont derrière nous, quelle est la prochaine étape dans l’agenda politique ? Plus généralement comment voyez-vous l’avenir de l’Algérie, à l’aune de tous ces défis politiques, économiques, géostratégiques ? 

Moi, je suis de nature optimiste. Je suis de ceux qui considèrent qu’il y'a des solutions à tous les problèmes, qu’ils soient économiques, financiers et surtout politiques. Nous n’avons pas cessé d’en parler depuis 2011.

Au RCD, nous étions  les premiers à rendre public un projet de constitution. Nous sommes les seuls à avoir initié une offre politique nouvelle, à savoir la création d’une instance indépendante de gestion des élections comme alternative à la gestion du ministère de l’Intérieur qui a montré ses limites. Nous étions les promoteurs  de l’action concertée de l’opposition.

C’est la première fois que les Algériens ont vu les acteurs issus de la mouvance démocratique discuter et agir avec des acteurs de la mouvance islamiste et un certain nombre d’acteurs issus du système, dans le cadre d’une démarche concertée pour trouver des solutions aux problèmes politiques et économiques du pays.

Nous avons toujours donné dans notre communication la priorité à la solution ou à l’issue qu’à la critique sèche. C’est très facile de critiquer maintenant que le pays est en faillite. A présent, la difficulté, c’est d’aller vers des solutions concrètes. Au RCD, on n’est plus dans les slogans et les incantations on est plutôt dans les solutions. Nous sommes déjà dans le détail des solutions sur la diversification de l’économie, la création d’un marché des énergies renouvelables, la relance du secteur du tourisme... Nous avons même fait des propositions audacieuses en matière de sécurité nationale, de relations internationales...  En un mot, il faut des solutions aux problèmes quotidiens des citoyens. C’est la mission des responsables politiques et c’est cela qu’attend d’eux le citoyen.



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