L’objet de cette présente contribution n’est pas de rentrer dans les polémiques mais de poser objectivement la problématique de la rentabilité future des usines de montage de voitures en Algérie qui doit s’inscrire dans le cadre d’une véritable politique tant économique qu’industrielle qui fait cruellement défaut. C’est que tout opérateur, et ce, de par le monde, est mu par la seule logique du profit. L’Etat régule par un cahier de charges précis pour préserver les intérêts supérieurs du pays. Car, les contraintes internationales sont là et face aux mutations mondiales, la filière automobile connait des restructurations, des fusions et des délocalisations des grands groupes, avec des capacités de production élevées. La presse algérienne s’est faite l’écho récemment du gouvernement d’agréer plusieurs dizaines de promoteurs afin d ‘assembler des voitures L’Algérie fabriquerait ainsi des voitures françaises, italiennes, iraniennes, chinoises, sud coréennes et allemandes etc. Face aux mutations mondiales, quel est le seuil de rentabilité de tous ces mini -projets de voitures ? Aucun, pays dans le monde n’a trente constructeurs, c’est une aberration unique dans l’histoire, les USA ou les pays européens et asiatiques entre trois et cinq constructeurs).
1.- Mutation mondiale de la filière voitures
Quel est donc l’avenir de notre planète où selon certains analystes, la taille du marché automobile chinois, sans parler de l’Inde, si l’on reste dans l’actuel modèle de consommation, devrait être multipliée par dix horizons 2030. Les experts du Fond Monétaire International (FMI) prévoyant un parc mondial de 2,9 milliards de voitures particulières à l'horizon 2050, cette vision partant de l’hypothèse d’une élévation du revenu des ménages surtout des pays émergents la population comme la Russie, l'Inde ou la Chine représentant des marchés à fort potentiel pour l'industrie automobile . Ainsi, environ 77,83 millions de voitures devraient avoir été vendues en 2017, contre 74,38 millions en 2016 selon les estimations internationales. La production mondiale de voitures en 2015 a été de 90.680.000.000 dont Chine : 24 503 326 véhicules (+3.3%) -Etats-Unis : 12 100 095 véhicules (+3.8%) -Japon : 9 278 238 véhicules (-5.1%) -Allemagne : 6 033 164 véhicules (+2.1%) -Corée du Sud : 4 555 957 véhicules (+0.7%) -Inde : 4 125 744 véhicules (+7.3%) -Mexique : 3 565 469 véhicules (+5.9%) -Espagne : 2 733 201 véhicules (+13.7%) -Brésil : 2 429 463 véhicules (-22.8%) -Canada : 2 283 474 véhicules (-4.6%) -France : 1 970 000 véhicules (+8.2%) -Thaïlande : 1 915 420 véhicules (+1.9%) -Royaume-Uni : 1 682 156 véhicules (+5.2%) -Russie : 1 384 399 véhicules (-26.6%) -Turquie : 1 358 796 véhicules (+16.1%) -République tchèque : 1 303 603 véhicules (+4.2%) -Indonésie : 1 098 780 véhicules (-15.4%) -Italie : 1 014 223 véhicules (+45.3%) -Slovaquie : 1 000 001 véhicules (+3.0%) -Iran : 982 337 véhicules (-9.9%). Aussi, les contraintes internationales pour l’Algérie sont là. La situation du marché mondial de voitures est évolutive, ce marché étant un marché oligopolistique , fonction du pouvoir d’achat , des infrastructures et de la possibilité de substitution d’autres modes de transport notamment le collectif spécifique à chaque pays selon sa politique de transport, ayant connu depuis la crise d’octobre 2008 d’importants bouleversements , les fusions succédant aux rachats et aux prises de participation diverses. A l’heure actuelle, les plus grandes multinationales sont General Motors malgré sa restructuration récente, , Volkswagen et Nissan, qui depuis son alliance avec le constructeur français Renault, Chrysler, FIAT , Honda, Mitsubishi et Mazda et que les six premiers constructeurs mondiaux qui, tous, ont une capacité de production supérieure à quatre millions de véhicules, représentent 61 pour cent du marché mondial de l’automobile, suivi des sociétés sud coréennes Hyundai, Daewoo, Kia, Ssang Young et Samsung ont rejoint les rangs des constructeurs indépendants, capables de financer, de concevoir et de produire leurs propres véhicules et que les sociétés européennes multinationales sont les plus importants fabricants de pièces détachées et les plus grands constructeurs de camions, parmi lesquels Mercedes-Benz et Volvo. Dans le reste du monde, la plupart des constructeurs automobiles sont des filiales de constructeurs américains, japonais et européens. Dans des pays comme la Malaisie, la Chine et l’Inde, la production sont gérées par des sociétés locales, mais toujours avec l’appui de grands groupes étrangers. Nous observons deux tendances opposées qui sont en train de se produire en même temps: la localisation de la production sur certaines zones géographiques et sur certains pays et la délocalisation ; et pour ce qui est de la localisation de la production automobile mondiale, elle se concentre régionalement sur trois zones: l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie. De plus, sur chacune d’entre elles la fabrication est localisée sur certains pays; ainsi, en Europe, les principaux fabricants sont l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie, appartenant tous à l’Union Européenne. En Amérique du Nord, la production se concentre majoritairement sur les États- Unis, et en Asie elle se trouve au Japon et en Corée du Sud et que pour les exportations mondiales d’automobiles, la concentration est encore plus élevée, puisqu’elle est limitée principalement à deux zones: l’Europe et l’Asie . Et que un futur proche avec la perte de compétitivité de certains pays au profit de certains pays émergents (Russie ,Inde, Chine, Brésil) nous devrions assister à la réorganisation de la production mondiale de véhicules en rapport avec les niveaux de formation des effectifs des usines et avec la recherche que réalisent les entreprises automobiles et en toute évidence, les usines qui se maintiendront sur chaque pays seront les plus compétitives, les priorités des dirigeants des constructeurs automobiles étant donc : technologie et innovation,(robotisation,)surtout au Japon dont le coût de la main d’œuvre est dix fois environ supérieur à celui de la Chine, éthique et gouvernement d’entreprise, approche collaborative, meilleures stratégies de succès, environnement et mondialisation. Des perspectives technologiques futures tenant compte du nouveau défi écologique, (voitures hybrides, électriques ) tenant compte du nouveau modèle de consommation énergétique qui se met lentement en place , la crise d’octobre 2008 préfigurant d’importants bouleversements géo stratégiques et économiques, la Chine étant en passe de devenir le leader mondial des voitures propres toutes catégories profitant ainsi au premier chef des plans de relance "verts" des Etats-Unis, de l'Europe et du Japon. A court terme, l’on s’oriente vers l’optimalisation du fonctionnement des moteurs à essence et diesel, avec une réduction de 20/30% de la consommation, car pour les voitures électriques, les ressources en lithium pour les fameuses batteries lithium-ion sont limitées et que les moteurs électriques nécessitent des aimants que l’on fabrique aussi avec des métaux rares, un marché de 70/80 millions de véhicules par an ne pouvant absorber de gros volumes en voitures électriques et que pendant encore dix ans, les moteurs classiques devraient rester majoritaires. Afin de parer à cette contrainte, les nanotechnologies ( la recherche dans l’infiniment petit) peuvent révolutionner le stockage de l’énergie devant explorer parallèlement le flex fuel et de penser à l’hydrogène , l’avenir appartenant au moteur alimenté par de l’hydrogène gazeux .
2.-Qu’en est-il pour l’Algérie ?
Il existe une véritable cacophonie actuellement. Mais cela ne date ne pas d’aujourd’hui. Déjà le 15 aout 2009 dans une interview reproduite par l’APS le Ministre de l’industrie de l’époque a affirmé justifiant la suppression du crédit à la consommation je cite « l’Algérie aura pour bientôt une voiture à 100% algérienne avec une intégration presque totale ». Le parc national automobile s’élève à 8,4 millions de véhicules en 2016. Dont plus de 65% sont des véhicules touristiques selon le Ministère des transports donnant une moyenne de 1 véhicule pour 7 citoyens et pour 2016,contre 5,7 pour 2015 et 4,75 pour 2014, environ 53% de ce parc ayant une moyenne d'âge de moins de 10 ans, alors que 37% ont plus de 20 ans. Plus exactement selon l’ONS organe officiel de la statistique cité par l’APS , le parc national automobile comptait 5.986.181 véhicules à fin 2016, contre 5.683.156 véhicules à fin 2015, en hausse de 5,33%, correspondant à une augmentation de 303.025 unités entre les deux années. Selon le Ministère de l’Energie, fin 2016, l’Algérie consomme prés de 15 millions de tonnes de carburants routiers dont plus de 350.000 tonnes de GPL/C, ce qui est en très en deçà des objectifs fixés. Aussi dix questions se posent auxquelles toute politique économique cohérente doit répondre afin d'éviter à terme la faillit de bon nombre de constructeurs qui auront entre temps engrangé des profits énormes ( transfert de rente) au détriment du trésor
-Premièrement, qu’en sera-t-il avec l’épuisement inéluctable des hydrocarbures en termes de rentabilité économique et non de découvertes physiques sur le pouvoir d’achat des Algériens? Dans ce cas par rapport au pouvoir d’achat réel, (alimentaires, habillement notamment plus les frais de loyer et téléphone) et avec le nivellement par le bas des couches moyennes, que restera –il en termes de pouvoir d’achat réel pour acheter une voiture, le niveau d’endettement ayant une limite ? La période de hausse des salaires avec des rappels a permis d’augmenter la demande ,la demande actuelle ne dépasse pas 100.000/150.000 voitures an si on la relie au pouvoir d’achat actuel.
Deuxièmement, les statistiques douanières de fin 2017 montrent que les importations d’entrants pour es voitures ont approché 2 milliards de dollars pour environ cinq constructeurs dont la majorité n’a pas dépassée 20.000 unités/an. Si on émet l »hypothèse que le taux d’intégration varie entre 15/20% et si trente constructeurs produisent seulement 50.000 unités/an se posent deux problèmes : premièrement, la sortie de devises tendra vers 10 milliards de dollars/an sinon plus avec un impact sur les réserves e change ; deuxièmement, on aura une production de 1,5 millions de voitures /an. Le marché locale a-t-il les capacités d’absorption et ces opérateurs, seront- ils capable d’exporter pour couvrir la partie devises sorties,
- Troisièmement, quelle sera la balance devises des unités projetées ? D’autant plus que la majorité des inputs (coûtant plus cher avec le dérapage du dinar) seront presque importés devant inclure le coût de transport, également la formation adaptée aux nouvelles technologies et les coûts salariaux. Sans compter le manque à gagner de l’Etat de toutes des exonérations fiscales et bancaires qui actuellement n’ont pas permis la baisse des prix
- Quatrièmement, les normes internationales, du seuil des capacités au niveau mondial se situent entre 200.000 et 300.000/an pour les voitures individuelles, environ 100.000 et plus unités/an pour les camions/ autobus et évolutives avec les grandes concentrations depuis 2009. La comptabilité analytique distingue les coûts fixes des coûts variables quel est donc le seuil de rentabilité pour avoir un coût compétitif par rapport aux normes internationales et aux nouvelles mutations de cette filière ? La carcasse représentant moins de 20/30% du coût total c’est comme un ordinateur, le coût ce n’est pas la carcasse (vision mécanique du passé), les logiciels représentant 70/80%, ces mini projets seront –ils concurrentiels en termes du couple coûts/qualité dans le cadre de la logique des valeurs internationales ?
-Cinquièmement, quelle est la situation de la sous-traitance en Algérie pour réaliser un taux d’intégration acceptable qui puisse réduire les couts ? En faisant une comparaison avec les pays voisins où le taux d'intégration est plus élevé par rapport à l'Algérie, des experts ont souligné lors forum à El Moudjahid en ce mois de mars 2017 qu'en Tunisie, le nombre des entreprises sous-traitantes représente 20% des entreprises industrielles (1.000 entreprises de sous-traitance parmi 5.000 entreprises industrielles), alors qu'au Maroc, le taux est de 28% (2.000 entreprises de sous-traitance sur 7.000 sociétés industrielles). Et que le secteur industriel représente actuellement 6% seulement du PIB, alors que les besoins exprimés en matière d'équipement industriel et de toute autre composante industrielle et de pièces de rechange sont globalement de 25 milliard de dollars. Le nombre d’entreprises sous-traitantes recensées en Algérie est actuellement insignifiante dominées par des petites entreprises (TPE) avec moins de 10 employés et qu’ environ 9000, soit 1%, activent pour le secteur industriel, le reste opérant soit dans le secteur commercial, la distribution, les services, le BTPH
-Sixièmement, dans une vision cohérente de la politique industrielle tenant compte de la forte concurrence internationale et des nouvelles mutations technologiques dans ce domaine, ne fallait –il pas par commencer de sélectionner deux ou trois constructeurs algériens avec un partenariat étranger gagnant/gagnant maitrisant les circuits internationaux avec un cahier de charges précis leur donnant des avantages fiscaux et financiers en fonctions de leur capacité. Ainsi pour un taux d’intégration variant entre 0 et 10% les avantages doivent être limitées au maximum et devant leur fixer un deuil de production ne dépassant pas 5000 unités/an afin d’éviter que durant cette période certains opérateurs soient tentés dans une logique de rente, d’arriver à plus de 30.000/50.000 unités/an sans intégration, accroissant par là, la facture d’importation en devises des composants.
-Septièmement, construit-on actuellement une usine de voitures pour un marché local alors que l’objectif du management stratégique de toute entreprise n’est –il pas ou régional et mondial afin de garantir la rentabilité financière face à la concurrence internationale, cette filière étant internationalisée avec des sous segments s’imbriquant au niveau mondial ? Comment dès lors ces micro-unités souvent orientés vers le marché intérieur, réaliseront le taux d’intégration prévue de 40/50% au bout d’environ cinq années , risquant de fermer (faillite ne pouvant faire face à la concurrence internationale) après avoir perçu tous les avantages qui constituent des subventions supportées par le trésor public d’où l’importance d’une régulation stricte de l’Etat pour éviter des transferts de rente au profit d’une minorité rentière?
- Huitièmement, une politique industrielle sans la maitrise du sasoir est vouée inéluctablement à l’échec avec un gaspillage des ressources financières. Aussi l’industrie automobile étant devenue capitalistique, (les tours à programmation numérique éliminant les emplois intermédiaires) quel est le nombre d’emplois directs et indirects créés, renvoyant à la qualification nécessaire tenant compte des nouvelles technologies appliquées à l’automobile ? Et quelle sera le coût et la stratégie des réseaux de distribution pour s’adapter à ces mutations technologiques?
-Neuvièmement, ces voitures fonctionneront-elles à l’essence, au diesel, au GPLC, au Bupro, hybride ou au solaire renvoyant d’ailleurs à la politique des subventions généralisées dans les carburants qui faussent l’allocation optimale des ressources ? Entre 2015/2016 , pour le type de carburant utilisé, l’essence représente 65% et le gasoil 34%, l’utilisation du GPLC étant marginale.
- Dixièmement, comment pénétrer le marché mondial à terme avec la règle des 49/51% , aucune firme étrangère de renom ne pouvant accepter cette règle rigide dans le cadre des exportations mondiales et donc avec le risque que l’Algérie supporte tous les surcoûts conduisant à l’endettement d’autant plus que l’Algérie risque de connaitre des tensions budgétaires entre 2018/2020?
En conclusion, il ne s’agit pas d’être contre ou pour la mise en place d’une industrie mécanique mais cette dernière doit être menée avec cohérence, pragmatisme et réalisme, existant un seuil de rentabilité pour avoir des prix compétitifs. En 2017, à tire d’exemple la production du Groupe Renault au Maroc, ce sont plus de 375.000 véhicules qui sont sortis des chaines de ses deux usines de Tanger et Casablanca, dont une grande fraction destinée à l’exportation pour couvrir la balance devises. Il semble bien que certains responsables algériens oublient que la mondialisation est bien là avec des incidences politiques et économiques, voulant perpétuer un modèle de politique industrielle dépassé des années 1970’ qui ne peut que conduire le pays à une grande dépendance et à l’endettement à terme. Je ne rappellerai jamais assez que le moteur de tout processus de développement réside en la recherche développement, que le capital argent n’est qu’un moyen et que sans bonne gouvernance centrale et locale, l’intégration de l’économie de la connaissance, aucune politique économique n’a d’avenir, en ce XXIème siècle , face à un monde turbulent et instable où les innovations technologiques sont en perpétuelle évolution. L'Algérie doit investir tant dans les institutions démocratiques que dans des segments où elle peut avoir des avantages comparatifs : l'agriculture, le tourisme important gisement, les nouvelles technologies et dans des sous segments de filières industrielles tenant compte des profonds changements technologiques et une importante restructuration de cette filière qui est internationalisée. Il y a par ailleurs lieu de tenir compte que l’économie algérienne est irriguée par la rente des hydrocarbures qui détermine fondamentalement le pouvoir d’achat des Algériens. L’inflation qui est de retour induit la détérioration du pouvoir d’achat. Le revenu global doit être corrigé devant tenir compte de la répartition du revenu et du modèle de consommation par couches sociales, un agrégat global ayant peu de significations. En bref l’avenir de l’économie algérienne et intimement liée à une véritable stratégie tenant compte des nouvelles mutations mondiales impliquant forcément, une nette volonté politique d’approfondissement de véritables réformes macro-économiques, macro-sociales, micro-économiques et institutionnelles solidaires. [email protected]
1)-Audit sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul « pour une nouvelle politique des carburants dans un système concurrentiel » ( Ministère Energie 2007/2008) assisté des cadres dirigeants de Sonatrach- d’experts nationaux et du bureau d ‘études américain Ernest Young ( 8 volumes 780 pages) où un volume a été consacré aux subventions , un autre à la promotion du GPLc et au BUpro lié à une nouvelle politique des transports où j’avais fait un exposé sur ce sujet avec un large débat devant les députés de la commission économique de l’Assemblée Nationale Populaire APN fin 2007.