Le débat sur la peine de mort en Algérie est-il relancé ? Tout porte à le croire au vu des initiatives prises ici et là dans ce sens. Le président de la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l'homme (CNCPPDH), Me Farouk Ksentini, lors d’une conférence consacrée au sujet, a appelé à l'abolition de la peine de mort en Algérie, tout en plaidant pour son maintien dans des cas précis tels les meurtres et les enlèvements d'enfants.
Au passage, il fera remarquer que l"Algérie n'a pas appliqué cette peine depuis 1993, même si les tribunaux continuent à la prononcer. En dehors des cas cités, Farouk Ksentini plaide pour des peines alternatives à la peine de mort comme la prison à vie. "Les tribunaux criminels implantés à travers le pays prononcent 140 à 150 peines de mort par an sans pour autant les appliquer", a-t-il indiqué.
Il a critiqué ce qu'il a estimé être de la "précipitation" de la part de certains tribunaux dans l'examen de dossiers qui aboutissent à la prononciation de la peine de mort, idem dans certains cas pour l'expertise psychiatrique que fait subir l'instance judiciaire aux auteurs de crimes.
Sujet ô combien sensible, générateur de clivages, l’avocat admet par conséquent la nécessité d’un large débat entre tous les acteurs de la société algérienne et le respect de tous les points de vue, aussi bien des opposants que des partisans de l'abolition.
Pour sa part Miloud Brahimi, abolitionniste, a rappelé que l'Algérie était le premier pays à demander l'abolition de la peine de mort à travers une proposition présentée en 1964 par M. Ali Haroun devant l'Assemblée populaire nationale (APN) et une autre proposition de la Moudjahida Dhrif Zohra présentée à l'ancien président de la République, Ahmed Benbella.
Tout en qualifiant d'"honorable" le gel de son application, Me Brahimi s'est prononcé pour l'abolition de cette peine à l'instar de plusieurs pays tels que la Turquie ou le Sénégal. Des pays qui, fait-il remarquer sont de confession musulmane, dans leur grande majorité."L'Algérie qui a opté pour la réconciliation nationale après une décennie tragique acceptera certainement l'abolition de cette peine", a-t-il souligné.
A son tour, le président de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADH) Boudjemaa Ghechir dira que "l'aspect religieux de l'abolition de la peine de mort est un grand défi pour la société algérienne" indiquant que "l'application de la loi du talion dans les crimes de sang n'est ni du ressort de l’État, ni de celui de la société mais relève des ayants-droit des victimes comme le prescrit la Charia islamique".
Pour sa part, le directeur des recherches et de la communication au sein de l'organisation internationale de la réforme pénale Heithem Chebli a déclaré que " la protection des sociétés et leur sécurité ne se définissait pas par la mort du criminel, et plus particulièrement quand c'est au nom de la Justice", ajoutant que "l'application de la peine de mort en guise de vengeance n'est pas pour réaliser la Justice idéale à laquelle aspire aujourd'hui l'humanité tout entière".
Le vice-président de l'Alliance mondiale contre la peine de mort, Raphael Chenweil, a souligné quant à lui que "la lutte pour l'abolition de la peine de mort à l'échelle internationale doit être le souci majeur des défenseurs des droits de l'homme, des politiciens et des hommes de lettres ». Au-delà du contenu des interventions, à quoi répond l’objectif d’organiser une telle conférence de la part de la commission Ksentini ? S’agit-il de répondre indirectement au groupe parlementaire islamiste qui a lancé une pétition pour le rétablissement de la peine de mort ? Pour ces députés le moment est propice pour lancer leurs initiatives.
En effet, l’onde de choc provoquée l’année dernière par l’enlèvement de deux enfants à Constantine a apporté de l’eau au moulin des islamistes. Mais au-delà des positions des uns et des autres, est-ce que l’Algérie, dont la société connait actuellement des clivages de toute sorte, a besoin d’une autre querelle, fut-elle sur la peine de mort. Il y a d’autres urgences politiques qui passent avant le débat sur la peine de mort qui est à la limite une coquetterie pour l’Algérie.