Trois personnalités politiques et pas des moindres, Ahmed Taleb El Ibrahimi, Rachid Benyelles et Ali Yahia Abdennour, sont sorties de leur retaite pour se fendre d'une déclaration dans laquelle il clament leur opposition à un cinquième mandat du président Bouteflika.
Pour des personnalités de cette envergure, qui plus est ont l'expérience de l'exercice politique, on était franchement en droit de s'attendre à quelque chose de mieux argumentée, sur une analyse de la situation fondée, non pas sur des spéculations de presse (qui pour sa part fait son métier), ou des potins de chapelles, mais sur des informations crédibles et vérifiées.
Ce qui n'est pas le cas en l'occurence, car toute cette longue déclaration est bâtie sur un postulat aléaloire, à savoir un cinquième mandat dont, seule une partie de l'opposition fait son refrain quotidien pour se donner une visibilité médiatique. Car à ce jour, ni le président Bouteflika lui même, ni son entourage, ni un membre du gouvernement, n'ont parlé de ce cinquième mandat qui reste du domaine de l'hypothétique.
On se rappelle comment le zélé Djamal Ould Abbès s'est fait sonner vertement les cloches par qui de droit, quand, justement, il avait essayé de danser plus vite que la musique en se faisant éclaireur du cinquième mandat.
L'armée encore et toujours
En demandant à l’armée «d’accompagner le changement qui s’impose» et se «démarquer de manière convaincante du groupe qui s’est emparé indûment du pouvoir», les trois illustres signataires de la déclaration, même s'ils donnent l'air de s'en défendre, ne font pas moins que les autres acteurs politiques qui poussent l'institution militaire à s'impliquer dans la bataille.
Pourtant, après les événements de 88 dont nous venons de célébrer le 29ème anniversaire, ces personnalités réclamaient exactement le contraire de ce qu’elles exigent aujourd’hui de l’armée ; c'est-à-dire laisser le champ politique aux politiques et les militaires dans les casernes. Seraient-elles (ces personnalités) séduites par les sirènes du putschisme ambiant, alors qu'elles sont censées incarner la voie de la sagesse?
Postuler aussi que le pouvoir est «indûment» entre les mains «d’un groupe» qui se recrute parmi «l’entourage familial du président» et des «oligarques» est un grave raccourci que ne peuvent confirmer les faits. Quoi que l’on puisse penser, il y a en Algérie des institutions républicaines qui font leur travail normalement indépendamment de leur rendement. A lire le texte du trio, on se croirait dans un pays pris en otage par quelques personnes pendant que toutes les institutions de l’Etat sont dissoutes. Convenons-en que la fiction dépasse la réalité sur ce coup là. L’Algérie n’est tout de même pas la Libye, le Yémen, l’Irak ou la Centrafrique.
Et puis quand ces trois personnalités évoquent l’achat de la paix sociale en accusant le pouvoir d’avoir «inondé le marché de produits et services», ils feignent d’oublier que le peuple algérien a subi dans sa chaire, et son esprit les affres d'une décennie de violence islamo-terroriste. Ce peuple n'avait-il pas le droit de jouir des bienfaits de cette manne providentielle ?
Qu'auraient-ils fait eux de cet argent s’ils étaient aux commandes ? Il est facile de critiquer quand on est de l’autre côté de la barrière. Mais on ne peut pas se dispenser de la responsabilité quand on a eu à exercer les hautes fonctions.
Un triumvirat pour quelle mission ?
Tout le monde est à peu près d’accord pour dire que les choses n’évoluent pas dans le bon sens et que l’Algérie est loin d’être un modèle de démocratie. Il faut avoir l’honnêteté de reconnaitre que cette situation ne date pas de quelques années seulement. Il est vrai qu’il y a de la mauvaise gestion, de la corruption et des passe-droits. Taleb el Ibrahimi, Rachid Benyelles et à un degré moindre Ali Yahia Abdennour ont le droit de pointer les insuffisances de notre gouvernance. Mais on attendait d’eux plus de perspicacité et de sens des responsabilités pour éviter au pays des dérives irréparables.
Ce n’est pas en appelant à «faire barrage à ceux qui ont confisqué notre destin depuis près de 20 ans» que ces trois vont convaincre les algériens de les suivre dans leur aventure médiatique. Soutenir sans la moindre preuve formelle qu’un «groupe pousse à une candidature pour un cinquième mandat» est un peu court…
Au lieu de céder à l’émotion en reprenant des éléments de langages en vogue sur les réseaux sociaux, le triumvirat aurait été mieux inspiré de proposer sereinement des pistes de réflexion qui aideraient à rétablir les passerelles entres toutes les forces vives de la nation. Il ne suffit pas de décréter péremptoire que : «trop, c’est trop !» pour se tirer d’affaire. Last but not least, les trois appellent la classe politique à «mettre de coté leurs divergences culturelles, linguistiques et politiques» pour cheminer vers l’instauration de la démocratie.
Tout est dit dans cet appel aux accents fatalistes : Comment prétendre changer le rapport de force quand on est incapable de fédérer même les partis de l’opposition ? C’est in fine le chantier le plus urgent de Benyelles El-Ibrahimi et Ali Yahia, à supposer que leurs messages ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd…