L'Algérie entière se remémore les chahids Ahmed Zabana et Abdelkader Ferradj guillotinés le 19 juin 1956 à la prison de Serkadji (Alger) par les forces coloniales françaises.
Oran a commémoré ce mardi le 56ème anniversaire de l'exécution de deux martyrs.
Une rencontre-débat, sur le jugement de Zabana et de 197 martyrs exécutés sur l'échafaud dont Abdelkader Ferradj, a été organisée à l'occasion de cette journée commémorative au siège de l'association des résistants de la wilaya d'Oran.
"L'homme était exceptionnel et avait une force surhumaine", a souligné le vice-président de l'association des résistants et ayant droits de la wilaya d'Oran, M. Mohamed Benaboura, reprenant les paroles du bourreau Meissonnier qui disait "il s'est dirigé à l'échafaud avec un courage qui m'a effrayé".
Les deux exécutions qui ont précipité la bataille d'Alger
Robert Lacoste avait refusé la grâce. Le 19 juin à l'aube, une affichette blanche fut collée sur la porte d'acier de la prison de Barberousse sur laquelle on pouvait lire :
«Zabana Ben Mohamed et Ferradj Abdelkader, condamnés à mort par le tribunal militaire, seront exécutés à la prison de Barberousse le 19 juin 1956. »
Dès que la décision avait été prise, Monseigneur Duval, archevêque d'Alger, le président du Consistoire, le grand mufti, le pasteur de l'Église réformée avaient rendu visite au ministre résidant pour le prier d'user de son droit de grâce.
"Le sang appelle le sang", avaient-ils expliqué. "Les rebelles allaient se venger" ont-ils argumenté. En outre, Ahmed Zabana fait prisonnier lors d'un accrochage le 8 novembre 1954 dans la première semaine de la Révolution, avait été blessé au cours du combat. Touché à une jambe, le bras gauche fracassé, une troisième balle était entrée dans la tempe et était ressortie par l'œil gauche.
« C'est un infirme que l'on va exécuter », avait dit Monseigneur Duval.
Mais Robert Lacoste était resté inflexible. Le deuxième condamné à mort, Ferradj Abdelkader, avait-il répondu, est un déserteur.
«Mais si je veux réussir le plan fixé, je ne dois céder ni aux menaces des Européens ni aux représailles du F.L.N.»
Lorsque les bois de justice furent montés dans la cour de la prison, où s'élevait Barberousse, toute la Casbah se figea. Les cris des prisonniers, les chants qui s'élevaient de toutes les cellules, glacèrent le quartier. Après que Ahmed Zabana, tourné vers les fenêtres des cellules, eut demandé pardon à tous ceux à qui il avait pu faire du mal dans sa vie, le couperet en acier tomba sur le cou du chahid. Quelques minutes plus tard c'est au tour de Abdelkader Ferradj de subir le même sort.
Une voix hurlait en arabe : «Nous vous suivrons sur l'échafaud, mais qu'importe! avec nous ou sans nous, l'Algérie sera libre.»
Le premier you-you retentit, il fut repris par toute la Casbah. Les zouaves du capitaine Sirvent, bloquaient les issues du quartier. Dans chaque poste les hommes gardaient le doigt sur la détente pour empêcher qu'une éventuelle manifestation de représailles ne déferlât sur la ville européenne.
Une heure après l'exécution, Abane et Ouamrane décidèrent de passer à l'action. Depuis la campagne de presse des ultras demandant l'exécution des condamnés, campagne qui avait trouvé un écho favorable dans toute la population Européenne qui réclamait une politique de fermeté de la part du gouverneur Lacoste, Abane Ramdane, Krim Belkacem et Amar Ouamrane avaient décidé que si la menace était mise à exécution il y aurait des répercussions sur la population civile. Abane avait écrit avec Ben M'Hidi un tract disant notamment : «Toute exécution de combattants entraînera des représailles. Pour chaque maquisard guillotiné, 100 Français seront abattus sans distinction.»
«L'heure est venue, dit Abane à Ouamrane, il faut absolument acculer le gouvernement français à considérer les hommes du F.L.N. comme des combattants et à les traiter comme tels.
— Ce qui est incompréhensible, répondit Ouamrane, c'est que Ahmed Zabana et Abdelkader Ferradj aient été exécutés par les Français au moment où Ben M'Hidi, de retour du Caire, nous annonce que des contacts sont en préparation entre M'hamed Yazid, Khider et des représentants de Guy Mollet. C'est un drôle de climat pour essayer de s'entendre.
— Tu sais, il y a une politique à Paris et une autre à Alger. Nous sommes à Alger et on doit réagir.» lance Abane.
A 20 heures, les Bouchafa reçut l'ordre de mobiliser ses troupes et de passer à l'action individuelle, Ouamrane précisa :
«Descendez n'importe quel Européen de dix-huit à cinquante-quatre ans. Pas de femmes, pas d'enfants, pas de vieux. Les actions commenceront le 20 juin à 18 heures. »
Yacef Saadi reçut le même ordre pour le 21 juin. Cent éléments armés devaient semer la terreur à Alger.
La mise en œuvre de cette politique a été assurée successivement par trois hommes de terrain, Mustapha Fettal, Belkacem Bouchafa et, d’août 1956 à septembre 1957, après leurs arrestations, par Yacef Saadi. Dans le réseau bombes et les équipes chargées de les porter, on trouve des patriotes non musulmans (Gabriel et Daniel Timsit, Habib Giorgio, Annie Steiner et Danielle Minne).
Alger s’embrase. On compte des dizaines de victimes. L’intervention des parachutistes commence après leur retour de l’équipée de Suez (octobre 1956). Pour le FLN, la Casbah constitue la principale barre d’appui. Face à lui, le noyau des officiers parachutistes (Massu, Bigeard, Godard...).
Ahmed Zabana
Né en 1926 à douar El Ksar près de Zahana (ex Saint-Lucien) à 32 km d'Oran, Ahmed, de son vrai nom Zahana, a vécu depuis l'âge de 2 ans à Haouch Bent Mouni à haï El Hamri (Oran), a évoqué Benaboura, auteur de quatre livres sur la lutte armée à Oran, dont l'un aborde le parcours de Zabana qui était le héros de Sidi Blel, place mythique qui constituait un creuset du mouvement national.
"A cette place se rencontrait Ahmed Zabana, Hamou Boutlelis et autres Aoumer, Mazouni Safa, Lakehal Mohamed, Abdelkader Tahraoui, Khalfi Hocine et son frère Charef, qui furent plus tard des héros de la glorieuse guerre de libération nationale", a-t-il souligné.
Issu d'une famille pauvre où le père était docker au port d'Oran et complètement bouleversé par la mort de son frère, H'mida (surnom donné à Ahmed Zabana ndlr) intégra très jeune les Scouts musulmans algériens, avant de se retrouver en 1947 membre de l'organisation secrète (OS), a-t-il encore rappelé.
Il fit ensuite partie de la première cellule du Comité révolutionnaire de l'unité et de l'action (CRUA), comme responsable de l'Oranie avec Larbi Ben M'hidi, Benabdelmalek Ramdane, Abdelhafid Boussouf et Hadj Benalla, a témoigné M. Benaboura.
"Mort à 30 ans, célibataire, son exécution continue, 55 ans après, de faire couler beaucoup d'encre, car il s'agit d'une exaction judiciaire, unique en son genre dans le monde", a-t-il encore souligné.
"Au moment de l'exécution, le couperet s'est arrêté à deux reprises à quelques centimètres de son cou avant que ses bourreaux ne se décident de mener à terme la sale besogne", a expliqué M. Benaboura.
Abdelkader Ferradj
Le 19 juin à 4h du matin, trois minutes après l'exécution du chahid Ahmed Zabana, a été guillotiné le prisonnier numéro 1791, condamné à mort pour les mêmes chefs d'inculpation. Cet homme s'appelait Abdelkader Ferradj. Né dans une famille paysanne très pauvre le 2 avril 1921 à Oued Aïssa, douar de Bourouta, commune de Kadiria, dans la wilaya de Bouira, Ferradj travaillera comme civil chez l'administrateur après des études coraniques à la mosquée du village.
Contraint à s'enrôler dans l'Armée française, il désertera au déclenchement de la Révolution pour rejoindre les rangs de l'Armée de libération nationale. Arrêté le 26 mars 1956, Abdelkader Ferradj sera, à l'issue d'un procès expéditif, condamné à mort, le 3 mai de la même année, pour avoir pris des armes de la caserne pour les acheminer vers le maquis par le biais de son beau-frère et pour avoir commis des attentats dont celui du 25 février 1956 contre un convoi de paras.
L'homme aura le même sort que Zabana pour les mêmes raisons, aussi. C'est pour rétablir cette vérité que l'Association nationale des condamnés à mort a entamé depuis 2004, un travail de recherche et de réhabilitation.
Cette occasion permettra aussi de réhabiliter Abdelkader Ferradj après un oubli qui a duré depuis l'Indépendance et que rien ne justifie.
Lettre d'Ahmed Zabana à ses parents
«Ne pleurez pas et soyez fiers de moi» «Mes chers parents, ma chère mère Je vous écris sans savoir si cette lettre sera la dernière et cela, Dieu seul le sait.
Si je subis un malheur quel qu'il soit, ne désespérez pas de la miséricorde de Dieu, car la mort pour la cause de Dieu est une vie qui n'a pas de fin et la mort pour la patrie n'est qu'un devoir. Vous avez accompli votre devoir puisque vous avez sacrifié l'être le plus cher pour vous. Ne me pleurez pas et soyez fiers de moi.
Enfin, recevez les salutations d'un fils et d'un frère qui vous a toujours aimés et que vous avez toujours aimé. Ce sont peut-être là les plus belles salutations que vous recevrez de ma part, à toi ma mère et à toi mon père ainsi qu'à Nora, El Houari, Halima, El Habib, Fatma, Kheira, Salah et Dinya et à toi mon cher frère Abdelkader ainsi qu'à tous ceux qui partageront votre peine.