Les Algériens de Paris et sa région étaient des milliers à sortir en cette journée du 17 octobre 1961, en famille, pour la plupart, pour protester contre le couvre-feu discriminatoire qui leur avait été imposé par le préfet de police de l’époque, Maurice Papon. C’était il y a cinquante ans. En ce jour, ils furent victimes d’un massacre collectif, d’une répression d’une extrême violence, commise par la police parisienne, en plein cœur de Paris.
La manifestation était pourtant pacifique. L’ordre a été donné par la Fédération de France du FLN. Les manifestants ont la consigne de ne répondre à aucune provocation, ni acte de violence. Ils ont même été fouillés avant de quitter le bidonville de Nanterre "La Folie" pour s’assurer qu’ils ne portaient rien sur eux qui puisse servir d’arme.
La police apprend qu’une marche se dirige vers Paris. Toutes les bouches de métro sont cernées. Les manifestants, qui ne feront preuve d’aucune résistance, seront accueillis sous la pluie et le froid, à coups de crosse et de matraques. Ils seront tabassés aveuglement par une police déchaînée. Elle tire sur les manifestants. Des centaines de corps seront précipités dans les eaux glaciales de la Seine.
Chasse au faciès
Une véritable chasse au faciès est alors déclenchée toute la nuit. Les Parisiens assistent sans broncher, certains, confirment des historiens, collaborent même avec la police pour encourager la "ratonnade". Le journaliste et écrivain Georges Mattei apporte un témoignage accablant sur cette honteuse complicité. "L’impression que je garde des scènes de violence, a-t-il dit, c’est que le peuple de Paris s’est transformé en indicateur, en auxiliaire de la police et dénonçait les Algériens qui se cachaient dans des maisons pour échapper à la sauvagerie".
Les chiffres officiels de cette répression font état de trois morts et, pour préserver cette version, la presse est interdite sur les lieux du massacre. Les photos exceptionnelles d’Elie Kagan, prises clandestinement par ce photographe, seul témoin à avoir immortalisé les Algériens ensanglantés, révèlent pourtant l’ampleur du drame dans cette nuit tragique.
Le bilan est très lourd : 12 000 à 15 000 manifestants interpellés, dont 3 000 sont arrêtés et internés au palais des Sports, au parc des Expositions, au stade de Pierre-de-Coubertin et au parc de Vincennes. A leur arrivée dans ces camps, les manifestants sont systématiquement battus. Dans l’enceinte de ces lieux d’internements, certains sont exécutés et de nombreux hommes succombent des suites de leurs blessures, rapportent de nombreux témoignages.
La honteuse complicité des Parisiens
De plus, 1500 Algériens sont refoulés vers l’Algérie dans des camps de concentration et entre 300 à 400 manifestants sont morts par balles, par coups de crosse ou par noyade dans la Seine. On dénombre en outre 2400 blessés et 400 disparus suite à cette féroce répression policière.
Pour de nombreux historiens, la violence extrême dont furent victimes les Algériens, manifestant pacifiquement pour leur dignité et pour l’indépendance de leur pays, a certes atteint son paroxysme en ce jour du 17 octobre 1961. Cependant, elle n’était pas nouvelle puisqu'ils étaient déjà la cible depuis plusieurs semaines déjà, de répressions sanglantes et arbitraires, menées par les "équipes spéciales" organisées, hors de toute légalité, par Maurice Papon pour terroriser les Algériens en France.
En cette période dramatique, des négociations sont en cours entre le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et la France, devant conduire au recouvrement de l’indépendance de l'Algérie. De Gaulle souhaitait être en position de force dans les discussions qui achoppaient sur la question du Sahara, la France contestant la souveraineté du futur Etat algérien sur cette région.
Il démet de ses fonctions le garde des Sceaux, Edmond Michelet, favorable à des négociations avec le FLN, cédant ainsi à la pression de son Premier ministre Michel Debré, profondément partisan de l'Algérie française. En renvoyant Edmond Michelet, il signifia alors qu'il acceptait le durcissement de la répression contre les Algériens. Celle-ci ne tarda pas à se déployer avec une rare violence.
Les jours qui suivirent furent encore plus sanglants. Une répression féroce s’abattit sur les Algériens. Arrestations massives, exécutions sommaires, tortures et déportations deviendront leur lot quotidien à Paris et sa banlieue. Depuis, une chape de plomb pèse sur cette page douloureuse de la guerre de libération sciemment occultée par la France.
Le silence des médias français de l’époque
Une censure étatique est imposée pour voiler honteusement ces massacres comme tant d’autres drames commis lors de toute la période coloniale. Aussi, les actions menées par des associations et collectifs pour rétablir la vérité et faire reconnaître ces massacres comme un "crime d’Etat", se multiplient depuis quelques années pour que la vérité et la justice retrouvent leur place dans la mémoire collective.
Pour preuve : il y a quelques années, l'appel pour la "reconnaissance officielle" des massacres du 17 octobre 1961 à Paris avait récolté plus de 4.000 signatures, dont celles d'intellectuels, anciens ministres et de leaders de partis politiques.
L'appel avait, on s'en rappelle, reçu aussi les soutiens de toutes les forces politiques de la Gauche française dans sa diversité.
Pour les initiateurs de l'appel, le temps était venu pour une "reconnaissance officielle de cette tragédie, dont la mémoire est aussi bien française qu'algérienne". Ils estimaient que "reconnaître les crimes du 17 octobre 1961, c'est aussi ouvrir les pages d'une "histoire apaisée" entre les deux rives de la Méditerranée".