Pourquoi la guerre au Yémen se déroule-t-elle dans un silence presque total ? Pourquoi les crimes de guerre commis au Yémen ne sont-ils pas dénoncés ? Rien ou presque ne filtre sur les horreurs que subit la population yéménite depuis le déclenchement de la guerre en mars 2015. Selon les chiffres de l’ONU, ce conflit aurait engendré la mort de 10 000 personnes lors des vingt derniers mois et fait plus de 30 000 blessés, dont 1400 enfants.
Selon le « World Food Program », 14 millions de Yéménites sont menacés de famine et l’UNICEF affirme « au moins un enfant meurt toutes les dix minutes de maladies qui peuvent être évitées, comme la diarrhée, la malnutrition et les infections respiratoires » ; des millions d’enfants sont menacés de malnutrition, une situation sans précédent depuis la famine en Ethiopie des années 1980.
En outre, les bavures de la Coalition, dirigée par l’Arabie Saoudite, sont nombreuses, à l’image de cette cérémonie de deuil, en octobre 2016, bombardée dans la capitale Sanaa, bilan : 140 morts, 525 blessés. Cet acte entre, bien évidemment, dans la catégorie des crimes de guerre, mais, Fatou Bensouda, la procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) ne semble pas s’émouvoir du sort des Yéménites et reste silencieuse sur ce sujet. Pourtant, même les hôpitaux et les écoles sont touchés par les frappes. Toujours selon l’UNICEF, 720 écoles ont été bombardées et 2000 sont hors d’usage.
Les faits
Dans la foulée des printemps arabes, les jeunes Yéménites se soulèvent contre le pouvoir autoritaire d’Abd Rabbo Mansour Hadi afin d’obtenir plus de liberté dans le pays le plus pauvre du Moyen-Orient et dont le taux de pauvreté dépasse les 50%. Mais cette révolution pacifique au départ, est très rapidement récupérée par les mouvements islamistes. La jeune femme prix Nobel de la paix en 2011, Tawakkol Karman [i], issue du parti Al Isha, la branche yéménite des Frères musulmans, prend la tête des manifestations pour demander plus de liberté.
Par ses appels sur al-Jazeera, elle alimente le mouvement de rébellion et cautionne la guerre, ralliant ainsi l’Arabie Saoudite, pays le plus régressif en matière des droits de l’homme et des femmes.
Les partisans d’Abdel Malek Al Houthi, allié de circonstance de l’ancien président Ali Abdallah Saleh, entrent dans le jeu et demandent la démission du Président Hadi. L’ancien Président avait quitté le pouvoir en 2012 à la suite d’une mobilisation populaire mais était toujours resté actif.
Les Houthis font partie de la communauté des Zaydites qui représente un des courants du chiisme, pour cette simple raison, ils sont soupçonnés d’être soutenu par l’Iran.
Au moment du déclenchement de l’opération militaires « Tempête décisive » dirigée par la Coalition, les Houthistes occupent Sanaa, la capitale, et viennent de s’emparer d’Aden. Cette Coalition, autorisée par le vote des Nations Unies (résolution 2216 du conseil de sécurité) ont alors pour objectif de repousser les Houthis hors des villes et de les cantonner dans leur fief de Saada.
Alors que la ville d’Aden est reprise, en Juillet 2015, par les factions anti-houthistes et livrée a des combats entre bandes armées, Al Qaïda profite du chaos pour reprendre des forces et la branche locale de l’Organisation de l’Etat Islamique (EI) pour s’y implanter.
Les Houthis continuent à tenir fermement la capitale Sanaa et à bénéficier du soutien d’une population lassée de cette guerre déclenchée par les Saoudiens.
Si la troisième ville du pays Taez, aux mains des Houthis depuis 2015, a été reprise par les islamistes du parti Al Islah, proche des Frères musulmans, elle demeure le théâtre de terribles affrontements.
La situation reste très complexe, plusieurs factions s’y affrontent, laissant ainsi un terreau favorable à l’expansion des groupes djihadistes.
Mais alors que Téhéran reste en retrait, se contente de réprobations orales et ne fait pas de ce conflit un enjeu central de sa diplomatie, cette guerre devient une guerre par procuration entre l’Arabie Saoudite sunnite et l’Iran chiite.
Si le Qatar et l’Arabie Saoudite, depuis l’arrivée de Mohamad Ben Salman, apportent leur soutien aux rebelles islamistes des Frères musulmans, les Emirats Arabes Unis, quant à eux, restent en retrait, leur objectif n’étant pas de renforcer le pouvoir de la Confrérie. Ils ont même accordé l’hospitalité sur leur territoire à l’ancien président Ali Abdallah Saleh.
D’autres pays arabes ont tout simplement refusé de participer à cette opération militaire : le Pakistan, et surtout l’Egypte qui a vite compris le piège d’un éventuel renforcement des Frères musulmans au Yémen.
Les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne y apportent, quant à eux, leur contribution en vendant des armes à la Coalition et en lui fournissant du renseignement.
Les conséquences politiques incommensurables de cette guerre
Plusieurs tentatives de négociations de paix ont eu lieu sous l’égide d’Oman, plusieurs trêves ont échoué, trop d’acteurs, trop d’enjeux différents. Ryad et les Houthis s’accusent mutuellement de violer la trêve.
Plus grave encore, Al Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA), à l’origine de l’attaque contre Charlie Hebdo en janvier 2015, sort renforcée de cette guerre et l’EI s’y est durablement implantée.
Les pertes en hommes et en matériel pour l’Arabie Saoudite sont considérables et le roi Salman est vivement critiqué par la communauté internationale y compris par ses alliés les plus proches. Avant de quitter la Maison Blanche, l’administration Obama a diminué son aide et son soutien à l’Arabie Saoudite. Mais le mal est fait et rien ne dit que la nouvelle administration américaine de Donald Trump ne va pas être tentée de poursuivre la guerre pour venir en aide à un allié de longue date, l’Arabie Saoudite, contre l’Iran considéré comme l’ennemi.
Aucune excuse n’explique le silence presque total des médias occidentaux pendant ces deux années de guerre.
En coulisses, les membres de cette Coalition sous les pressions de l’Arabie Saoudite ont demandé le retrait du texte proposé par les Pays-Bas réclamant une enquête internationale sur les crimes de guerre commis au Yémen. Ce texte devait être présenté à la commission des Droits de l’Homme des Nations Unies.
L’Emir Abdelazziz Ibn Saoud le fondateur de l’Arabie moderne avait déclaré sur son lit de mort « Le bonheur du Royaume est dans le malheur du Yémen ». Il ne savait pas si bien dire…
Patricia Lalonde | 10 février 2017
Chercheur à l’IPSE
Source: https://www.iveris.eu/list/articles_dactualite/250-yemen_un_silence_assourdissant