Par Houria Ait Kaci
L’annonce d’un Conseil de transition du Sud Yémen faite le 11Mai à Aden, sans l’aval de Ryadh, par des séparatistes soutenus par les EmiratsArabes Unis, s’opposant au Président Abd Rabbo Mansour Hadi, allié de Ryadh, afait éclater au grand jour les divisions au sein de la Coalition militairecontre le Yémen, menée par l’Arabie Saoudite. Ce Conseil, qui n’a duré que 48heures, a remis en cause la « légitimité » du Président Hadi qui aservi de motif au déclenchement de la guerre contre le Yémen, sous prétexte desoutenir un président « légitime » chassé du pouvoir par sesopposants, les Houthis (Ansar Allah).
Selon les dernières informations, les principaux dirigeantsde ce Conseil se sont désavoués et Abou Dhabi lui a retiré sa caution, enréaffirmant après une réunion à Ryadh du CCG, sa soumission au rôle deleadership de l’Arabie Saoudite au sein de la Coalition, impliquant le soutienà la « légitimité de Hadi ». Pourtant, la gestion de la ville d’Aden,devenue « capitale provisoire » pour accueillir le Gouvernement deHadi, après sa fuite de Sanaa en 2015, a été contestée par le mouvement du Sud,(séparatiste) et par la population par de grandes manifestations de rue, fin Avril.
Le revirement des « séparatistes » et d’Abou Dhabi, s’esteffectué à la suite de fortes pressions exercées par l’Arabie Saoudite etprobablement aussi de leur allié les Etat Unis, selon le politologue Ali HassenAlkhwlani qui n’exclue pas une compétition entre Ryadh et d’Abou Dhabi pourobtenir les faveurs du nouveau Président américain, Ronald Trump, attendu àRyadh pour un sommet avec les dirigeants arabes. Il faut voir là aussi unemanifestation de la lutte pour le leadership entre les deux pays, qui n’ont pastotalement les mêmes objectifs et les mêmes intérêts au Yémen.
ABOU DHABI VEUT SEULEMENT LE PORT D’ADEN ET RYADH VEUTTOUT LE YEMEN
Selon des sources informées du Golfe, les Emirats ArabesUnis qui contrôlent Aden, ne voulaient plus entendre parler de Hadi depuisquelques temps déjà, jusqu’à devenir une pomme de discorde avec Ryadh, prenant parfoisla tournure d’affrontements violents entre les deux camps. Ainsi, un aviontransportant Hadi, en provenance de Ryadh, s’est vu refusé d’atterrir àl’aéroport d’Aden. Ces divisions ont été minimisées jusque là, pour maintenirl’unité soft au sein de la Coalition, mais voilà qu’elles éclatent au grandjour.
« Middle EastMonitor », a révélé qu’Abou Dhabi a invité le royaume saoudien à"lâcher Mansour Hadi sous peine de quoi les Émirats iraient retirer leursforces du Yémen". Des sources informées soutiennent des relations au plusbas, entre le prince saoudien Mohamed Ben Salmane et le prince héritierémirati, Mohammed Ben Zayed, surtout après le déploiement des forces terrestressaoudiennes dans des bases militaires appartenant à Hadi, pour empêcher leurattaque par les avions des Emirats, qui ont menacé de viser les militairessaoudiens !
Profitant du mécontentement provoqué à Aden, par lelimogeage fin Avril, de l’ancien gouverneur d'Aden, Aidarous al-Zoubaidi et de Haniben Brik, tous deux membres du mouvement séparatiste du Sud (qui revendique laséparation avec le Nord du Yémen), les Emirats ont soutenu la création de ce Conseil,qui a annoncé la séparation avec le Nord du Yémen. Leur limogeage avait dépluaux EAU, tout comme leur a déplu le remplacement de Zoubaidi au poste degouverneur d’Aden, par un membre du parti el Islah (Frères musulmans) soutenupar Ryadh mais rejeté par Abou Dhabi, selon la presse yéménite.
Mais ce recul émirati ne signifie pas que les divergences etles luttes pour le leadership ont disparu. Elles portent sur une lutte d’intérêtsdans le Sud du Yémen où les groupes terroristes Al-Qaïda et Daesh contrôlentégalement une bonne partie du territoire. Cette région est très convoitée pourses richesses pétrolières, mais aussi pour ses ports, ses espaces maritimes géostratégiquescomme le détroit de Bab el Mandeb et ses iles environnantes.
D’après des observateurs, Abou Dhabi est surtout intéressépar le port d’Aden et certaines iles alentour pour construire des ports et développerdes projets touristiques dans le Sud du Yémen (après sa séparation d’avec le Nord),envisageant de quitter la coalition après s’être assuré que ses intérêtsseraient bien défendus, par les forces séparatistes ? Par contre Ryadh, veutcontrôler Bab el Mandeb et tout le Yémen qu’il considère comme sa profondeurstratégique. L’Arabie Saoudite envisage d’acheminer son pétrole vers le port deHadramaout au Sud du Yémen, d’où l’exporter, pour éviter le détroit d’Ormuz, contrôlépar l’Iran.
Ainsi pour le site américain “Moon of Alabama”, du 29 Avril écritque « Les Émirats arabes unis ont soutenu la guerre saoudienne avec desforces capables. Mais les Émirats arabes unis ne veulent que le port d’Aden etses installations de chargement de pétrole à proximité, pour son entreprise degestion portuaire DP World. Les Saoudiens veulent que les ports soient desdébouchés pour leurs exportations de pétrole, loin de leurs ports du GolfePersique, que l’Iran pourrait facilement bloquer. Mais ils veulent aussicontrôler tout le Yémen ».
Jusque là, l’Arabie Saoudite et ses alliés locaux, n’ont pasréussi à s’emparer du détroit de Bab el Mandeb, d’où leur acharnement sur le portde Hodeïda considéré comme porte d’entrée à ce détroit et seule voie d’accèspour le débarquement des marchandises importées et l’arrivée des aideshumanitaires pour le Nord du pays. Selon Ryadh, ce port, encore sous contrôledes forces Houtis/Salah,- servirait à l’envoie des armes iraniennes à leursalliés les Houthis. Or le contrôle des navires entrant au Yémen n’a apporté aucunepreuve de cette prétendue aide iranienne,depuis le début de la guerre, selon l’avis même des experts de l’ONU.
ATTAQUE CONTRE HODAIDA UNE OPTION GENOCIDAIRE ENCORESUR LA TABLE ?
Pour empêcher la famine et le manque de médicaments de tuerdes millions de yéménites, la communauté internationale et humanitaire ademandé à préserver Hodeïda de toute attaque militaire de la part de laCoalition arabe et de son soutien les Etats Unis. Ce port civil réceptionne 80% des importations et l’aide humanitaire cruciale pour les yéménites. L’ONU, l’UnionEuropéenne et plusieurs ONG ont lancé une alerte. Il semblerait que cetteoption génocidaire serait toujours sur la table, comme une épée de Damoclès.Son déclenchement retardé, dépendrait peut être, de la visite du Président desEtats Unis Ronald Trump à Ryadh prévue le 21 Mai ?
L’ONU a averti, que toute attaque contre le port de Hodeïdaprovoquerait le déplacement d’au moins 400.000 personnes de cette ville, versl’est du pays, selon le directeur du service d’urgence pour les migrants,Mohamad Abdi Ghair. Ce nombre s’ajouterait au million de personnes qui ont déjàfui leurs habitations pour se réfugier dans des camps de fortune. PlusieursONG, ont mis en garde contre toute attaque contre ce port qui sert de principalevoie d’acheminement aux vivres et aux médicaments.
Si les tentatives pour s’emparer de Hodeïda ont échoué, parcontre la guerre économique a déjà montré ses visibles résultats, à travers cesmillions de gens qui ont perdu leurs moyens de subsistance détruits par desbombardements intensifs. Les embarcations de pêche, les fermes, le bétail, lespoints d’eaux, les routes, les ponts ont été détruits, non sans provoquer lafamine chez des milliers d’habitants, mourant à petit feu, sous l’œil descaméras des chaines de télévision qui ont eu le courage de montrer ces images reflétantune barbarie sans nom, qu’est la famine comme arme de guerre.
L’ONU a averti que toute attaque contre le port de Hodeïdaprovoquerait le déplacement d’au moins 400.000 personnes de cette ville, versl’est du pays, selon le directeur du service d’urgence pour les migrants,Mohamad Abdi Ghair. Ce nombre s’ajouterait au million de personnes qui ont déjàété déplacées à cause des bombardements pour se réfugier dans des camps defortune.
Cependant, à Sanaaet à Hodeïda, aussi bien la population que les forces militaires se préparent àcette « mère de toutes lesbatailles », pour assurer la défense de cette ville-port du Nord Yémen.Cette défense passe d’abord par le contrôle de Mokha, un port mitoyen mais pluspetit, que plusieurs offensives de la Coalition n’ont pu faire tomber. Larésistance de l’armée et des forces nationales (Houthis/Saleh) a occasionné plusieurs pertes aux militaires de laCoalition, dont des émiratis, des soudanais et des sudistes yéménites, qui sesont approchés.
« L’armée yéménite est munie de missiles qui n’ont pas étéencore dévoilés et qui pourraient bien surprendre l’Arabie saoudite et lesÉtats-Unis, au cas où ils déclencheraient une guerre contre le port d’al-Hudaydah», selon le site web yéménite nthnews.net, dans un article en date du 1er Mai,cité par PRESS TV. « Une source bien informée auprès de l’armée yéménite arévélé que les unités balistiques du pays suivaient de près les agissementsmilitaires et stratégiques de la coalition américano-saoudienne et qu’ellesprendraient pour cible, si nécessaire, les navires US et les bases militairesde la coalition, dans les îles de Bab el-Mandeb, par des missiles jamaisdévoilés auparavant », dont les C-802 de fabrication chinoise.
Selon la même source, « les forces yéménites seraienten mesure de détourner les systèmes de défense américains et de prendre pourcible les capitales des pays agresseurs, avec leurs missiles Barkan-3 etqu’elles seraient capables d’attaquer les navires des ennemis avec des missilessophistiqués sol-mer ». Des missiles yéménites ont déjà frappé Ryadh etDjeddah.
Les batailles militaires pourraient dont s’intensifier surles cotes ouest du Yémen, alors que la situation socio-économique du pays connaitune aggravation avec la famine et les maladies, comme le choléra, qui sont desconséquences de la guerre. Le représentant humanitaire des Nations Unies auYémen, Jimmy McGoldrick a admis que : "La fermeture de l'aéroport deSanaa et la banque centrale, ainsi que la situation économique sont lesfacteurs clés de l'émergence d'épidémies ».
Du 27 Avril au 13 Mai, pas moins de 8.595 cas de suspicionde choléra ont été enregistrés et le nombre total des victimes a atteint 115 dansla capitale Sanaa et 14 provinces. Lapropagation de cette épidémie a amené les autorités à décréter l’Etat d’urgenceà Sanaa, après avoir constaté que les cas recensés dépassent les «moyenneshabituelles» et que le système de santé dans la capitale est «incapable decontenir cette catastrophe», selon le ministère de la Santé yéménite.
«Nous sommes maintenant confrontés à une grave crise decholéra», a déclaré Dominik Stillhart, directeur des opérations du CICR lorsd'une conférence de presse à Sanaa, indiquant que « les centreshospitaliers, toujours opérationnels au Yémen malgré la guerre, étaientdébordés par un afflux massif de malades présentant des symptômes de choléra. Ily a jusqu'à quatre patients atteints de choléra dans un seul lit». Pas moins de160 hôpitaux et infrastructures médicales ont été détruits, par les bombardementsde la Coalition. Il craint une aggravation de la situation. « Il estabsolument crucial que la communauté internationale prête plus d’attention à ceconflit et y trouve une résolution. En l’absence de solution, il faut [auminimum] respecter la loi humanitaire internationale», a-t-il dit à RT fr.
Avec la famine qui menace 19 millions de personnes et lesmaladies qui se propagent, le Yémen est en situation de catastrophe humanitaire.Il est temps que la communauté internationale pèse de son poids pour fin àcette guerre meurtrière, à ce génocide, qui a déjà fait plus 12.000 victimes, détruitl’essentiel des infrastructures civiles du pays et de ses moyens desubsistance.
POUTINE : « LE MONDE ISLAMIQUE PEUT ENTIEREMENTCOMPTER SUR LE SOUTIEN ET L'ASSISTANCE DE LA RUSSIE »
« Le peuple yéménite souffre atrocement des effets d’uneagression lancée par la coalition saoudienne à laquelle prennent activementpart les États-Unis, la Grande-Bretagne et Israël, une agression qui n’a aucunfondement légal ou éthique… Cela fait trois ans que le Yémen est victime d’unblocus terrestre, maritime et aérien et que leurs installations sont à 90%réduites en cendres. Les Yéménites ont faim et sont en manque de soinsmédicaux. Ils vont droit à la catastrophe humanitaire», écrit l’ancienprésident yéménite Ali Abdallah Salah, qui dirige le parti du Congrès généraldu peuple, au Président de la Russie, Vladimir Poutine.
L’appel lancé à la Russie pour « s’activer dans le dossieryéménite », évoque « le poids et la place qu’occupe la Russie sur la scèneinternationale ». Saleh demande à Poutine« de faire pression sur le Conseil de sécurité de l’ONU » pour que la Coalitionsaoudienne mette fin à ses frappes et « un terme à son blocus des aéroports,des passages et des ports du pays pour laisser l’aide humanitaire parvenir à lapopulation ».
La Russie qui a mis en garde contre toute attaque contre Hodeïdaet envoyé des aides humanitaires au Yémen, va-t-elle s’impliquer plusactivement dans la recherche de solution au conflit yéménite ? Il faut le croire,si on considère le message du Président Poutine qui vient d’assurer « lemonde islamique de son soutien dans la lutte antiterroriste », ens’adressant aux participants du groupe « Russie - monde islamique ». « Le mondeislamique peut entièrement compter sur le soutien et l'assistance de la Russie.Nous sommes prêts à accroître la coopération avec nos partenaires pour faireface aux forces terroristes et chercher des voies de règlement négocié auxcrises régionales » rapporte Sputnik.
Le poids de la Russie, va certainement peser dans lasolution au conflit yéménite, au moment où l’ONU tente de relancer le dialoguepolitique entre les différentes parties, au point mort depuis aout 2016. L’envoyéspécial au Yémen Ismail Ould Cheikh Ahmed a rencontré à Ryadh le gouvernementHadi et les ambassadeurs des pays qui parrainent l'initiative de l'ONU. Le Koweïtqui a abrité les derniers pourparlers yéménites, durant trois mois, s’est ditprêt à accueillir les parties yéménites « au cas où une formule définitiveest trouvée pour une solution qui mette fin à la crise en cours dans cetterégion », selon l’Agence de presse KUNA.
“La guerre saoudienne contre le Yémen, soutenue activementpar les États-Unis, ne mène nulle part. Les Saoudiens perdent quotidiennementdes soldats, à cause d’incursions yéménites dans le sud de l’Arabie saoudite.Il n’y a aucune chance que les forces soutenues par l’Arabie saoudite puissents’emparer de la région contrôlée par les Houtis/Saleh, au Nord du Yémen, ni sacapitale, Sanaa » écrit le site Moon of Alabama déjà cité.
Il reste cependant à en persuader le Président Ronald Trumplors de sa visite à Ryadh afin qu’il mette fin à ce génocide et aux interventionsaméricaines à l’étranger, comme il l’avait promis lors de sa campagneélectorale et de ne pas sacrifier les millions de vies humaines au seul bénéficedu marché de l’armement.
Houria Ait Kaci
Journaliste