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Syrie : une intervention militaire n'est pas pour demain

29-08-2012 13:18  Contribution

Ci-contre le système russe de défense antiaérienne Buk M2 dont est équipée l'armée syrienne. © Mikhaël Metzel / AP/Sipa

Depuis un an et demi que la rébellion a éclaté en Syrie, les grandes démocraties occidentales se sont bien gardées d'intervenir militairement. L'opposition syrienne est priée de compter sur ses propres forces, comme l'a dit crûment le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius, en déclarant que l'aspect militaire du conflit était "l'affaire des Syriens". L'immobilisme occidental qui prévaut depuis le début de la guerre civile n'est pas près de changer.

Trop inquiets de la situation qui prévaudrait après le départ de Bachar el-Assad, les dirigeants européens et américains se contentent de quelques actions symboliques. Ils regardent passer quelques armes légères fournies à l'Armée syrienne libre par des monarchies du Golfe, en livrant peut-être quelques équipements civilo-militaires "non létaux", comme des systèmes de vision nocturne ou des moyens de communication. Ces derniers étant évidemment plus commodes à suivre par des moyens d'écoute électronique quand on les a soi-même fabriqués.

Ni armes antichars, ni missiles antiaériens

Mais concernant les seuls armements qui seraient efficaces contre les chars de l'armée loyaliste ou contre les avions d'attaque au sol et les hélicoptères, l'ASL ne peut compter sur personne. Ni armes antichars en nombre suffisant ni missiles antiaériens ne lui ont été livrés. Les services secrets des pays de l'Otan et des régimes arabes alliés sont néanmoins à la manoeuvre, s'agissant de l'exfiltration des cadres fuyant le régime Assad. Les Français de la DGSE ont été actifs - avec leurs homologues saoudiens - dans plusieurs fuites bien organisées, dont celle du général Manaf Tlass, début juillet.

Pour soutenir la rébellion syrienne, l'éventualité de la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne a été émise le 8 août par la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton. Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a fait son effet en déclarant le 23 août que "l'hypothèse d'une zone particulière autour de laquelle il pourrait y avoir une espèce d'interdit, cette hypothèse émise par Hillary Clinton, mérite d'être étudiée. (...) Mais c'est la première fois que les États-Unis tiennent ce discours."

Grande prudence d'Hillary Clinton

Les propos de la secrétaire d'État américaine peuvent effectivement être entendus de cette façon. Mais quand on se reporte précisément à la transcription officielle du point de presse commun tenu le 11 août avec le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu, les propos d'Hillary Clinton sont nettement moins explicites. Elle ne cite pas le terme "no fly zone", mais, en répondant à un journaliste qui l'évoque, elle dit précisément ceci : "Ce sont exactement les points sur lesquels le ministre [turc] et moi sommes d'accord pour dire qu'ils nécessitent une analyse en profondeur plus poussée. C'est une chose de parler de toutes sortes d'actions possibles. Mais vous ne pouvez pas prendre des décisions motivées sans une analyse et une planification opérationnelle approfondies."

Elle avait auparavant précisé : "Nos services de renseignements et nos militaires ont de très importantes responsabilités et des rôles à jouer." Traduction de ce langage diplomatique d'une prudence toute féline : on ne bouge pas plus qu'hier et ce n'est pas demain que ça va changer.

Zone d'exclusion aérienne "faisable" ?

En réalité, la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne au-dessus de l'ensemble de la Syrie est totalement exclue. Elle serait peut-être possible, et encore, sur une zone très limitée. Dans une interview à l'AFP le 24 août, le diplomate et chercheur auprès de la Fondation de la recherche stratégique (FRS) François Heisbourg, qui participe actuellement aux discussions sur le futur Livre blanc de la défense, estime que la mise en place d'une telle zone serait aisée : "Militairement, c'est relativement facile et pas très compliqué. Faire une zone d'exclusion partielle est quelque chose qui est faisable, à petite échelle, à des fins humanitaires, le long de la frontière. Par exemple, sur 20 kilomètres le long de la frontière turque, vous prévenez le gouvernement syrien qu'aucune activité aérienne militaire de la Syrie ne sera acceptée. Ensuite, les Syriens mettent au défi ou ne mettent pas au défi."

Sur le papier, Heisbourg a raison. C'est "faisable". Dans les faits pourtant, c'est beaucoup plus compliqué que cela. Et d'abord parce que, militairement parlant, la Syrie n'est pas la Libye. Si les Russes n'ont (sans doute) finalement pas vendu leurs très puissants missiles sol-air S-300 à la Syrie, l'armée de Bachar el-Assad dispose néanmoins de systèmes performants, comme le Pantsir-S1, appelé SA-22 Greyhound par l'Otan, combinant des canons de 30 mm et des missiles antiaériens sur le même véhicule. Ils disposent également du 9K37 Buk M2E, lui aussi considéré comme très performant. Les aviateurs syriens auraient certainement du mal à faire face à leurs homologues occidentaux, de la même façon qu'ils ne font pas le poids face aux Israéliens. Il n'empêche que l'éventuelle mise en place d'une zone d'exclusion aérienne exigerait des moyens considérables.

Rien sans les Américains

Premier élément indispensable : les avions radars Awacs. Pour interdire le survol d'une zone, ils servent de détecteurs à la chasse et tiennent à jour la situation opérationnelle. Il en faut deux en permanence pour contrôler la Syrie et ses abords. Chaque avion patrouille huit heures. Il en faut donc six pour tenir 24 heures. Si on tient compte des temps de route et de maintenance, cette mission ne peut pas être conduite avec moins de douze avions. La France en possède quatre, dont un qui ne vole pas. Les Britanniques et l'Otan en disposent également, mais rien ne pourra se faire sans des moyens américains.

Barack Obama tiendra-t-il à ouvrir un nouveau front à quelques mois de l'élection présidentielle ? Rien n'est moins sûr... Faire voler en permanence des avions de chasse au-dessus de la Syrie exigerait au préalable que les systèmes antiaériens syriens soient mis hors d'état de nuire. Cette mission appelée DEAD (Destruction of Enemy Air Defenses) n'implique pas d'anéantir ces moyens (on parle alors de SEAD pour Suppression of Enemy Air Defenses), mais il faut les rendre inopérants par des contre-mesures électroniques, voire la destruction des radars d'acquisition ou de tir.

Le Phantom turc abattu : un indice...

Pour le général Jean-Patrick Gaviard, qui fut naguère commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes de l'armée de l'air française, "les nouveaux systèmes antiaériens russes sont de vraies véroles. Ils éclairent très peu leurs cibles, savent réseauter et renvoyer des pistes d'un système à l'autre en cas d'attaque. On sait que les Russes ont récemment livré du matériel performant. Ce ne serait pas une partie facile. La destruction du RF-4 Phantom turc début juillet par la DCA est un bon indice. Les Syriens ont su identifier, coordonner et donner l'ordre d'ouverture du feu avant la destruction."

Sauf dans l'hypothèse où le régime syrien accepte pour des raisons humanitaires de ne plus faire voler ses avions ou ses hélicoptères au-dessus d'une partie de son territoire, une telle opération exigerait des moyens considérables. Dans tous les cas, les Européens ne semblent pas en mesure de jouer un premier rôle dans une éventuelle opération aérienne de longue durée autour de la Syrie. Il faudrait donc que les moyens soient américains, avec un (petit) appui européen. Que ceux qui y croient lèvent le doigt !

Par Jean Guisnel in Le Point.fr le 27 août 2012



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