Le Belge Pierre Piccinin, enlevé en Syrie et libéré dimanche avec le journaliste italien Domenico Quirico, a affirmé lundi que le gaz sarin n'avait pas été utilisé par le régime de Bachar Al-Assad, une déclaration accueillie avec prudence par le chef de la diplomatie belge Didier Reynders et son compagnon d'infortune.
C'est un devoir moral de le dire. Ce n'est pas le gouvernement de Bachar Al-Assad qui a utilisé le gaz sarin ou autre gaz de combat dans la banlieue de Damas. Nous en sommes certains suite à une conversation que nous avons surprise, a dit sur la télévision belge RTL-TVI M. Piccinin, un enseignant enlevé en Syrie en avril.
A nouveau interrogé dans la soirée sur la même chaîne, il a réitéré cette affirmation, en précisant que cette conversation impliquait le général de l'ASL (Armée syrienne libre) qui nous séquestrait et un officier d'Al-Farouk, un groupe de rebelles. De cette conversation, ressort clairement que le régime d'Al-Assad n'est pas responsable de l'utilisation de cette arme chimique dans la banlieue de Damas, a-t-il répété.
Dans un entretien publié par son journal, La Stampa, M. Quirico a clairement pris ses distances avec les déclarations de M. Piccinin. Il a précisé ne pas savoir qui étaient les gens dont il a surpris une conversation, ni quel degré de fiabilité il pouvait leur accorder.
Nous ne savions rien de ce qui se passait, pas même à propos de l'attaque avec les gaz, a dit M. Quirico.
Selon lui, les participants à cette conversation disaient que l'attaque au gaz dans deux quartiers de Damas avait été l'oeuvre des rebelles comme provocation pour inciter l'Occident à intervenir militairement et que selon eux le nombre de morts était exagéré. Je ne suis absolument pas en mesure de dire si cette conversation était basée sur des faits réels ou si c'était juste un bavardage comme ça et je n'ai pas l'habitude de donner du crédit à des mots entendus à travers une porte, a insisté M. Quirico.
Interrogé sur ces propos, M. Piccinin s'est dit un petit peu étonné. C'est son point de vue peut-être (...) Je pense qu'il y a peut-être eu un malentendu dans la déclaration qu'il a faite, a réagi Pierre Piccinin sur RTL-TVI.
Longtemps favorable au régime de Bachar al-Assad, M. Piccinin a affirmé que depuis mai 2012 (il soutenait) férocement l'armée syrienne libre dans sa juste lutte pour la démocratie.
Nous allons écouter ses déclarations, les lire, et ensuite on verra ce qu'on pourra en tirer comme conclusions, a affirmé sur RTL-TVI le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders. M. Reynders a aussi souligné que la Belgique avait déconseillé à M. Piccinin de se rendre en Syrie.
Le chef de la diplomatie belge a aussi assuré que la Belgique n'intervient jamais dans une négociation de paiement de rançon.
Professeur d'histoire dans un lycée de Philippeville (sud de la Belgique), Pierre Piccinin était un habitué des voyages dans le monde arabe.
Au moment de son enlèvement, il effectuait son septième voyage en Syrie depuis le début des troubles en 2011. Il avait été, dans un premier temps, relativement sceptique quant à la rébellion syrienne et défendait des thèses proches de celles du régime de Bachar al-Assad.
Tortureset fausses exécutions
Pierre Piccinin da Prata, de son vrai nom d'origine italienne, qui était détenu en compagnie du journaliste italien Domenico Quirico, est arrivé à Bruxelles lundi à 5h40. L'enseignant de 40 ans était en bonne santé physique et psychologique, "malgré les tortures subies", a-t-il déclaré sur les ondes de Bel RTL et au journal Le Soir.
Les deux détenus, qui étaient entrés en Syrie via le Liban le 6 avril, ont été arrêtés deux jours plus tard par l'Armée syrienne libre à Qussayr, où ils sont restés deux mois. "Les cinq derniers jours ont été terribles. Nous étions enfermés dans une cave sordide aux murs couverts de cafards. Alors que les bombes tombaient à proximité, nous avons failli être ensevelis." Ils ont ensuite été régulièrement déplacés et détenus par différents groupes, "très violents, très anti-Occidentaux et des islamistes anti-chrétiens". "Cela a été une odyssée terrifiante", résume M. Piccinin qui évoque des "violences physiques très dures, des humiliations, des brimades et de fausses exécutions".
L'enseignant n'a eu qu'un seul contact avec sa famille durant ses cinq mois de captivité, grâce à un GSM qu'il a pu se procurer "dans la confusion d'une bataille". Les détenus ont essayé deux fois de s'échapper. "Une fois on a pu aller assez loin. On a profité de la prière pour s'emparer de deux kalachnikovs et nous avons quitté le bâtiment. On a couru la campagne deux jours avant de se faire reprendre et très sérieusement punir", explique M. Piccinin.
Enseignant de l'athénée de Philippeville, historien et politologue de formation, passant ses congés scolaires à voyager dans les zones de guerre, Pierre Piccinin se rendait en Syrie pour la 7e fois depuis le début du soulèvement populaire en 2011. Il ne compte pas y retourner prochainement, a-t-il laissé entendre.
"La révolution syrienne a connu une évolution très importante depuis 7-8 mois. L'Armée syrienne libre s'est quasiment évaporée. On est actuellement face à des vagues islamistes, du brigandage de certains groupes qui rançonnent les territoires qu'ils contrôlent. Je pense qu'il est devenu très dangereux pour des Occidentaux d'encore se rendre en Syrie. La révolution est en pleine déliquescence et tourne à autre chose."
L'enseignant sera entendu par le parquet fédéral
Pierre Piccinin sera prochainement entendu par le parquet fédéral dans le cadre du dossier ouvert à la suite de son enlèvement en Syrie, a confirmé le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, à l'agence Belga.
Un agent des Affaires étrangères a été en contact permanent avec la famille de M. Piccinin, précise M. Reynders. "Nous avons organisé des réunions avec les différents services concernés (Défense, Sureté de l'Etat, ...) et mis nos moyens logistiques à disposition. Nous avons également mis la famille du détenu en relation avec les autorités italiennes, tout en précisant à ces dernières que conformément à nos principes, nous ne participerions pas à des négociations en vue du paiement d'une rançon."
Le chef de la diplomatie belge tient à ce que l'ancien otage puisse désormais se reposer, avant d'être entendu par le parquet fédéral. Celui-ci avait repris l'enquête ouverte par le parquet de Dinant à la suite de la plainte déposée par les parents de M. Piccinin.
L'ancien otage a indiqué à plusieurs médias, dans la foulée de son retour en Belgique, qu'il avait des révélations à faire sur l'usage d'armes chimiques en Syrie. "C'est un devoir moral de le dire. Ce n'est pas le gouvernement de Bachar al-Assad qui a utilisé le gaz sarin ou autre gaz de combat dans la banlieue de Damas. Nous en sommes certains suite à une conversation que nous avons surprise", a ainsi déclaré l'enseignant.(Agences)