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Syrie : La loi César se retournera contre ses architectes

12-06-2020 19:47  Contribution

 À la mi-juin, les sanctions américaines contre la Syrie vont s’intensifier, avec la promulgation de la « loi César », qui vise à « poursuivre les individus, les groupes, les entreprises et les pays qui ont des échanges avec le gouvernement de Damas ». Cette loi, prétendument nommée en l’honneur d’un officier de l’armée syrienne qui a fait sortir clandestinement des milliers de photos d’actes de torture infligés par l’armée syrienne dans les prisons, est destinée à empêcher les entreprises et les pays d’avoir des relations diplomatiques avec la Syrie et de contribuer à la reconstruction, aux investissements et à la fourniture de pièces détachées pour les secteurs de l’énergie et de l’aviation en Syrie. Les sanctions touchent également la banque centrale syrienne, en gelant les avoirs des personnes qui transigent avec la Syrie et en invalidant leur visa pour l’Amérique. Qui respectera cette loi et quelles en sont ses conséquences pour la Syrie, le Liban et les pays voisins de la Syrie ?

La torture est une pratique courante dans de nombreux pays dans le monde. La Syrie a pratiqué la torture (Maher Arar) pour le compte des USA et de l’administration Bush. Au moins 54 pays (du Moyen-Orient et de l’Afrique, mais aussi des pays occidentaux comme l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Canada, la République tchèque, le Danemark, la Finlande, l’Allemagne, la Grèce, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, l’Espagne, la Suède, le Royaume-Uni et d’autres) ont soutenu les «extraditions extraordinaires » des USA en 2001 et les détentions secrètes sous le président Barack Obama. Washington n’a donc aucune autorité morale pour invoquer l’opposition à la torture comme fondement de sa politique.

Au cours des dernières décennies, les USA se sont taillé toute une réputation en autorisant des formes horribles de torture, en dépouillant des personnes de leurs droits les plus fondamentaux et, de manière générale, en violant les droits de la personne au mépris de la Convention de Genève et surtout de la Convention des Nations Unies contre la torture de 1984.

James Mitchell, un psychiatre sous contrat avec la CIA qui a contribué à la rédaction et à la mise en application des « techniques d’interrogation améliorées », a révélé plusieurs méthodes approuvées par l’administration américaine pour torturer des prisonniers placés en détention dans des « sites noirs » en dehors des USA, toutes illégales mais autorisées officiellement. Les images de torture dans les prisons d’Abu Ghraib ont montré au monde entier que les USA ont eu recours à la torture et à des méthodes d’interrogatoire illégales contre les détenus en Irak.

Les nouvelles sanctions des USA contre la Syrie ne peuvent donc pas signaler de manière plausible que les USA se soucient des valeurs humaines et s’opposent à l’abus de pouvoir. En outre, l’adhésion de l’administration américaine à sa propre constitution est sérieusement mise en doute lorsqu’on voit la réaction des forces de sécurité contre les manifestants aux USA en réponse à la discrimination raciale généralisée et aux violences policières à caractère raciste.

Dans les années 1990, les USA ont imposé des sanctions contre l’Irak (pétrole contre nourriture) qui ont tué des centaines de milliers de citoyens irakiens, sans que le régime de Saddam Hussein et son entourage en soient affectés. Par conséquent, on peut dire qu’en règle générale, les sanctions américaines affectent principalement la population et non les dirigeants.

Les USA ne se rendent pas compte qu’ils ont cessé d’être la seule superpuissance au monde, notamment au Moyen-Orient. La Russie a réalisé ce que bon nombre croyaient impossible en s’immisçant au Levant afin de rester en Syrie et d’affronter l’OTAN à la frontière. La Chine s’est également frayé un chemin au Moyen-Orient en tant que superpuissance économique montante, principalement en Irak et en Syrie. L’Iran a déjà une forte présence et de puissants alliés au Liban, en Syrie, en Irak et en Palestine. La Russie, la Chine et l’Iran, ainsi que la Syrie, jouent un rôle de premier plan pour mettre fin à l’hégémonie américaine dans cette partie du monde.

À Beyrouth, le gouvernement ne peut adopter la loi César, s’y plier et fermer ses portes à la Syrie. Les seuls postes-frontière terrestres du Liban traversent en Syrie, Israël étant considéré comme un ennemi. Tout plan économique national visant à revitaliser l’important secteur agricole local en exportant des produits vers la Syrie, l’Irak ou d’autres pays du Golfe échouerait si la loi César entrait en vigueur. Toute industrie régénérée ou tout échange commercial avec les pays du Moyen-Orient doit franchir la « porte syrienne ». Le gouvernement libanais actuel risque également de tomber s’il applique les sanctions américaines. Washington ne fournit aucun appui financier à l’économie libanaise en crise et n’a nullement l’intention d’offrir l’aide immédiate nécessaire pour la relever. Les USA, comme c’est devenu la norme, cherchent à imposer des sanctions et des conditions aux pays qu’ils ciblent, mais offrent peu en retour aux autres pays que cela affecte. Dans le cas du Liban, son déficit budgétaire frôle les 100 milliards de dollars après des décennies de corruption et de mauvaise gestion.

Le gouvernement du premier ministre Hassan Diab est, en théorie, un gouvernement technocratique et apolitique. Il ne voit pas les USA comme un ennemi, mais il ne suivra pas nécessairement les diktats américains, puisqu’il est proche de l’« Alliance du 8 mars » dont les membres qui ont le plus de poids ne sont pas amis des USA. Par conséquent, la seule solution pour ce gouvernement ou tout autre qui suivra consiste à se tourner vers l’est, c’est-à-dire vers la Chine, la Russie et l’Iran. Les USA vont probablement perdre le Liban, puisque ses alliés de l’« Alliance du 14 mars » sont devenus sans voix et impuissants.

Il ne fait aucun doute que le parti chrétien au sein du groupe politique du « 8 mars » sera pris à parti et affecté par les sanctions des USA. Ce groupe possède des relations internationales à entretenir et à surveiller ainsi que des comptes bancaires à l’étranger. Quoi qu’il en soit, la loi César ne peut s’appliquer au Liban, peu importe les conséquences de la violation de ses dispositions.

Pour sa part, l’Iran est déjà soumis à une « pression maximale » et à des sanctions sévères qui augmentent année après année depuis la victoire de la révolution islamique en 1979, parce qu’il ose rejeter l’hégémonie des USA. Il n’a donc aucune considération pour la loi César américaine. De plus, l’Iran voit d’un assez bon œil que les USA bloquent la réouverture des ambassades des pays du Golfe en Syrie, qui n’oseront pas aller contre la volonté des USA. Les sociétés commerciales du Golfe  ne sont donc plus sur place comme concurrents qui se partageraient les contrats de reconstruction avec l’Iran pour des projets dans les secteurs de l’industrie, du commerce et de l’énergie. L’Iran a déjà défié les sanctions des USA et de l’UE contre la Syrie en envoyant des pétroliers à Damas. De plus, Téhéran a envoyé cinq pétroliers au Venezuela, un autre pays qui souffre de dures sanctions américaines. Les pays du Golfe et les pays européens – alliés des USA – perdent ainsi une occasion de revenir en Syrie, de participer à sa reconstruction et de reprendre pied au Levant.

Quant à la Russie, elle vient de signer un accord avec le gouvernement syrien pour agrandir son aéroport militaire et ses bases navales à Tartous, Hassaké et Hmeimim. Elle fournit aussi à la Syrie du matériel militaire moderne et répond aux besoins de l’armée syrienne pour qu’elle atteigne sa pleine puissance. Elle a fourni à la Syrie des escadrons de chasseurs MiG-29 modernisés ce mois-ci, qui se voulait un message clair aux USA en réponse à leurs sanctions découlant de la loi César.

Pour ce qui est de la Chine, elle est maintenant dans une situation de « guerre froide » à cause des USA qui accusent Pékin d’être responsable de l’éclosion de COVID-19. Les USA ne veulent pas que Pékin entre sur le marché européen, notamment afin d’empêcher l’Europe d’adopter le réseau et la technologie 5G de la Chine. L’administration américaine pousse également Israël à réduire ses échanges commerciaux avec la Chine et à annuler ses contrats avec ce pays qui s’élèvent à un milliard de dollars, afin d’éviter de « nuire aux relations avec les USA ». En outre, les relations entre l’Irak et les USA ont pris un sérieux coup lorsque l’ancien premier ministre Adel Abdel Mahdi a conclu avec la Chine l’accord « pétrole contre reconstruction », d’une valeur de 20 milliards de dollars. La Chine, qui est déjà engagée dans différents projets en Syrie, ne respectera probablement pas la loi César.

Pour en revenir à la Syrie, elle n’acceptera jamais la famine et ne cédera pas au siège économique des USA. Le président Bachar al-Assad reconstruit les zones libérées sous contrôle des forces gouvernementales. Il reconstruit les infrastructures utilisées par la population syrienne présente dans la patrie, à l’exclusion des zones abandonnées par les réfugiés qui ont fui le pays et qui seront nombreux à ne pas revenir. Le gouvernement syrien ne souffre pas de l’absence des cinq à sept millions de réfugiés à Idlib, dans les camps de réfugiés hors du contrôle du gouvernement et dans les pays limitrophes. Ces réfugiés sont financés et pris en charge par la communauté internationale et les Nations Unies. Cela soulage le gouvernement central d’un fardeau financier considérable.

Par conséquent, la Syrie n’a pas besoin de reconstruire des maisons pour les réfugiés et de leur fournir du pétrole, de l’électricité, des écoles, des infrastructures et des subventions tant que les pays occidentaux souhaiteront qu’ils restent en dehors de la Syrie. La communauté internationale veut que ces réfugiés restent hors du contrôle du gouvernement central et met tout en œuvre pour empêcher leur retour, de façon à pouvoir rejeter une future élection présidentielle que Bachar al-Assad va sûrement remporter.

Le président Assad collaborera avec l’Iran, la Russie et la Chine pour combler ses besoins. L’Iran a défié les sanctions américano-européennes en envoyant des pétroliers en Syrie qui ont passé par le détroit de Gibraltar à deux reprises. L’Iran construit des usines de fabrication de médicaments en Syrie et s’affaire à d’autres projets de concert avec la Russie et la Chine. La Syrie se tourne vers l’est et non vers l’ouest, car c’est la seule option qui lui reste. C’est le rêve de longue date de l’Axe de la Résistance. Le Liban, la Syrie et l’Irak se tournent vers l’Asie pour contrecarrer les sanctions américaines et européennes qui pèsent contre eux et leurs alliés au Moyen-Orient.
En imposant de nouvelles sanctions étouffantes à la Syrie, les USA aident le Levant à sortir de la sphère d’influence et de la présence américaines.

L’Iran, la Russie, la Chine et la Syrie s’unissent en tant qu’alliés dans le cadre d’un projet intégré contre l’hégémonie des USA. La domination d’un État sur un autre n’a pas sa place dans ce concert de nations, où la solidarité est nécessaire pour aider la Syrie, par exemple, à se relever en tant que pays sain et fiable capable d’affronter les USA. Leur force s’accroît à mesure que la faiblesse des USA devient plus apparente, à un moment où le président Donald Trump lutte sur le plan intérieur et où son influence dans le monde s’affaiblit. Washington impose unilatéralement des sanctions aux pays et aux populations, en forçant certains de ses alliés à suivre, ce qui les amène à envisager sérieusement la possibilité de se détacher de ce « cordon ombilical » qui les étrangle.

La loi de César des USA vise à soumettre et à réprimer la nation et le peuple syriens, comme Washington a tenté de le faire avec l’Iran et le Venezuela, mais en échouant lamentablement jusqu’ici. Cette politique ne peut plus être efficace, car l’alliance russo-chinoise-iranienne est devenue importante pour de nombreux pays du Moyen-Orient. L’influence de cette alliance s’étend maintenant à la mer des Caraïbes. La loi de César se retournera contre ses architectes : « celui qui prépare le poison finira par l’avaler ».

Par Elijah J. Magnier ; traduction Daniel G.



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