Par Max Blumenthal
A 0:58 de la vidéo filmée en compagnie du présentateur Lee Camp ci-dessus (donnée en anglais à titre de référence), le journaliste d’investigation Max Blumenthal explique que James Mattis, le secrétaire américain de la défense disait vendredi dernier ne pas avoir de preuves formelles de l’implication d’Assad dans l’incident de Douma, ou même d’une attaque chimique tout court. Ses sources, continue Blumenthal, étaient selon Mattis « les réseaux sociaux, qui démontraient que cette attaque avait réellement eu lieu ». A 1:41, Blumenthal se pose la question de l’identité de ces « sources sur les réseaux sociaux ». Et la réponse est que, tout comme l’année dernière pour Khan Cheikhoun où un incident similaire avait déclenché des frappes de représailles contre la Syrie d’Assad de la part des USA, ces sources sont principalement deux : les Casques blancs et la Syrian American Medical Society (Société médicale syrienne américaine, acronyme anglais SAMS).
Qui est la SAMS ?
Des rapports sur des allégations non prouvées d’attaque chimique à Douma, la ville de Syrie auparavant occupée par le groupe rebelle Armée de l’Islam (Jaych al Islam), reposent invariablement sur une source-clé : la Fondation Syrian American Medical Society (SAMS). Avec les Casques blancs, la SAMS a été citée par le Washington Post, le New York Times, CNN et virtuellement tous les médias occidentaux qui rapportent l’incident. A Douma, l’équipe de la SAMS a affirmé avoir traité plus de 500 personnes qui présentaient des symptômes « d’exposition à un agent chimique ».
Le groupe a également joué un rôle central dans la mise en forme de la version officielle de l’attaque au sarin de la zone occupée par al-Qaïda de Khan Cheikhoun en avril 201, fournissant des échantillons biomédicaux à l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC), qui violait son protocole établi en acceptant des éléments d’enquête sans chaîne de traçabilité vérifiable. Cet incident a déclenché le lancement en représailles de 57 missiles de croisière sur une base aérienne syrienne par l’armée américaine. Presque exactement un an plus tard, un événement étonnamment similaire est censé avoir dépassé la « ligne rouge » encore une fois, et a provoqué un assaut des USA et de leurs alliés.
La SAMS affirme être une « organisation médicale apolitique, à but non lucratif », et est citée comme autorité crédible par les médias qui rapportent les événements de Douma. Très peu de publications sont disponibles sur les origines de l’organisation en tant qu’émanation de l’opposition islamiste, sur son engagement dans des opérations d’influence sophistiquées à la frontière de la Syrie avec la Turquie, ou de sa proche relation avec des éléments néocons de Washington et des affiliés d’Al-Qaïda en Syrie.
La SAMS n’est pas seulement un groupe de médecins syriens qui soigne des blessés dans des zones de guerre, et ne peut pas non plus être considérée comme une source objective sur des attaques chimiques ou autres atrocités. L’organisation est un lobby puissant soutenu par l’USAID* qui fonctionne avec une détermination sans faille poour soutenir la guerre de changement de régime et mettre des islamistes au pouvoir à Damas.
La SAMS a été fondée en 1998 par des membres de la diaspora syrienne aux USA, qui est concentrée dans la banlieue de Chicago. Avant la rébellion armée de 2011 contre le président Bachar el-Assad, le groupe avait envoyé plusieurs délégations médicales en Syrie, probablement en coopérant avec le gouvernement pour avoir ses entrées. Un ancien membre de la SAMS m’a contacté pour me dire que la révolte armée avait vu une prise de pouvoir du Comité directeur par des sympathisants des Frères musulmans. Elle m’a dit qu’elle et d’autres membres chrétiens et laïques avaient démissionné du groupe alors qu’il se transformait en ce qu’elle a décrit comme « l’hôpital mobile chirurgical militaire d’Al-Qaïda » (acronyme anglais MASH, en référence au film, NdT)
Financements de l’USAID, liens avec l’OMPI anti-iranienne
Selon le rapport financier de la SAMS pour 2015 (PDF), le budget de l’organisation a bondi de 672,987 dollars en 2013 à presque 6 millions de dollars en 2015 – il a donc presque été décuplé. Plus de 5,8 millions de dollars de ce financement provenait de l’USAID, un bras du Département d’Etat qui maintient son propre ‘Bureau des initiatives de transition’ pour appuyer les changements de régime dans les pays ciblés par l’Occident. Le directeur exécutif de la SAMS David Lillie se trouve également être un ancien employé de l’USAID, tout comme le directeur des opérations de la SAMS Tony Kronfli.
Presque tout au long du conflit en Syrie, les opérations de la SAMS ont été supervisées par Zaher Sahloul, un agent ardemment anti-iranien engagé dans la promotion d’une guerre de changement de régime contre le gouvernement syrien. Après avoir insisté, sans succès, auprès de Barack Obama pour instaurer des no-fly zones de l’OTAN dans le ciel syrien, une politique dont Hillary Clinton avait admis qu’elle allait « tuer de nombreux Syriens », Sahloul a accusé le président d’avoir « autorisé un génocide en Syrie ». Le 20 septembre 2016, Sahloul a participé à un rassemblement new-yorkais qui visait à pousser à un confit avec l’Iran, également. Le rassemblement était organisé par des exilés iraniens de l’OMPI (Organisation des moudjahiddines du peuple iranien), une organisation internationale louche dédiée à un changement de régime en Iran qui a été décrite comme « un culte terroriste ». L’ancien sénateur néocon Joseph Lieberman, un bénéficaire des largesses de l’OMPI, figurait parmi les orateurs. Quelques jours plus tard, le journaliste néocon Eli Lake a salué Sahloul et ses collègues , selon lui « des Syriens-Américains qui tenaient tête à l’Iran ».
L’American Coalition for Syrian Relief, une ONG affilée à la SAMS, a soutenu l’appel du président Donald Trump à des « zones de sécurité » en Syrie, un euphémisme pour des no-fly zones qui demanderaient les forces aériennes des USA pour être instaurées. Pendant ce temps, pour donner plus de poids à ses efforts, Sahloul s’est coordonnéavec la Jewish United Federation of Chicago, une organisation islamophobe de premier plan et une opposante majeure à l’organisation de la solidarité en Palestine.
Le fils de Sahloul, Adham, a travaillé en tant que lobbyiste de la SAMS à Gazientep, en Turquie, la base des services de renseignements occidentaux et locaux qui coordonnaient les opérations d’insurrection et d’information à la frontière syrienne. Tout en contribuant à plusieurs médias soutenus par le Qatar comme Middle East Eyeet Al Araby, Adham Sahloul avait auparavant travaillé pour Portland Communications, une firme de relations publiques fondée par un ancien expert en communication de Tony Blair (en 2016, le leader syndicaliste britannique Len McCluskey avait accuséPortland Communications d’être à la tête de la tentative de coup d’État des partisans de Tony Blair contre le nouveau leader du Labour, Jeremy Corbyn. [les « Blairites » ont mené plusieurs charges coordonnées contre Jeremy Corbyn pour le renverser et reprendre le contrôle du Labour (le Parti travailliste britannique), NdT].
Pour sa part, Zaher Sahloul a traité les journalistes critiques de « cinquième colonne qui ont fait l’apologie de criminels de guerre » et d’« équivalents de la machine de propagande d’Hitler ».
Opérations de manipulation de l’information, du cœur d’Al-Qaïda jusqu’à Washington
Les unités d’assistance à la coordination de la SAMS ont envoyé des aides et monté des hôpitaux de campagne dans des camps de réfugiés et des territoires contrôlés par les insurgés de Syrie. A Idlib, la zone sous contrôle d’Al-Qaïda où la SAMS opère aux côtés de l’administration dirigée par les insurgés, « la mixité dans les écoles a été abolie, les femmes forcées de porter le voile et des posters d’Oussama Ben Laden ont été accrochés aux murs », selon Joshua Landis, le directeur du Centre d’études sur le Moyen-Orient de l’université de l’Oklahoma. Bien que la SAMS déclare entretenir 100 hôpitaux en Syrie, toute vérification ou évaluation indépendante est virtuellement impossible, étant donné que les journalistes occidentaux volontaires pour tenter d’accéder à ces zones sont régulièrement kidnappés ou tués. En 2015, selon le Washington Post, la Banque Chase a clôturé le compte bancaire de la SAMS sans explication.
Sahloul a dirigé un groupe sur WhatsApp qui semble avoir fourni aux médias internationaux les premières images d’Omran Daqneesh, le « petit garçon poussiéreux » d’Alep-Est, dont l’image traumatisée a immédiatement été placardée à la Une des journaux et tenue pour preuve de la cruauté inouïe d’Assad. Les images originales avaient été prises par Mahmoud Raslan, un activiste affilié à Nourideen al-Zinki, un groupe insurgé soutenu par la CIA qui avait décapité un prisonnier palestinien de 19 ans.
Un an plus tard, le père d’Omran, Mohammad Kheir Daqneesh, a révélé que sa famille et lui avaient été exploités par des activistes insurgés. Un Casque blanc avait arraché Omran de ses bras pour le poser dans une ambulance, a déclaré Mohammad Daqneesh. Il a aussi révélé qu’un démagogue de la télévision saoudienne avait offert à sa famille une forte somme pour se faire porte-parole de l’opposition armée, mais qu’en tant que partisane du gouvernement syrien, elle avait refusé. A la suite de cette révélation, Omran a été soustrait à la vue des Occidentaux et supplanté par des mascottes de l’opposition islamiste syrienne comme Bana Alabed, Noor et Ala, et Mohamed Najem (comme Bana, Noor et Ala ont récemment figuré dans une opération-séduction photographique en compagnie du président turc Recep Tayyip Erdogan et se sont vus accorder la nationalité turque à titre honorifique.)
Revenons à Washington. La SAMS se vante d’être « devenue leader dans la représentation et l’engagement des législateurs, » et de faire du lobbying auprès du Congrès, du Département d’État et des Nations-Unies pour un changement de régime en Syrie. « Quand la SAMS parle, les gens écoutent, » selon une citation d’un officiel non nommé du Département d’État publiée dans une brochure promotionnelle de la SAMS. Et tant pis pour leur image de groupe « apolitique » d’humbles médecins de terrain.
Le 16 avril 2015, Sahloul et le coordinateur de la SAMS à Idlib Mohamed Tennari ont témoigné devant le Conseil de sécurité des Nations-Unies et allégué d’attaques au chlore par le gouvernement syrien contre le canton d’Idlib sous contrôle d’Al-Qaïda. La rencontre était orchestrée par l’ambassadrice des USA à l’ONU de l’époque, Samantha Power, partisane active d’une intervention militaire en Libye et en Syrie (Tennari a ensuite été dépeint comme « un médecin de terrain syrien » par CNN ; son travail dans un territoire contrôlé par Al-Qaïda a été omis.)
Lors de son gala annuel, le 6 mars 2017, la SAMS a accueilli l’ancien ambassadeur des USA Frederic Hof, le directeur sur le départ du Rafik Hariri Center, une émanation du think tank néocon Atlantic Center de Washington DC financée par des Etats du Golfe. Devant son auditoire, Hof a appelé à une augmentation des transferts d’armes aux rebelles syriens, à une no-fly zone contrôlée par les USA pour Idlib, la province occupée par des affiliés locaux d’Al-Qaïda, et à un blocage de la reconstruction des infrastructures détruites en Syrie jusqu’à la réussite du changement de régime.
Un peu plus d’un an plus tard, en se fondant principalement sur les affirmations d’agents de terrain de la SAMS, les USA, le Royaume-Uni et la France ont semblé vouloir concrétiser les aspirations de l’opposition syrienne. Et, alors qu’une guerre catastrophique pourrait s’annoncer, les populations restent dans le flou sur l’une des organisations-clés de ces exhortations à la guerre.
Max Blumenthal
Paru sur The Grayzone Project et RT sous le titre Al-Qaeda’s MASH unit: How SAMS is selling regime change & driving US to war
Traduction et source pour la version française : Entelekheia
*Note de la traduction : L’USAID, en français agence des États-Unis pour le développement international, est selon son intitulé une organisation américaine dédiée à l’assistance internationale indépendante du gouvernement des USA. Nous ne savons pas ce que le mot « indépendante » est censé signifier ici, étant donné qu’elle constitue – très officiellement – une branche du Département d’État des USA.
Max Blumenthal est un journaliste d’investigation primé. Il a co-fondé Alternet et travaillé pour le Daily Beast, Al Akhbar, The Nation, Al Jazeera English, Salon.com, Alternet, le Huffington Post, le Washington Monthly et Media Matters for America. Il a écrit deux livres, Goliath et Republican Gomorrah.