Les Soudanais ont bravé les gaz lacrymogènes vendredi pour crier leur colère contre le gouvernement, au cinquième jour d'une vague de protestations contre une hausse du prix des carburants dans laquelle des dizaines de personnes ont été tuées.
A Omdurman, ville jumelle de Khartoum, 2.000 manifestants ont crié A bas le pouvoir de l'armée et Non à la hausse des prix, et ne se sont pas dispersés lorsque la police a tiré des gaz lacrymogènes, a rapporté un correspondant de l'AFP.
Ils ont répondu aux premiers tirs en scandant: Notre marche est pacifique et certains ont déployé un drapeau géant du Soudan et entonné l'hymne national.
Auparavant, les policiers ont dispersé à coups de gaz lacrymogènes de petits groupes de manifestants qui s'étaient formés à l'issue de la prière du vendredi dans plusieurs ruelles d'Omdurman.
La police a également tiré des grenades lacrymogènes à Khartoum Bahri, au nord de la capitale, et dans les parties sud et est de Khartoum, pour tenter de disperser des défilés similaires, qui réunissaient chacun plusieurs milliers de personnes, selon des témoins.
Malgré ces tirs, la plupart des manifestants sont restés dans la rue en continuant à scander des slogans contre le pouvoir, ont assuré ces témoins.
A Wad Madani, ville au sud de Khartoum où avaient débuté les protestations lundi, de petites manifestations ont été dispersées par les policiers, selon des habitants.
Des policiers et des soldats étaient déployés en force dans la capitale en prévision de ces manifestations, auxquelles ont appelé Sadek al-Mahdi, figure de proue de l'opposition, ainsi que des militants réclamant le départ du président Omar el-Béchir.
Depuis la décision lundi du gouvernement de lever des subventions sur les carburants, les Soudanais ont manifesté en masse dans plusieurs régions et les protestations ont par endroits dégénéré avec des heurts et des attaques contre des biens publics et privés.
Le gouvernement continue de garder officiellement le mutisme face à la contestation d'une ampleur inégalée depuis l'arrivée au pouvoir de M. Béchir en 1989.
Les habitants font des provisions
Avant les manifestations de vendredi, l'internet a été coupé dans ce qui semble être une tentative d'empêcher les activistes de communiquer sur les lieux des défilés.
Les militaires ont mis en place des cordons de sécurité autour des stations-services encore ouvertes et devant lesquelles les files d'attentes pouvaient compter des dizaines de voitures.
En ce jour de repos hebdomadaire, les habitants se sont pressés pour acheter des denrées alimentaires.
Je veux que ma famille ait assez de provisions, car nous ne savons pas où vont les choses, a affirmé un employé de 50 ans, Ahmad Hassan, qui achetait des boîtes de conserve.
Dans un communiqué, l'alliance des jeunes de la révolution soudanaise, qui contribue à l'organisation de la contestation sur les réseaux sociaux, a demandé au peuple soudanais de poursuivre sa révolution et réclamé la démission du chef de l'Etat (...) ainsi que du gouvernement corrompu.
Black-out sur les manifestations
Le parti Oumma de l'ex-Premier ministre Sadek Al-Mehdi a appelé ses membres à participer aux manifestations et le peuple soudanais à intensifier les protestations.
Ces derniers jours, la police était intervenue pour disperser les manifestants dans plusieurs régions parfois en tirant de balles en caoutchouc, selon les témoins.
African Centre for Justice and Peace Studies et Amnesty International ont affirmé que 50 personnes avaient péri mardi et mercredi lors des manifestations après avoir été touchées par balles à la tête ou à la poitrine.
Des sources hospitalières et la police ont pour leur part fait état d'un bilan de 29 morts. La plupart sont des civils tués par la police, ont précisé témoins et proches.
Pour maintenir le black-out médiatique sur les manifestations, les autorités ont saisi ou empêché de paraître trois quotidiens: Al-Soudani, Al-Majhar Al-Siassi et Al-Watan.
Le Soudan connaît depuis 2012 des manifestations sporadiques contre le régime qui n'ont cependant pas attiré les foules comme dans plusieurs pays de la région, où des chefs d'Etat ont été renversés par la rue.
Le Soudan a perdu des milliards de dollars de revenus pétroliers depuis l'indépendance il y a deux ans du Sud. Il est depuis touché par une inflation galopante et peine à financer ses importations.
Al-Arabiya fait état de la fermeture de son bureau à Khartoum
La chaîne de télévision à capitaux saoudiens Al-Arabiya a annoncé vendredi que les autorités soudanaises avaient décidé de fermer son bureau à Khartoum pour protester contre la façon dont elle couvrait les manifestations dans ce pays.
Les autorités soudanaises décident de fermer le bureau d'Al-Arabiya à Khartoum, a annoncé le chaîne à l'écran, après avoir indiqué que son chef de bureau dans la capitale soudanaise avait été convoqué au sujet de sa couverture des manifestations au Soudan contre la levée des subventions sur les carburants.
Al-Arabiya, basée à Dubaï, s'est distinguée par sa couverture active des manifestations de Soudanais, dont plusieurs ont été tués depuis lundi par les tirs de la police.
Sa concurrente directe, la chaîne du Qatar Al-Jazeera, semble au contraire en retrait sur cette couverture et continue de donner une large place aux manifestations en Egypte des partisans du président Mohamed Morsi, un islamiste qui a été destitué par l'armée égyptienne et emprisonné le 3 août.
Le Qatar, qui s'en défend, est accusé de soutenir partout les Frères musulmans, confrérie à laquelle appartient M. Morsi et à laquelle sont liés les islamistes au pouvoir au Soudan. (Afp)