Le premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, rappelle que son pays a vécu une décennie de lutte contre le terrorisme dans les années 1990, qui a causé 200 000 morts, et appelle les Etats à dépasser leurs divisions politiques et religieuses pour en finir avec l’organisation Etat islamique (EI).
Paris vient d’être frappé par des attentats. L’Algérie a connu une décennie de violences. Les deux situations sont-elles comparables ?
Nous avons vécu en Algérie ce qui se passe aujourd’hui dans certains pays, notamment en France. Nous connaissons bien cette question. Mais à l’époque nous étions, pour ainsi dire, seuls à combattre le terrorisme islamiste. Certaines théories – comme le « qui tue qui ? » – remettaient même en cause l’action du gouvernement. Mais nous avons mis un terme à ces violences. Au début, c’est vrai, par une politique du tout-sécuritaire mais qui a été suivie par une politique de réconciliation nationale prônée par le président Bouteflika et qui a donné des résultats, puisque le pays connaît depuis la stabilité.
Que préconisez-vous ?
Nous pensons qu’il faut une réponse globale du monde civilisé face au phénomène Daech [acronyme arabe de l’EI]. Je sais que le président Hollande veut saisir l’ONU pour qu’une résolution sur la lutte contre le terrorisme soit adoptée.
Aller aux Nations unies est la meilleure solution : il est nécessaire que l’ensemble des pays jouent le jeu dans cette affaire, sinon nous n’arriverons pas à venir à bout de ces groupes. Voyez ce qui se passe en Syrie : ces différents pays qui agissent par mouvements interposés.
Daech profite de ces divisions internationales et arrive, comble du comble, à exporter du pétrole pour acheter des armes. Ce sont des contradictions qu’il nous faut absolument dépasser. Il faut agir sur le plan sécuritaire mais aussi agir pour éteindre les foyers où ce phénomène est né.
Qu’on le veuille ou non, ce qui s’est passé en Irak, en Syrie, en Afghanistan ou en Libye a contribué à cette flambée de terrorisme. C’est ce qui a permis à ce phénomène de se développer. Aujourd’hui, il est impératif que les pays s’unissent pour le combattre et pour rétablir les équilibres.
Il faut oublier les divisions politiques, religieuses. Daech se nourrit de la lutte entre chiites et sunnites, des reliquats de la guerre d’Irak. Il faut avoir cette vision globale et se mettre d’accord pour que chaque pays fasse de la lutte contre le terrorisme sa priorité numéro un.
Nous devons prendre conscience que le monde s’est mondialisé aussi sur le plan criminel. En septembre 2014, le Français Hervé Gourdel était décapité en Kabylie par un groupe se réclamant de l’EI.
L’Algérie est-elle aujourd’hui à l’abri de telles actions ?
Personne ne l’est. Il y a des groupes qui circulent, des djihadistes partis combattre, notamment en Syrie, qui risquent de rentrer dans leur pays d’origine.
D’après les estimations internationales, le nombre d’Algériens concernés est nettement moins important que pour d’autres pays de la région [moins d’une centaine].
Cela s’explique notamment par la conscience de ce que nous avons vécu pendant la décennie 1990, par la politique de réconciliation qui a été menée.
Pour autant, personne n’est à l’abri. Nous continuons à prendre des mesures pour combattre le terrorisme. Comme lors de l’attaque contre le site gazier de Tiguentourine [prise d’otages en janvier 2013, 37 otages tués].
Pour peu que vous alliez dans la complaisance, vous ne vous en sortirez pas, car vous n’avez pas à faire à un ennemi classique. Nous sommes frontaliers de pays en grande difficulté.
Nous avons 1 000 km de frontières communes avec la Libye, plus encore avec le Mali. J’espère que d’ici à la fin de l’année nous pourrons aider à mettre en place un gouvernement de transition en Libye qui puisse s’appuyer sur une force internationale.
Le 1er décembre, nous réunirons tous les pays voisins, la Tunisie, le Niger, le Tchad, le Soudan, et l’Egypte. Il faut pousser la mise en place de ce gouvernement, et lui donner des moyens pour stabiliser le pays, sinon c’est un autre Daech qui sera aux portes de l’Europe. Depuis les bombardements en Syrie, certains djihadistes sont revenus en Libye. L’Algérie joue le jeu de la sécurité et de la stabilité en Méditerranée.
Selon certains médias, le président Bouteflika aurait récemment quitté l’Algérie pour se faire soigner en Europe.
Non, le président est là et reçoit cet après-midi [jeudi 19 novembre] le premier ministre maltais. Je suis en liaison tous les jours avec lui.
Il n’a pas quitté le pays. Son état de santé est toujours le même. Il suit les affaires du pays et donne ses instructions au jour le jour.
Il y a deux semaines, un groupe de 19 personnalités algériennes, pourtant réputées favorables au président, a publié une lettre ouverte remettant en question sa capacité à gouverner.
Qui dirige aujourd’hui l’Algérie ?
Le pays est dirigé par le président de la République. Je le sais car je suis son premier ministre. Les grandes décisions ne sont prises que par lui-même ou avec son assentiment. Il a la vision sur tout. La dernière fois que le président s’est adressé en public au peuple algérien remonte au 8 mai 2012.
Comprenez-vous le désarroi des Algériens ?
Il n’y a pas de désarroi des Algériens.Je me déplace beaucoup dans le pays. Tout le monde sait que le président a beaucoup fait pour le pays. Si aujourd’hui nous arrivons à faire face à une chute drastique de nos recettes [avec une perte de 40 % des recettes en dollars], c’est grâce à deux mesures prises par le président : la décision de rembourser notre dette par anticipation et celle de créer un fonds de réserve qui peut nous permettre de passer le cap sur trois à quatre années. A condition de prendre des mesures pour réduire nos importations et réorienter l’économie pour créer de la richesse en dehors des hydrocarbures.
Etes-vous inquiet ?
Pas inquiet, mais vigilant. Nous ne sommes pas dans la situation de crise des années 1980 où le pays était endetté et n’avait presque plus de réserves. Nous avons devant nous trois ou quatre ans. Il faut absolument que l’on réussisse le pari de la diversification économique.( Le Monde)