Le scénario de l’accusation d’Al-Assad d’utiliser des armes chimiques à Idlib est prêt afin de justifier une agression « quadripartite» de la Syrie par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne
Nous sommes dans l’expectative. Tout le monde retient son souffle en attendant le début de la bataille d’Idlib. Personne ne sait exactement quand elle débutera.
On sait juste que le Président Vladimir Poutine est bien décidé à mener une offensive préparée dans le plus grand secret, d’après son vice-ministre des affaires étrangères, Oleg Syromolotov, afin d’exterminer les « terroristes » basés dans la ville et aux alentours, et lui faire retrouver la souveraineté syrienne. Poutine considère que la proposition turque de cessez-le-feu sert les terroristes et les protège. Pour lui, tous les combattants armés sont des terroristes. C’est ce qu’il a déclaré lors de la conférence de presse concluant le sommet tripartite de Téhéran. Il considère que le gouvernement syrien a le droit d’étendre sa souveraineté à l’ensemble de la Syrie, Idlib incluse, et il n’est pas question pour lui de reculer.
La position turque exprimée par le Président Rajeb Tayeb Erdogan durant ce même sommet et dans un tweet se résume au refus de toute opération militaire de grande ampleur ainsi que de la politique du fait accompli à Idlib, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, visant à achever l’opposition syrienne. La Turquie considère que l’opposition modérée peut diriger Idlib dans le futur et elle est prête à assurer la protection de la base aérienne russe de Hmeïmim près de Lattaquié. Cette position turque vise à échanger les rôles avec des idées derrière la tête, ou marque le début d’un désaccord et peut-être d’une rupture avec l’allié russe avec un retour dans le camp américain. Tout est possible en politique.
Le journal de droite Wall Street Journal, considéré comme proche de l’administration américaine, rapporte d’après de hauts responsables que le Président Donald Trump « étudie la possibilité de frappes américaines contre les forces russes et iraniennes en Syrie ». Il affirme aussi que « le Président Al-Assad a donné son accord pour l’utilisation de chlore dans l’attaque d’Idlib, ce qui pourrait entraîner une réaction américaine », et que le Ministère de la défense a préparé le « scénario» d’une intervention armée, qui n’attend plus que l’accord du Président pour être exécuté.
Une opération militaire punitive contre le régime d’Al-Assad
Le journal allemand Bild a répété les mêmes choses et a rapporté les propos de la Ministre de la défense, Ursula von der Leyen, disant que les Etats-Unis ont demandé à l’Allemagne de participer à une opération militaire punitive contre le régime d’Al-Assad s’il utilisait les armes chimiques.
Le scénario probable est que le trio russo-irano-syrien lance l’assaut afin de récupérer Idlib, avant que nous ne voyions les Casques blancs secourir des enfants épuisés et ayant du mal à respirer suite à l’utilisation d’armes chimiques par le « régime ». L’agression quadripartite pourra alors commencer avec le bombardement des troupes menant l’assaut, exactement comme cela s’est produit à Douma dans la Ghouta orientale et avant cela à Jisr Al-Shoughur.
Quand le Wall Street Journal écrit que « les responsables américains sont convaincus que le Président Al-Assad a donné l’ordre à ses troupes d’utiliser des armes chimiques (chlore) », il faut se demander comment ces responsables sont si certains de cette information ? Ont-ils participé à la réunion dans laquelle cette décision a été prise ?
La Turquie est entre les deux camps et il faut guetter la position d’Erdogan, qui est « embarrassé »
La position turque face à l’imminente bataille d’Idlib est floue et il faut la guetter attentivement car elle pourrait bien jouer un rôle majeur dans le développement des événements. Cela pourrait avoir un rôle négatif ou positif sur l’alliance stratégique russo-turque renforcée durant ces deux dernières années.
On peut déduire des déclarations des responsables turcs, dont le Président Erdogan lui-même, que la Turquie se prépare à la guerre mais que ses responsables militaires ne sont pas prêts à utiliser la force contre une attaque syro-russo-iranienne, malgré l’envoi de chars à Idlib. Cette déduction s’appuie sur les menaces proférées par Bulent Yldrym, Président de la Fondation turque pour l’aide humanitaire, à l’encontre de l’Union européenne d’ouvrir les frontières à plus d’un million de réfugiés syriens voulant rejoindre l’Europe si elle n’intervenait pas pour stopper l’assaut russe contre la ville. Ces menaces signifient que la Turquie ne peut pas fermer ses frontières devant les habitants d’Idlib, ni les combattants, car des centaines de milliers d’entre eux vont se diriger vers la Turquie. Ouvrir le feu sur eux aboutirait à un massacre peut-être plus grand que celui commis par les avions russes et syriens durant le bombardement de la ville.
L’autre point qui nous rend quasiment certains que le Président Erdogan n’interviendra pas militairement contre l’assaut russo-syro-iranien à Idlib est un paragraphe du communiqué commun du sommet de Téhéran. Dans ce dernier, les trois chefs d’Etat s’engagent à poursuivre leur coopération afin de détruire totalement les organisations terroristes et les distinguer de l’opposition syrienne armée modérée. Le Président Erdogan a approuvé ce paragraphe sans réserves.
Erdogan va-t-il accepter la solution proposée par l’opposition et négocier avec Damas pour relancer l’accord d’Adana ?
Le fait que le parti républicain d’opposition qui a soutenu le Président Erdogan durant le coup d’état militaire et le désaccord avec les Etats-Unis ait défini une « feuille de route » pour régler la crise d’Idlib, avec comme principales mesures le rétablissement des liens avec le Président Al-Assad, la destruction des organisations terroristes, le désarmement des combattants et la nouvelle application de l’accord d’Adana de 1998 entre les deux voisins, renforce cette hypothèse. D’autant que cette feuille de route reflète l’opinion de la moitié du peuple turc, si ce n’est plus.
Nous ignorons si le Président Erdogan va tenir compte de cette feuille de route, car il a écarté toutes négociations avec le gouvernement syrien à son retour du sommet de Téhéran, ce qui pourrait avoir des conséquences négatives sur son pays et sur lui-même, compte tenu du soutien total apporté par ses partenaires russes et iraniens à l’assaut contre Idlib et au rétablissement complet de la souveraineté syrienne sur la ville.
Nous savons bien que les menaces échangées entre les Etats-Unis et la Russie font partie d’une guerre psychologique visant sans doute à favoriser des négociations afin d’empêcher des confrontations militaires, mais nous savons aussi que le Président Poutine est déterminé à mener la bataille d’Idlib afin de consolider ses avancées en Syrie et exécuter son plan d’extermination des groupes classés comme terroristes menaçant les républiques musulmanes voisines de la Russie. Ces groupes incluent des combattants tchétchènes et ouigours. Ils menacent ses bases militaires en Syrie et la stabilité interne de la Russie. Poutine a le soutien total de la Chine et veut envoyer un message à ses alliés au Moyen-Orient et dans le monde disant qu’il ne trahi jamais ses alliés, quel qu’en soit le prix.
Les jours prochains seront difficiles et remplis de surprises avec un affrontement entre les Etats-Unis et la Russie menant peut-être à une mini-guerre mondiale avant l’heure. Toute attaque quadripartite menée par les Etats-Unis sur des cibles syriennes et iraniennes donnera nécessairement lieu à une réaction. S’il démarre, ce combat pourrait être le plus grand et le dernier de l’histoire… Mais cela, seuls les jours nous le dirons.
Abdel Bari Atwane:
Rédacteur en chef du site d’information arabophone londonien en ligne Ray al-Yaoum
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