Dire qu’aujourd’hui la situation politique, économique et sociale en Algérie est préoccupante constitue un euphémisme, ayant été banalisée par les différents gouvernants qui se sont succédé depuis des décennies, en panne d’idées, vivant de l’illusion de la rente éternelle.
1.-Les dernières données des statistiques douanières de novembre 2019 n’incitent guère à l’euphorie, autant que la baisse d’environ de 25% du niveau des ventes de gaz (33% des recettes de Sonatrach) en direction de l’Europe en 2019, selon Bloomberg. Les prévisions de l’AIE donnent un cours du pétrole relativement bas pour 2020, le marché des hydrocarbures (pétrole -gaz) étant dominé par les tensions USA/Chine, USA/ Iran la forte production des USA de la Russie, du Qatar parallèlement à la faiblesse de la demande , la perspective d'une offre abondante et du nouveau modèle mondial de consommation énergétique. Le cours du pétrole a été coté le 26 novembre 2019 en début d’après midi à 62,69 dollars le Brent et à 58,11 le Wit. Et pour le gaz entre janvier et le 26 novembre, le cours a fluctué, variable selon les mois, entre 4,93 et 2,53 dollars le MBTU. Toujours très dépendante des hydrocarbures, ayant été un acteur actif lords des réunions OPEP/ non OPEP, la Russie table à moyen terme, sur un baril de pétrole à 50/55 dollars, selon la déclaration en ce mois de novembre 2019 de son ministre de l'Energie Alexandre Novak. A cela s’ajoute la pression des partenaires pour faire baisser les prix tant du GNL (24%) que les exportations par canalisation(76% Medgaz Espagne) et Transmed, la plus grande canalisation fonctionnant en sous capacité ( Italie ) en référence au marché spot dont les prix ont chuté de plus de 40% entre 2005/2019, ayant nécessité d’importants investissements , la baisse en volume étant passée d’environ 65 milliards de mètres cubes en 2000/2002 à 51 milliards entre 2018/2019. A cela s’ajoute la forte consommation intérieure du fait de subventions généralisées non ciblées dont uniquement pour le gaz il est prévu 60 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2030 et 100 horizon 2035/2040, ce qui au rythme actuel, et sans une nouvelle politique énergétique, devrait entrainer une baisse très sensible des exportations. Il est fort probable que même la loi des hydrocarbures de 2013 amendée en novembre 2019, aura un faible impact sans l’insérer dans le cadre d’une loi organique de la transition énergétique .Aussi, l’Algérie ne possédant pas une économie diversifiée, 98% de ses recettes en devises avec les dérivées provenant des hydrocarbures, du fait d’importants retards dans les réformes structurelles, devra se préparer à contrecarrer une très grave crise économique 2021/2022, supposant la résolution rapide de la crise politique et la réorientation de toute la politique économique .
2. Le document de référence doit être la balance de paiement qui inclut les sorties de devises des services et pas seulement la balance commerciale qui se limite aux biens. Concernant la balance commerciale Les exportations durant les neuf premiers mois de 2019 ont atteint près de 27,21 milliards de dollars (mds usd), contre 31,07 mds usd à la même période, soit en tendance annuelle fin 2019, environ 36,29 milliards de dollars. Les hydrocarbures hors dérivées ont représenté l'essentiel, 92,91%, étant passées de 25,28 mds usd, contre 28,89 mds usd, à la même période 2018 avec une baisse de 12,52%, soit en tendance annuelle 33,70 milliards de dollars. Quant aux importations, elles ont atteint près de 32,43 mds usd, contre 34,23 mds usd, enregistrant une faible baisse de moins de 5,27% et en tendance annuelle fin 2019 de 43,24 milliards de dollars. La balance commerciale de l'Algérie a connu un déficit de 5,22 milliards de dollars durant les neuf premiers mois de 2019, selon la direction générale des Douanes (DGD), citée par l’APS. Ce qui nous donnerait en tendance annuelle fin 2019 6,96 milliards de dollars. A ce montant il faudra jouer les services qui ont fluctué ente 9/11 milliards de dollars entre 2010/2018, ne pouvant pas les réduire fortement, car n’ayant pas investi dans le savoir. Ce qui donnerait pour un minimum de 9 milliards de dollars de services, un solde négatif de 16 milliards de dollars, restant donc un montant de réserves de change en référence au montant du 318/12/2018 de 79,8 milliards de dollars , d’environ 63 milliards de dollars au 31/12/2019 et ce malgré toutes les restrictions, alors que le gouvernement prévoit 51,6 milliards de dollars de réserves de change fin 2020 .
3.-Ces prévisions ne sont que la conséquence des hypothèses du PLF2020 qui prévoit une coupe sévère dans les dépenses d’équipements (-18 ,7%) et une légère baisse des dépenses de fonctionnement (1,2%). Le niveau des réserves de change fortement dépendant des recettes de Sonatrach, a été calculé avec l'hypothèse d'un niveau des importations, de 38,6 milliards de dollars en 2020 avec un déficit de la balance des paiements de 8,5 milliards USD en 2020 contre 16,6 milliards de dollars en 2019, soit une baisse de 8,1 milliards de dollars, sans montrer comment combler le déficit de l’offre ayant une économie en léthargie. Ainsi, le PLF 2020 prévoit un déficit du budget de -1.533,4 milliards de dinars -12,30 milliards de dollars (-7% du PIB) et un déficit du Trésor de -2.435,6 milliards de dinars -20,65 milliards de dollars (-11,4% du PIB), avec une dette publique de 8530 milliards de dinars -72,30 milliards de dollars- soit 41,4% du PIB. Les recettes se basent sur une augmentation des revenus des exportations des hydrocarbures en 2020 de 2% par rapport à 2019 pour atteindre 35,2 milliards de dollars, le gouvernement reconnaissant un recul des quantités d’hydrocarbures exportées de 12% à fin juillet 2019 après une baisse de 7,3 % en 2018., mais sans préciser que 33% des recettes de Sonatrach proviennent du gaz naturel( GN-76% et GNL-24%) dont le cours a connu une baisse d’environ 40% des dernières années fluctuant pour le cours du marché libre en 2019 entre 2/3 dollars le MBTU. Malgré les sanctions contre l’Iran deuxième réservoir mondial de gaz naturel les clients européens de Sonatrach selon Bloomberg, ont considérablement réduit leur demande » en gaz conventionnel provenant d’Algérie avec une chute de 25% du niveau des ventes attendu en 2019, les exportations algériennes de gaz vers l’Europe étant concurrencées, par les approvisionnements qataries, russes par canalisation et américains devenus le premier producteur mondial avant la Russie à travers ses importants investissements dans le GNL et l’Arabie Saoudite, moins chers du fait du faible cout, et par l’entrée de nouveaux producteurs au niveau mondial dont le Mozambique considéré comme le Qatar de l’Afrique.
4.- Or au rythme des indicateurs de 2019, les réserves de change, existant des limites aux restrictions d’importations déjà fortes en 2019, devraient clôturer au 31/12/2000 à 47 milliards de dollars fin 2020 et non 51,6 comme annoncé par le PLF2020, ce qui supposera une loi de finances complémentaire. Car continuer à restreindre les importations de biens et services, l’Algérie étant une économie fondamentalement rentière, le risque est un l’accroissement du taux de chômage qui risque de dépasser les 13% de la population active. Pour atténuer les tensions sociales , avec une population totale en 2019 dépassant 43 millions et une population active dépassant 12,5 millions, le taux de croissance devrait être pendant plusieurs années, avec une nouvelle architecture économique reposant sur les nouvelles technologies, entre 9/10% en termes réels afin de créer chaque année 350.000/400.000 emplois/an, des emplois productifs et non des emplois rente. Conséquence de la paralysie de la machine économique, nous avons assisté en 2019 à la fermeture et à la la sous utilisation des capacités de milliers d’unités dont les matières premières importées, sans compter les équipements, représentent plus de 85%. La gestion d’un pays doit reposer sur une planification stratégique et non sur des mesures conjoncturelles jouant sur les hypothèses de recettes/dépenses. Sans vision stratégique de développement, tenant compte à la fois de la morphologie sociale interne et des nouvelles mutations mondiales, en perpétuel mouvement , les recettes dépendant fondamentalement de facteurs exogènes ( cours du pétrole et du gaz au niveau international , des fluctuations euro/dollar), il devrait , sans changement de cap de la politique socio économique et d’une nouvelle gouvernance, une récession économique avec de graves incidences sociales entre 2021/2022 avec l’inévitable épuisement des réserves de change courant 2022. Aussi, attention à ces promesses utopiques des candidats à l’élection présidentielle, qui reproduisent les schémas du passé et où trouveront-ils le capital-argent?
5.- Diminuer à tout prix les dépenses publiques, ainsi que la facture d’importation de façon drastique, pour essayer de réduire les déficits, sans vision stratégique, ne pourra que conduire à une récession économique avec de graves conséquences sociales et politiques. Dès lors la majorité des observateurs s’étonnent des promesses utopiques de certains candidats à l’élection présidentielle du12 décembre 2019. Sont –ils conscients de la gravité de la situation socio-économique qui risque d’avoir des conséquences géostratégiques dramatiques pour notre pays? Evitons d’induire en erreur l’opinion publique que la seule loi des hydrocarbures (toujours le mythe de la rente) va automatiquement augmenter les décembre recettes en devises du pays, l’attrait de tout investissement dépendant du climat politique, du climat des affaires dont la stabilité juridique et en plus pour les hydrocarbures du futur nouveau modèle de consommation énergétique , du vecteur prix international et des couts de Sonatrach qui nécessite un nouveau management qui lui fait cruellement défaut, pouvant découvrir des milliers de gisements non rentables financièrement. Méditons l’expérience récente : pour la période 2000/ à fin avril 2019, les entrées en devises ont été supérieur à 1000 milliards de dollars dont plus de 950 provenant de Sonatrach , et sans compter les dépenses en dinars, les sorties de devises, importation de biens et services ont été d’environ 925 milliards de dollars et l’Algérie a eu un taux très modeste de croissance entre 2/3%. L’Algérie dépenserait, selon une étude pour la région MENA, deux plus par rapport à des pays similaires pour avoir deux fois moins de résultats : mauvaise allocation des ressources, mauvaise gestion, corruption ou les trois à la fois ? En résumé, on ne gère pas un pays comme une épicerie, mais en se projetant sur l’avenir dans un monde incertain et turbulent supposant des stratégies d’adaptations perpétuelles. Le futur président de la république, et son gouvernement qui auront la légitimité populaire, devront mettre en place les réformes souvent différées qui seront douloureuses pour arrimer l’Algérie au nouveau monde, supposant un minimum de consensus social ce qui ne signifie en aucune manière unanimisme signe de la décadence de toute société. Il devra revoir le modèle de consommation énergétique dans le cadre d’une loi organique de la transition énergétique, le fonctionnement des institutions, l’actuelle politique économique qui conduit le pays droit au mur. Il y a donc urgence d’une planification stratégique, liant efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale et surtout de la résolution la crise politique, grâce au dialogue productif, sans laquelle aucun investisseur sérieux ne viendra. [email protected]
Références
Voir trois contributions-/interviews American Hetrald Tribune-USA- « Prof. Abderrahmane Mebtoul: Any Destabilization of Algeria would have Geo-strategic Repercussions on all the Mediterranean and African Space 28 décembre 2016 » - Dr. Abderrahmane Mebtoul: « Algeria Still Faces Significant Challenges 11 aout 2016 » - « Prof. Abderrahmane Mebtoul: “The Widespread Financial Scandals Affecting most Sectors of National Activity Threaten the Foundations of the Algerian Stat »-19 octobre 2019 et AfricaPress Paris Professeur Abderrahmane MEBTOUL : Pourquoi l’Algérie risque la faillite d’ici à 2022… et comment la conjurer » 23 juillet 2019- interviews –« Impact de la crise politique sur l’économie » entre 04 et 21 novembre 2019- Télévision France24 Paris- TV Beur-FM Paris - Radio France Internationale- RFI - Paris – Radio Algérie internationale , Radio chaine 3, - quotidien -Chorouk 21/11/2019 – TV Ennahar 25/11/2019 .
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