Le numéro de juillet 2015 de la revue El-DJEICH (revue de l'armée nationale populaire), pose la problématique stratégique de la sécurité nationale passant par la consolidation du front social interne face aux nouvelles mutations régionales et internationales qui se dessinent et particulièrement des dangers à nos frontières notamment de l élargissement du champ d'action du terrorisme et du crime organisé. Le dernier conseil des Ministres à travers les orientations du président de la république, Ministre de la défense nationale, du vice ministre de la défense nationale et chef d’Etat major de l’ANP et différentes interventions des services de sécurisé dont la DGSN ont attiré l’attention sur ce facteur essentiel. Nous espérons pour l’Algérie, face tant aux enjeux géostratégiques qu’aux nouvelles mutations internes que le statut-quo actuel soit dépassé et que le front social interne soit consolidé, existant, comme j’ai eu à le souligner récemment lors de mon intervention devant les cadres supérieurs de la DGSN, en date du 08 mai 2015, un lien didactique entre sécurité et développement, entre la moralité et la consolidation de front social interne que tout patriote souhaite ardemment .
1- Il faut partir de la situation antérieure puis évaluer celle d’aujourd’hui afin de se projeter sur l’avenir, le temps en économie ne se rattrapant jamais : toute Nation, en ce monde impitoyable et turbulent, qui n’avance pas recule forcément. Si nous nous arrêtons aux équilibres macroéconomiques et la dette il est évident que nous avons bénéficié d’une conjoncture favorable à nos exportations d’hydrocarbures par le passé, ayant constitué des réserves de change qui nous donnent un peu de répit, encore que la baisse des cours du pétrole depuis juin 2014 est source d’inquiétude L’épuisement pour l’Algérie des hydrocarbures traditionnels tenant compte de la forte consommation intérieure est prévu horizon 2030 avec plus de 50 millions d’habitants. Eh bien, après-demain, comment allons-nous vivre ou survivre ? Quelles ressources de devises trouver pour que l’Algérie puisse équilibrer sa balance commerciale ? Ces questions d’actualité sont souvent analysées partiellement sans vision stratégique dans tous les débats et les programmes politiques et nous ne pouvons cacher notre grande inquiétude pour notre pays si nous n’entreprenons pas immédiatement de profondes réformes structurelles. Lors du conseil des ministres en date du 22 juillet 2015, il est noté que les recettes attendues des exportations d’hydrocarbures sont de 34 milliards USD contre 68 milliards USD en 2014 et les prévisions d’importations sont de 57,3 milliards USD contre 60 milliards USD en 2014. Dans son volet budgétaire, la loi de finances complémentaire prévoit près de 4953 milliards DA de recettes et des dépenses de 7588 milliards DA, seulement une baisse de 104 milliards par rapport à la loi de finances initiale, 2635 milliards de dinars de déficit budgétaire soit 28 milliards de dollars au cours de 98 dinars un dollar venant de dépasser depuis le 20 juillet 2015 la barre symbolique au cours officiel de 100 dinars un dollar. En rappelant que le dérapage du dinar voile l’importance du déficit budgétaire, un cours de 79 dinars aurait donné le montant de 33,35 milliards de dollars.Le fonds de régulation des recettes a fortement baissé chutant à 3.916,5 milliards de dinars à fin mars 2015 soit 40 milliards de dollars au cours de 98 dinars un dollar contre 4 488,1 milliards à fin décembre 2014 et 5 088,6 milliards à fin mars 2014 Au cours de 98 dinars un dollar, le fonds de régulation des recettes pourrait s’établir au 31/12/2015 à 30,61 milliards de dollars pouvant s’épuiser fin 2016, début 2017 au cours de 58/60 dollars le baril, le prix du gaz étant indexé sur celui du pétrole Quant aux réserves de change via la rente des hydrocarbures, qui tiennent la valeur officielle du dinar, si ces réserves tendaient vers zéro, cela contraindrait le gouvernement à une très forte dévaluation du dinar pouvant se coter à plus de 200 dinars un dollar et sur le marché parallèle l’euro s’échangerait à 300 dinars. Ces réserves étaient évaluées à 193,3 milliards de dollars à fin juin 2014, à 185,273 milliards de dollars à fin septembre 2014, 178,9 milliards de dollars à la fin décembre 2014, et à environ 160 milliards de dollars fin mars 2015. Au vu du montant des importations très faiblement compressé de la LFC2015, auquel il faudrait ajouter les importations de services, une moyenne de 10/11 milliards de dollars, plus les transferts légaux de capitaux, au cours moyen de 60 dollars les réserves de change devraient clôturer au 31/12/2015 entre 140/145 milliards de dollars et aux cours de 55 dollars, entre 135/140 milliards de dollars pouvant s’ épuiser au rythme de l’actuelle dépense publique vers 2019/2020, sauf endettement extérieur.
2.- D’où l’urgence d’une rationalisation des choix budgétaires, afin d’éviter de faire supporter l’austérité sur les couches défavorisées, passant donc par des économies de gestion encadrée par une vision stratégique conciliant efficacité économique et une très profonde justice sociale quoi ne saurait signifier égalitarisme vision populiste suicidaire. Car la question actuelle qui se pose est la suivante: l’Algérie pourra t –elle éviter les impacts de la chute des cours du pétrole en 1986 sur la société algérienne : crise financière, crise économique, crise sociale et crise politique, cessation de paiement fin 1993 et rééchelonnement en 1994.Il faut dire la vérité, rien que la vérité sans verser ni dans la sinistrose, ni dans l’autosatisfaction source de névrose collective. Il est admis par la majorité des experts tant nationaux et internationaux crédibles que l’Algérie n’est pas à l’abri des périls et n’a pas trouvé à ce jour la voie de sortie d’une crise multidimensionnelle aiguë. Mais elle en a les potentialités sous réserve d’une vision stratégique qui fait actuellement défaut. Les problèmes majeurs demeurent et la crise de confiance Etat-citoyens persiste du fait de discours contradictoires de responsables à intervalles réguliers et d’une faiblesse de la démocratisation dans la communication. Nous observons qu’en matière de choix des dirigeants, nous puisons dans un même jeu de dominos les pièces pour jouer une partie puis on les mélange pour engager une nouvelle partie. Serions-nous plus perspicaces par une modification radicale de l’ancien mode de gouvernance qui a traversé successivement quatre décennies, d’un système qui paralyse l’initiative et qui reproduit inéluctablement les mêmes schémas. L’Algérie est dans le défi à la mondialisation mais elle semble prendre le train en retard. Depuis des décennies les différents gouvernants parlent de transfert de technologie, d’économie hors hydrocarbures, de favoriser l’économie de la connaissance, et de lever les contraintes aux entreprises publiques, privées locales ou internationales performantes dans le cadre de nouvelles mutations mondiales. Mais en réalité ce sont toujours les mêmes obstacles ayant peu favorisé le transfert technologique et managérial En ce mois de juillet en 2015, l’économie algérienne est une économie tertiaire avec la dominance des exportations d hydrocarbures (97% avec les dérivées) et des importations de biens finis et intermédiaires à plus de 70% : cela s’appelle le syndrome hollandais. Aussi, la priorité aujourd’hui est de bien penser nos actions et cesser de réitérer les mêmes erreurs : faire mal et refaire, faire faux et continuer, emprunter une impasse et persister. Ce n’est pas un changement d’organisation des entreprises publiques qui résoudra le problème sans vision stratégique. L’Algérie doit investir au sein de sous segments de filières internationalisées qui connaissent des recompositions managériales et technologiques perpétuelles, au niveau planétaire avec des organisations en réseaux , dans les biens durables et les techniques modernes accompagnées par des investissements tout aussi importants dans l’éducation-qualification, l’environnement-préservation et des institutions crédibles en fait dans les libertés fondement de la démocratie-liberté, condition de l’épanouissement des énergies créatrices devant éviter cette vision matérielle du passé. Sans vision stratégique, l’Algérie peut investir autant de milliards de dollars dans les infrastructures sans connaître de développement voire régresser. On construit une économie d’abord sur les valeurs morales d’une société , l’éducation civique, le code de l’honneur, la tolérance, la discipline, la rigueur, la performance, le sens du devoir, l’ordre de mérite, la loyauté, le goût de l’effort, la promotion sociale, la déontologie et la valorisation de connaissance devant miser sur la qualité et non comme actuellement sur la quantité. Quand les dirigeants algériens comprendront que la structure des sociétés modernes et puissantes qui dominent le monde, s’est bâtie d’abord sur des valeurs et une morale. Nous devons impérativement recomposer nos valeurs et nos principes pour reconstruire une société algérienne moderne et ouverte à la culture et au développement économique afin de garantir un front social interne solide. Arrêtons l’errance et comme dit l’adage « il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut rien entendre » Nous ne pouvons pas continuer avec le système des années 70. Le Ré-Engineering est de produire un master plan, associant les principaux pôles économiques et qui puisse engager notre pays dans une dynamique de développement/accumulation technologique par objectifs afin entrevoir l’esquisse réelle de l’Algérie de l’après hydrocarbures.
3.- Quelles sont les actions urgentes pour mener l’Algérie vers une sortie de crise ? En quelques mots, c’est d’abord, œuvrer pour bâtir une démocratie dynamique assise sur une justice indépendante, compétente et diligente. C’est ensuite de sortir d’un système de gouvernance archaïque pour un système participatif et qui appelle aux compétences algériennes locales et celles établies à l’étranger. C’est en d’autres termes, donner aux algériens l’envie de construire ensemble leur pays et d’y vivre dignement et harmonieusement. Le salut est dans l’application d’une politique volontaire et pragmatique de qualification de tout notre système de gouvernance et en premier lieu, dans la réforme des institutions notamment l’administration au service de l’économie et du citoyen et non s’autonomisant entant que pouvoir bureaucratique s’agissant de réunir les conditions pour attirer les meilleurs cadres de la Nation pour transformer notre administration en moteur du développement. La formation continue doit être généralisée à tous les niveaux et l’ordre de mérite devenir le levier de la promotion sociale avec comme ultime priorité : la qualification et l’intégration. C’est le moyen le plus sûr de prévenir la chute du cours des hydrocarbures et de réaliser la transition vers une économie hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales. Ces actions supposent pour leurs réussites une vision stratégique clairement datée et synchronisée, fondée sur un dialogue permanent entre toutes les forces sociales loin de toue vision autoritaire et donc une réforme de la gouvernance (1). Nous sommes convaincus que la bonne gouvernance devra accompagner ces changements sans précipitation en associant des algériens de diverses sensibilités et compétences, y compris les non résidents. Sans chauvinisme, car le dialogue des civilisations est d’une importance capitale devant revoir d’ailleurs le fondement des relations internationales et de la mentalité, culturelle figée de certains dirigeants où les peuples ont soif de libertés évitant de les assimiler à des tubes digestifs, l’apport des entreprenants étrangers dans une coopération gagnant/gagnant, étant nécessaire. Sans être chauviniste, le partenariat avec l’étranger étant une donne incontournable, cependant l’Algérie sera sauvée par le génie des algériens. Tant qu’on n’adhérera pas à ce principe de base nous vivrons une errance économique qui conduira le pays à l’impasse. Nous disposons de compétences suffisantes en Algérie et à l’étranger pour nous en sortir à condition cependant de savoir bien jouer nos cartes, de développer une stratégie économique basée sur nos capacités propres, d’opérer les choix judicieux avec nos partenaires étrangers et enfin d’utiliser nos richesses pour un développement durable. Il s’agit donc de préparer l’avenir des générations futures et donc de donner un espoir à la jeunesse. Se mentir les uns les autres ou se cacher la réalité nous entraînera irrésistiblement vers d’autres épreuves tragiques. Je reste pourtant optimiste quant à l’avenir de l’Algérie pour peu que la morale l’emporte sur la mentalité rentière spéculative en disant que tout n’est pas perdu mais le temps presse pour redresser le bateau Algérie et l’éloigner enfin de la zone de tempête où il se trouve. Pour cela nous devons procéder sans complaisance à l’examen très lucide de la situation et dresser le cas échéant un constat d’échec pour mieux réagir dans plusieurs segments de la vie économique et sociale tels: éducation-formation, santé, stratégie industrielle, modernisation de l’agriculture, culture financière des acteurs économiques, efficacité de l’administration, relance et croissance des entreprises, réduction des déséquilibres régionaux et inégalités sociales, formation civique et politique de la jeunesse et tant d’autres domaine. Je suis persuadé que le peuple algérien a d’énormes ressources en lui-même et serait capable de réagir à l’instar d’autres peuples d’Asie ou d’Europe de l’Est qui ont su conjuguer la modernité, l’émancipation par le travail et la mise à niveau mais souvent après un changement radicale de type de gouvernance.
En résumé, j’ose imaginer un front social intérieur devant tenir compte de nos différentes sensibilités, le plus grand ignorant étant celui qui prétend tout savoir, une Algérie où les nouvelles générations vivront confiantes et heureuses dans leur pays et où nous assisterons à un retour volontaire progressif des cadres expatriés. Pour finir, je suis convaincu que l’extérieur que certains brandissent comme un épouvantail, sans proposer de solutions crédibles, ne peut agir négativement que si le front social interne est lézardé. Mais la consolidation du front intérieur passe inévitablement par une moralité sans faille de ceux qui dirigent la Cité tant au niveau central que local afin d’éviter la démobilisation de la population au moment où des ajustements économiques et sociaux douloureux s'annoncent inévitables entre 2016/2020, la remontée à 90/100 dollars le baril n’étant pas pour demain surtout avec l’entrée en force de l’Iran début 2016 et les nouvelles mutations énergétiques mondiales. Car sans une coopération internationale régionale et mondiale de lutte contre le terrorisme qui est une menace planétaire et sans développement interne , le terrorisme se nourrissant également de la misère et de la mauvaise gouvernance de certains dirigeants, nous assisterions inéluctablement à une confrontation directe, forces de sécurité/ population, nécessitant un apport financier considérable qui serait soustrait aux secteurs dynamisant le développement, rentrant alors dans un cercle infernal conduisant le pays à une éventuelle déflagration sociale.
Professeur des universités, docteur d’Etat (1974) -expert international -Dr Abderrahmane MEBTOUL