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Rapport de Transparenty International sur la corruption : quelle leçon tirer pour l’Algérie ?

05-12-2014 17:33  Contribution

Le 20e rapport annuel de l'ONG allemande Transparency International (TI) vient d’établir le 03 décembre 2014 un classement sur 175 pays s’appuyant sur les enquêtes d'experts, d’organisations de la société civile, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et la Fondation allemande Bertelsmann. L’échelle est de 0 pour un secteur public perçu comme extrêmement corrompu et à 10 pour un secteur public perçu comme extrêmement intègre. Quelle leçon tirer pour l’Algérie ?

1.- Le Danemark est arrivé en tête du classement 2014 avec une note de 9, 2 sur 10 devançant la Nouvelle Zélande, la Finlande, la Suède et la Norvège qui ont eu un bon classement. Les Etats Unis d’Amérique arrivent à la 17ème place avec une note de 7,4, la France une note de 6,9, se situant à la 26e place, l’Allemagne 7, 9 12e place, le Royaume Uni , une note de 7, 8 , à la 14e place. La chine a eu une note de 3,6 la Turquie 4,5. Le Qatar a été classé (26e), l’Arabie saoudite (55e), la Tunisie (79e), le Maroc (80e) et l’Égypte, (94e). Les deux derniers sont le Soudan et a Corée du Nord avec un e note respectivement de 1,1 et 0,8. Ce rapport classe l’Algérie à 100ème place sur 173 pays avec une note de 3,6 soit un recul de 6 places par rapport à 2013 où elle était classée 96ème où elle avait eu une note de 3,6 sur 10. Rappelons le classement de l’Algérie de 2003 à 2014.

-2003 : 88e place (sur 133 pays)

-2004 : 97e place (sur 146 pays)

- 2005 : 97e place (sur 159 pays)

-2006 : 84e place (sur 163 pays)

-2007 : 99e place (sur 179 pays)

-2008 : 92e place (sur 180 pays)

-2009 :111e place (sur 180 pays)

-2010 :105ème place (sur 178 pays)

-2011 :112ème place (sur 183 pays)

-2012- 105e place (sur 176 pays)

-2013- 94ème place (sur 177 pays)

-2014 -100ème place (sur 173 pays).

Dans une enquête récente , 74% des Algériens pensent que le milieu des affaires est gangréné par la corruption ; la justice algérienne est discréditée aux yeux des citoyens, 72% des Algériens considérant que les instances judiciaires sont affectées par la corruption, contre 67% et 62% concernant les partis politiques et le Parlement. Il y a donc urgence d’une volonté politique au plus haut niveau de l’État pour lutter contre la corruption. Dans le registre des transactions commerciales internationales, le communiqué de l’AACC note que l’Algérie "ne commerce presque pas avec les 10 pays les moins corrompus dont le Danemark, le Singapour, la Finlande, la Suède, le Canada, la Suisse et la Norvège". Comme rappelé précédemment, les auteurs de l’IPC considèrent qu’une note inférieure à 3 signifie l’existence d’un "haut niveau de corruption au sein des institutions de l’Etat" et que des affaires saines à même d’induire un développement durable ne peuvent avoir lieu, cette corruption favorisant surtout les activités spéculatives. La sphère informelle produit des dysfonctionnements du système, ne pouvant pas la limiter par des décrets et lois mais par des mécanismes de régulation transparents, existant des alliances entre le pouvoir bureaucratique et cette sphère contrôlant plus de 40% de la masse monétaire en circulation, où tout se traite en cash, alliances qui favorisent cette corruption existant un lien dialectique entre la logique rentière, bureaucratisation, extension de la sphère in formelle et corruption. Ces rapport insistent sur la nécessaire transparence pour restreindre la tendance de cette sortie de fonds et également la concertation internationale autour de ce phénomène, car, s’il y a des pays corrompus il y a forcément des pays plus corrupteurs que d’autres, les rapports citant notamment la Chine, la Russie, l’Inde qui utilisent des pots de vins.

2.- Le terrorisme bureaucratique et la corruption socialisée en Algérie menacent la sécurité nationale et par là contribuent, en dehors du préjudicie moral, au blocage de l’investissement utile. Et les scandales récents du programme de développement agricole PNDA, de différentes banques, de la route Est/Ouest, de Sonelgaz, de Sonatrach en sont les exemples vivants mais qui concernent également bons nombres de ministères et de wilayas. Il faut une cohérence et visibilité dans la démarche, s’attaquer à l’essentiel et non au secondaire car avec la corruption combinée à la détérioration du climat des affaires, selon la majorité des rapports internationaux, il est utopique de parler d’une véritable relance économique. Aucune corporation ou institution n’est épargné par ce cancer de la corruption. Si la corruption existe dans tous les pays du monde, comme en témoigne les scandales financiers mis en relief pendant l’actuelle crise mondiale, et s’il y a des corrompus existent forcément des corrupteurs impliquant une moralisation des relations internationales, elle est relativement faible en rapport à la richesse globale créée. En Algérie elle s’est socialisée touchant toutes les sphères de la vie économique et sociale remettant en cause la sécurité nationale du pays, devant aller vers le contrôle démocratique de deux segments stratégiques la production de la rente des hydrocarbures ( Sonatrach) et la distribution de la rente des hydrocarbures (tout le secteur financier) puisque l’ensemble des secteurs publics et privés sont irrigués par cette rente.. L’extension de la sphère informelle, n’est que le produit du terrorisme bureaucratique, qui tire sa puissance de l’existence de cette sphère puisque fonctionnant dans un espace de non droit et favorisant la corruption où tout se traite en cash. Comme je l’ai rappelé souvent, la lutte contre la mauvaise gestion et la corruption renvoie à la question de bonne gouvernance, de démocratie, de la rationalisation de l’Etat dans ses choix en tant qu’identité de la représentation collective. Concernant l’aspect économique en Algérie il faut se demander pourquoi le faible impact de la dépense publique programmée entre 2000/2014, environ 630 milliards de dollars (part dinars et devises, budget équipement et budget de fonctionnement) sur la sphère économique. Cela se répercute sur la sphère sociale avec un impact par rapport aux autres pays de la région MENA qui ont des résultats supérieurs avec trois fois moins de dépenses : corruption, surfacturation ou mauvaise gestion des projets ? Le constat également est l’inefficacité des institutions de contrôle et des Ministères où nous assistons à une gestion administrative avec différentes interférences où souvent les gestionnaires ne sont pas libres de manager leurs entreprises. Sont-ils réellement les seuls responsables ?

3.- La lutte contre la corruption n’est pas une question de lois, vision bureaucratique. Ce sont les pratiques d’une culture dépassée, l’expérience en Algérie montrant clairement que les pratiques sociales quotidiennement contredisent le juridisme. Il est utile de rappeler que les pouvoirs publics ont toujours clamé qu’ils se donnaient pour objectif de combattre la corruption, la bureaucratie dévalorisant le couple intelligence/ travail sur lequel doit reposer tout développement fiable. Ce rêve si cher à tous les Algériens sera t-il réalisé ? Comment mobiliser les citoyens au moment lorsque des responsables au plus haut niveau ou leurs proches seraient impliqués ou supposés impliqués dans les scandales financiers et peuvent-ils avoir l’autorité morale auprès tant de leurs collaborateurs que de la population algérienne ? En fait la lutte efficace contre la corruption implique d’avoir un système judiciaire indépendant, d’éviter les luttes d’influence des différentes institutions de contrôle tant techniques que politiques avec une coordination unique indépendante concernant l’utilisation des deniers publics. La mise en place du contrôle est tributaire d’un management efficace des institutons, des comptabilités publiques claires et transparentes pour la rationalisation des choix budgétaires afin d’optimaliser l’effet de la dépense publique, les universités et les centres de recherche étant interpellés pour produire des instruments de calculs adéquats. La pleine réussite de cette entreprise qui dépasse largement le cadre strictement technique, restera tributaire largement d’un certain nombre de conditions dont le fondement est la refonte de l’Etat au sein d’une économie mondiale de plus en plus globalisée et des grands espaces, et une concertation permanente entre les différentes forces sociales politiques, économiques et sociales loin de toute vison d’autoritarisme, vison largement dépassée, conditions stratégiques qui doivent constituer les éléments fondamentaux de la nouvelle gouvernance.

4.- Aussi, sur le plan interne, il s’agit d’engager les véritables réformes politiques, économiques et sociale pour une société de liberté plus participative et citoyenne fondée sur des entreprises compétitives dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux, par la prise en compte de l’environnement et de la qualité de la vie pour un espace plus équilibré et solidaire qui doivent impérativement toucher :

-le système politique rentier, centre névralgique de la résistance au changement et à l’ouverture ;

-la réforme de la justice par l’application et l’adaptation du Droit tant par rapport aux mutations internes que du droit international ;

-le système éducatif, la mère des réformes, dont le niveau s’est totalement effrité, et non adapté, centre d’élaboration et de diffusion de la culture et de l’idéologie de la résistance au changement et à la modernisation du pays ;

-la réforme du système financier qui est un préalable essentiel à la relance de l’investissement productif national et étranger, les banques publiques et privées étant au cœur d’importants enjeux de pouvoir entre les partisans de l’ouverture et ceux de préservation des intérêts de la rente. Elle est considérée, à juste titre, comme l’indice le plus probant de la volonté politique des Etats d’encourager l’entreprise qu’elle soit publique ou privée nationale ou internationale créatrice de valeur ajoutée condition d’une transition d’une économie de rente à une économie productive ;

-une nouvelle gestion des stratégies sociales et la mise en place de nouveaux mécanismes de régulations sociales devant revoir la gestion des caisses de retraite et de la sécurité sociale, qui risquent l’implosion en cas de chute des recettes des hydrocarbures, les transferts sociaux et subventions ciblées (28% du PIB en 2013 soit 60 milliards de dollars) devant dorénavant être budgétisées non plus au niveau des entreprises mais sur le budget de l’Etat ;

-la démocratisation de la gestion des secteurs sources de rente (secteur des hydrocarbures et gestion active des réserves de change), objet de toutes les convoitises.

5.- Rappelons que selon le rapport annuel du 29 mai 2013 établi par la Banque africaine de développement (BAD) et l’ONG américaine Global Financial Integrity (GFI), il ya eu entre 1980 et 2009 pour l’Algérie 173 milliards de dollars de capitaux transférés illicitement. En mettant en place un pouvoir concentré sans contre-pouvoirs, en gelant les institutions de contrôle tant politiques que techniques dont notamment le conseil national de l’énergie, la Cour des Comptes, les autres organes qui se télescopent dépendant de l’exécutif étant donc juge et partie, et en déversant la somme faramineuse sur le marché, il fallait inévitablement s’attendre à l’apparition de prédateurs tant locaux qu’étrangers et à une accélération de la corruption inégalée depuis l’indépendance politique, l'action des services de sécurité ne pouvant être que ponctuelle. En fait, la lutte contre la corruption implique un véritable Etat de Droit une nouvelle gouvernance si l’on veut combattre efficacement la corruption qui gangrène tout le corps social et qui tend malheureusement à être banalisée alors qu’elle constitue le plus grand danger pour la sécurité nationale, pire que le terrorisme qu’a connu l’Algérie entre 1990/2000. D’où des inquiétudes pour l’avenir de l’Algérie qui pourtant a des potentialités, pour peu qu’existe une nette volonté politique d’axer le développement sur les deux fondamentaux du XXIème siècle un Etat de droit et la démocratisation tenant compte de notre anthropologie culturelle et la valorisation du savoir au sein d’une économie de plus en plus globalisée comme l’attestent les expériences réussies des pays émergents. Sans l’amélioration de la gouvernance supposant une grande moralité de ceux qui dirigent la Cité, sinon leurs discours équivalent à des slogans creux, il ne faut pas s’attendre à une dynamisation de la production et des exportations hors hydrocarbures, donc un profond réaménagement des structures du pouvoir assis sur la rente, dont la seule fonction est de dépenser sans compter pour acheter une paix sociale éphémère, dépense sans contreparties productives qui anesthésie toute la société. Les recettes de Sonatrach sont passés de 73 milliards de dollars entre 2010/2012, 63 milliards de dollars en 2013, 55 milliards de dollars en 2014, environ 40/45 milliards de dollars si le cours de du pétrole ( le prix du gaz étant indexé sur celui du pétrole) se maintient à 70 dollars , doivent avoir un discours de vérité.

En résumé, face aux ajustements économiques et sociaux inévitables entre 2015/2020, les gouvernants de demain doivent être avant tout des femmes et hommes d'une très haute moralité, entouré de femmes et d'hommes nouveaux également d'une très grande moralité avec une nouvelle architecture institutionnelle reposant sur de véritables contre-pouvoirs démocratiques. C’est la condition si l'Algérie veut dépasser la crise multidimensionnelle à laquelle elle est confrontée au sein d'un monde turbulent et instable préfigurant d’importants bouleversements géostratégiques.

Dr Abderrahmane Mebtoul, expert international Professeur des universités- ancien magistrat (premier conseiller) et directeur général des Etudes Economiques à la Cour des Comptes

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