Algérie 1

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Quelle gouvernance pour l’Algérie face à un système bloqué ?

18-01-2012 22:53  Contribution

L’Algérie a connu entre 2007/2010 une croissance inférieure à 3%. La Banque mondiale dans son rapport sur les perspectives économiques mondiales 2012 en date du 17 janvier 2012 prévoit pour l’Algérie une croissance de 2,7% en 2012 et de 2,9% en 2013 (contre 3% en 2011. Comment avec une dépense publique de 200 milliards de dollars entre 2007/2009 et une prévision de 280 milliards de dollars entre 2010/2013 obtient t- on une croissance si dérisoire devant normalement atteindre selon les normes internationales un taux de croissance supérieur à 10% en termes réels ? Ainsi à vouloir perpétuer des comportements passés, l’on ne peut aboutir qu’à une vision périmée.

I. Le développement durable passe par un changement de gouvernance

Il est unanimement admis par les analystes sérieux, privilégiant uniquement les intérêts supérieurs de l’Algérie et non la distribution de la rente des hydrocarbures, qu’un changement de gouvernement et de ministres n’apporteraient rien de nouveau si l’on maintient le cap de l’actuelle gouvernance politique sans apporter une cohérence et une visibilité à l’actuelle politique socio-économique tenant compte tant des mutations internes que mondiales. Les Algériens voient toujours les mêmes têtes sans bilans avec des permutations perpétuelles, comme si l’Algérie était stérile avec ce discours lassant et qui ne porte plus, on prépare la relève pour la jeunesse.

Une personne née en 1962 a aujourd’hui 49 ans et peut être grand mère ou grand père. Encore que l’âge n’est pas toujours déterminant mais la mentalité culturelle du changement productif, pouvant trouver un jeune moulé dans le parti unique plus conservateur qu’un autre ayant dépassé les 60 ans. L’essentiel est d’éviter l’inertie. Or, les enquêtes des instituts de psychologie du travail internationaux montrent clairement que pour les managers économiques (PDG de grandes entreprises) ou des managers politiques (ministres), qu’au delà de cinq années, pour 75% de cas, 25% étant des femmes ou hommes exceptionnels- ils deviennent amorphes et incapables d’innovation, avec le risque de s’entourer d’une cour aussi stérile d’où le danger d’une inertie générale alors que le monde évolue. Cela explique que souvent dans les grands pays démocratiques on limite les mandats présidentiels à deux.

En dynamique, une Nation qui n’avance pas recule forcément, la maîtrise du temps étant le principal défi des gouvernants au XXIème siècle car nous sommes à l’ère de la mondialisation, contrainte stratégique. Il semble bien que la majorité de nos dirigeants ne tiennent pas compte de ce facteur temps, surtout que les réserves d’hydrocarbures – entendu rentables économiquement (cout/prix, concurrence des pays et des énergies substituables) iront vers l’épuisement dans 20/25 ans au maximum, donc posant la problématique de la sécurité nationale.

2.-Une Efficacité gouvernementale mitigée

L’assainissement des entreprises publiques en Algérie a coûté au trésor public plus de 50 milliards de dollars entre 1971/2010 et encore 16 milliards de dollars annoncés par le ministre de la promotion d’investissement pour 2011, sans résultats probants, 70% des entreprises publiques étant revenues à la case de départ alors que ces montants auraient pu être consacrés à la création de nouvelles entreprises dynamiques de quoi créer tout un nouveau tissu productif et des millions d’emplois à valeur ajoutée. La majorité des institutions internationales note l’Algérie avec des classements déplorables entre 2006/2011, qui ne reflètent pas les potentialités énormes du pays.

Bon nombre d’experts nationaux ont tous souligné le poids de la bureaucratie, l’instabilité juridique et le manque de clarté dans les nouvelles dispositions du gouvernement algérien. C’est dans cet esprit sans études que l’on privilégie la dépense monétaire sans analyser les impacts. C’est dans ce cadre que rentrent les décisions hasardeuses de 51 pour cent aux algériens dans tout projet d’investissement et 70 pour cent des parts algériennes dans les sociétés d’import étrangères alors qu’il fallait privilégier une balance devises excédentaires , l’apport technologique et managérial pour un partenariat gagnant /gagnant. Ce qui a entrainé une chute de plus de 70% des idE hors hydrocarbures sans compter les litiges au niveau des tribunaux internationaux, une loi n’étant jamais du point de vue du droit international rétroactive sauf si elle améliore la précédente.

Comme il convient de se demander pourquoi ces échecs répétés depuis 2007 aucune grande compagnie étrangère n’a été intéressée par les avis d’appel d‘offre de l’Alnaft (structure dépendante du Ministère de l’Energie) pour les gisements d’hydrocarbures, le dernier échec étant l’avis d’appel d’offre de mars 2011. Cela est plus vrai pour l’aval c'est-à-dire les segments pétrochimiques produits semi finis et finis répondant aux valeurs internationales dont les parts de marché avec des structures oligopolistiques sont déjà pris au niveau mondial( amortissement déjà réalisé) où avec les 49/51% il faut ne s’attendre à aucun investisseur privé national ou étranger potentiel.

Cette situation démobilise tant les cadres du secteur économique public que les opérateurs privés nationaux renvoyant au blocage systémique intiment lié aux aspects de gouvernance (Etat de droit notamment) du fait que l’on ne peut isoler la gouvernance de l’entreprise de la gouvernance globale, la stabilisation macro-économique éphémère, la diminution de la dette intérieure et extérieure étant due à la rente des hydrocarbures. Jamais le poids de le poids de la bureaucratie n’a été si élevé favorisant la corruption (renvoyant à la refonte de l’Etat), sans parler de la léthargie du système financier, l’épineux problème du foncier et enfin l’inadaptation du système socio-éducatif.

Les emplois rentes (dévalorisation du savoir) et des traitements sans contreparties productives pour une paix sociale fictive (l’inflation tant comprimée artificiellement par des subventions non ciblées et mal gérées), bloquent l’entreprise créatrice de richesses et montrent l’absence d’une politique salariale fondée sur le travail et l’intelligence malgré des discours que contredisent les pratiques sociales.

Ce blocage est accentuée par la dominance de la sphère informelle spéculative produit de la bureaucratie, drainant plus de 40% de la masse monétaire en circulation (13 milliards de dollars en 2010) contrôlant plus de 70% des segments de produits de première nécessité, expliquant la hausse des prix et l’évasion fiscale ( environ 3 milliards de dollars par an ). C’est que l’Algérie est toujours dans cette interminable transition depuis 1986 ni économie administrée, ni économie de marché, qui doit se fonder sur des mécanismes concurrentiels et des mécanismes de régulation nouveaux avec un rôle stratégique de l’Etat régulateur.

3.- L’impact de la nouvelle donne internationale sur la gouvernance

Ce n’est pas à la population algérienne de changer de comportement mais d’abord à nos dirigeants devant donner l’exemple, qui n’ont pas encore fait leurs mues culturelles vivant encore à l’ère du Parti Unique. Or, nous avons deux options : soit satisfaire les appétits partisans par une redistribution passive de la rente en maintenant l’actuel système politique où les partis FLN/RND/MSP ont eu 13% de vois par rapport aux inscrits, en référence aux dernières élections ces trois partis étant l’ancien parti du FLN des années 1980 éclaté en trois composantes.

La façade démocratique est la création de nombreux micro-partis instrumentalisés et de 30 ou 40 ministères sans efficacité réelle, incapables de mobiliser et de sensibiliser, laissant lors d’émeutes les citoyens face aux services de sécurité, qui s’entrechoquent avec des confits de compétences ce qui ne peut que conduire à une déflagration sociale à terme. L’Algérie ne saurait invoquer sa spécificité face au printemps démocratique qui secoue le monde arabe et devrait méditer les nouvelles mutations mondiales.

Pour éviter les réformes du régime, certains dirigeants arabes se réfugiant dernière l’islamisme radical, le combat contre le terrorisme et invoquant la main de l’extérieur comme facteur de déstabilisation. Or ce sont des combats d’arrière garde, les occidentaux les ayant abandonnés malgré leur servitude, dans la politique n’existant pas de sentiments mais des intérêts), à l’instar des anciens dirigeants tunisiens, égyptiens et récemment des actuels dirigeants yéménites, syriens et libyens.

Avec l’avènement d’Internet qui modèle l’opinion et l’entrée des sociétés civiles, ces discours ne portent plus ce qui préfigure d’ailleurs une reconfiguration des nouvelles relations internationales prenant en compte les exigences de dignité et de liberté au niveau des populations du Sud. Certes le danger extrémiste source d’intolérance est réel mais les grandes puissances ont fait comprendre aux dirigeants arabes ( et à certains dirigeants d’Afrique) qui deviendront à terme de plus en plus minoritaires, se réfugiant derrière le statut quo par le frein à la démocratisation avec une répartition inégalitaire des richesses et la corruption d’une certaine caste , que leurs comportements favorisent le terrorisme et l’islamisme radical et qu’ils en sont en grande partie responsables.

Ce n’est pas par philanthropie mais certes mus par des intérêts économiques et voulant éviter que des milliers de jeunes qui rêvent de s’enfuir vers les USA, le Canada et l’Europe viennent alourdir leur taux de chômage. Encore que l’exode de cerveaux massif des pays arabes et l’Afrique est souvent voulue par certain dirigeants, malgré certains discours de propagande à usage de consommation intérieure envers la diaspora alors qu’ils ne font presque rien pour retenir ce qui reste, vidant la substance de leurs pays.

4.- Une réorientation urgente de la politique socio-économique

Face à la crise mondiale qui sera d’une longue durée cela pose l’urgence d’un débat des 150 milliards de dollars des réserves de change de l’Algérie déposées à l’étranger sur un total de 180 milliards non compris les réserves d’or dont 45% en dollars et 45% en euros. Comme s’impose la réorientation de l’actuelle politique socio-économique et l’approfondissement la réforme globale en panne du fait de rapports de forces contradictoires qui se neutralisent, renvoyant au partage de la rente.

La réussite est avant tout non celle d’une femme ou homme seul (une seule main comme dit l’adage ne saurait applaudir), mais celle d’une équipe compétente soudée (de véritables managers sachant tant gérer qu’à l’écoute des populations) animée d’une profonde moralité avec une lettre de mission à exécuter dans les délais s’alignant sur les standards internationaux pour les projets mis en œuvre.

La situation actuelle montre clairement (sauf à ceux qui vont dans l’autosatisfaction déconnectés des réalités sociales), des surcouts exorbitants de la majorité des projets, et une très forte démobilisation populaire due à ces signes extérieurs de richesses souvent non justifiées, la détérioration du niveau et genre de vie de la majorité de la population malgré des réserves de change dépassant les 180 milliards de dollars US fin 2011 dues à des facteurs exogènes, n’étant pas signe de développement , grâce en grande partie aux hydrocarbures.

Et comme le démontre les moins de 2 % des exportations hors hydrocarbures entre 2006/2011, un taux de croissance relativement faible tiré essentiellement par les dépenses publiques en récession (moyenne inférieure à 4 % entre 2004/ 2011, non proportionnel aux dépenses monétaires, les 80% des segments hors hydrocarbures étant eux mêmes tirés par la dépense publique. Le programme de soutien à la relance économique est passé de 55 milliards de dollars en 2004, à 100 fin 2005, à 140 fin 2006 et allant vers 200 milliards de dollars fin 2009 et sur les 286 milliards de dollars programmé entre 2010/2014, 130 sont des restes à réaliser du programme 2004/2009 (mauvaise gestion, corruption, projets mal ciblés ect).

La condition de l’amélioration sociale passe par un retour à la croissance hors hydrocarbures qui reste tributaire d’un certain nombre de conditions. D’une part la réhabilitation de l’entreprise par la levée des contraintes d’investissement , une détermination plus grande par une vision plus cohérente de la réalisation du programme des réformes et d’autre part, sur le plan sociopolitique déterminant, cela passe par une véritable décentralisation, la production d’une culture politique participative, une communication institutionnelle efficiente et l’élaboration d’un nouveau consensus social et politique (ce qui ne signifie aucunement unanimisme, signe de la décadence de toute société) permettant de dégager une majorité significative dans le corps social autour d’un véritable projet de société.

L’Algérie doit réorienter sa politique socio-économique, l’actuelle étant ruineuse pour le pays avec la dominance de la dépense publique dans les infrastructures ( 70%) souvent mal faites alors quelle n’est qu’un moyen du développement et des rentes aux dépends du travail en privilégiant l’entreprise et le savoir . Il s‘agit d’assurer un minimum de cohésion sociale tant spatiale qu’entre les catégories socioprofessionnelles (cette injustice qui devient criarde, un Etat riche mais une population de plus en plus pauvre) et s’adapter aux enjeux de la mondialisation, l’espace euro méditerranéen et arabo-africain étant notre espace naturel, surtout que la crise mondiale actuelle préfigure d’un bouleversement géo stratégique et économique.

Cette adaptation est inséparable d’un Etat de droit et de la démocratie tenant compte de notre anthropologie culturelle, du respect du droit de l’homme et de la promotion de la condition féminine signe de vitalité de toute société. L’Algérie a toutes les potentialités pour devenir un pays pivot, conditionné par plus de réformes maîtrisées, pour une dynamisation de la production et exportations hors hydrocarbures.

C’est que les observateurs neutres tant nationaux qu’internationaux tendent vers ce constat: le système politique et économique algérien est bloqué avec une concentration excessive du revenu au profit d’une minorité rentière, que l’on voile par des dépenses monétaires sans se préoccuper des impacts car aucun bilan réel n’a été fait à ce jour (2). On a l’impression que le pouvoir actuel face aux bouleversements mondiaux et des tensions qui touchent tous les secteurs en même temps est tétanisé et en panne d’imagination. Or, le risque est d’accentuer la névrose collective, un divorce Etat/citoyens dont la résultante serait à terme une déflagration sociale.

Professeur Dr Abderrahmane MEBTOUL Expert International

(1)-Cette analyse de la nouvelle reconfiguration des relations internationales est analysée par le professeur Abderrahamane Mebtoul dans une contribution ( 100 pages ) parue en avril 2011 à l’Institut Français des Relations Internationales ( IFRI Paris France 10èmeInstitut mondial) sur le thème « Face aux enjeux géostratégiques, quelle coopération entre l’Europe et le Maghreb ». Voir également notre contribution en trois chapitres à l’ouvrage collectif dirigé par le professeur à HEC Montréal Taieb Hafsi dont 17 experts algériens (Amérique- Europe -Algérie) ayant participé, « quel développement pour l’Algérie ? » Casbah Editions Alger 700 pages

(2)Pour l’analyse des surcouts de la route Est/Ouest voir contribution d’ Abderrahmane Mebtoul dans El Watan 25/12/2011



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