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Que signifie, aujourd'hui, l'arabité ? Le penseur libanais Ziad Hafez répond

03-03-2018 09:28  Amine Bouali

L'écrivainet professeur libanais Ziad Hafez, a donné, ce mois de février 2018, dans lacapitale fédérale américaine, Washington, une conférence au cours de laquelleil a déconstruit le concept, décrié par certains, célébré par d'autres, de"l'arabité".

Cetteconférence a été prononcée en présence, notamment, de notre compatriote, MmeZhor Boutaleb, la secrétaire générale de la Fondation Émir Abdelkader. Nousavons cru utile de reproduire ici, à l'intention des lecteurs d'Algérie1,les passages les plus significatifs de l'intervention de ce penseur arabe quioccupe, actuellement, le poste de secrétaire général de la Conférence NationaleArabe.

 M. Ziad Hafez a fait ses études à l’Universitéaméricaine de Beyrouth et à l’Université Saint-Joseph de cette même ville. Il atravaillé au sein d'institutions financières privées puis a passé une douzained'années au sein d’une structure dépendante de la Banque Mondiale (la SociétéFinancière Internationale pour l’Afrique subsaharienne).

Il dirige,depuis 2007, la revue "Contemporary Arab Affairs", publiée à Londres,sous l’égide du 'Centre d’Études pour l’Unité Arabe'. Il est l’auteur denombreux ouvrages, parmi lesquels "La pensée religieuse en Islamcontemporain : débats et critiques" (Paru aux éditions Geuthner, Paris,2012).

Selon leprofesseur Ziad Hafez, «Il existe une certaine confusion parmi les élitesarabes, tant au sein de la patrie que dans les pays d’immigration, sur lanature de l’arabité. Ces élites confondent nationalisme arabe et arabité. Deplus, leur appréciation du nationalisme arabe suppose qu’il est figé dans lapensée et imperméable au changement. D’autres élites pensent que les politiquessuivies par les Etats et gouvernements se proclamant du nationalisme arabe,sont l’incarnation de ce nationalisme. De ce fait, si ces politiques s’avèrenterronées, il en résulte que le nationalisme arabe souffre d’erreurs fatales, oubien qu'il est idéaliste ou incompatible avec la réalité. Ajoutons que laconduite erratique et la politique problématique de certains dirigeants ouresponsables portant la bannière du nationalisme arabe, ont contribué à cetteconfusion et ont conduit à porter un jugement négatif sur son contenu».                    

 «L'arabité»,souligne M. Hafez, «est avant tout une identité. Elle n’est pas un programmepolitique ou même une orientation politique. Par contre, la défense de cetteidentité est l’objet du nationalisme arabe. Cette défense a amené lesnationalistes à lutter pour l’indépendance des contrées arabes et la libérationde la terre occupée par le colon européen et sioniste, aussi bien qu’à lutterpour la fermeture des bases étrangères en terre arabe.

Elle viseégalement à consacrer l’unité de la nation divisée par l’occupant étranger etson aventure coloniale. Elle fustige la dépendance des élites arabes vis-à-visdes politiques du colonialisme, l’édification d’une société équitable et juste,promouvant l’égalité des opportunités pour toutes les composantes de la société».          

 «Lenationalisme arabe vise également à la libération des masses (un mot disparu dulexique politique de ce début du 21e siècle. Ndlr) du joug de l’oppressionpolitique, économique, et sociale. Il promeut la défense du patrimoine culturelface à l’invasion destructive de la pensée et la culture provenant del’Occident. En fait, le nationalisme arabe est, en premier lieu, un mouvementde libération, d’unité arabe en second lieu, et finalement, une aspiration à larenaissance de la nation».

M. Hafez apoursuivi que « Cette ambition de vouloir réaliser des objectifspolitiques, économiques, sociaux, et culturels, en vue de préserver l’identitéarabe est une réaction naturelle à toutes les tentatives ayant pour objectifd’étouffer cette identité arabe (...).

Cesvolontés d'exclusion et de domination s’effectuent sur quatre axes. Le premieraxe est une attaque frontale qualifiant l'identité arabe de chauvine etraciste. Le second axe se manifeste à travers le dénigrement, en utilisant,comme termes péjoratifs, les dérivations étymologiques du mot « arabi » (ou"arabe") tel que ‘ourbane’, en les associant au comportementrétrograde de certains bédouins et tribus de la Péninsule Arabique.

De plus,cette association avec les habitants de la Péninsule et du Golfe, est devenuepéjorative du fait du comportement outrancier de leurs dirigeants, causé par lamanne pétrolière. Le troisième axe est à travers le déni de la contributionarabe à la civilisation humaine, en donnant la priorité aux contributions descivilisations avoisinantes, telles que la civilisation persane, hindoue,chinoise, ou pharaonique, etc... Le quatrième axe est plus récent où l’attaquecontre l’arabité s’effectue par le refus de reconnaitre son existence même». 

 «Lediscours occidental des dernières annéesidentifie les habitants duLevant arabe aussi bien que du Maghreb, comme un assemblage de communautés religieuseset ethnies diverses» analyse le professeur Ziad Hafez.

«Lesirakiens ne sont que des ‘sunnites’, des ‘chiites’, des ‘kurdes’, des Turkmènes'.On constate le double jeu occidental qui reconnait l’identité ethnique desnon-Arabes mais ignore l’identité arabe. Il en est de même en Syrie où iln’existe pas des 'Syriens’, encore moins des Arabes, mais simplement desSunnites, des Chiites, des Alaouites, des Chrétiens, des Druzes, mais aussi desKurdes et des Turkmènes. Et au Maghreb, il n’y aurait que des Amazighs et desAfricains du Nord».                                      

«Toutecette entreprise de requalification identitaire à but de division et dedomination" (cette expression est de la rédaction pour tenter de résumerle passage précédent. Ndlr) sert à justifier, en fait, l’existence de l’entitésioniste comme un ‘état Juif’», relève-t-il, expliquant que «c’est-à-direque la religion est la base d'un état-nation. Certains intellectuels arabesoccidentalisés estiment que le problème principal du nationalisme arabe estl’occultation des ‘minorités’, ignorant que l’attaque se poursuit également contrela ‘majorité’ ! Il est bien entendu que nous rejetons cette appréciation nonfondée car notre définition de l’arabité n’ignore pas les minorités»,poursuit le penseur libanais.

 « (...)Les éléments constitutifs de l’identité arabe sont multiples et sontporteurs des ajouts civilisationnels et culturels, acquis à travers lessiècles, du fait de l’interface entre les peuples résultant de l’émigrationet/ou des conquêtes. Mais ce qui distingue l’identité arabe et constitue enmême temps son point d’orgue est la langue arabe. Il existe plusieurs étudesdémontrant les liens entre l’identité et la langue, non seulement chez lesArabes mais aussi pour l’ensemble de l’humanité.

Il noussuffit simplement d’observer et de réaffirmer le lien entre l’identité arabe etl’importance de la langue arabe comme incarnation et expression de cetteidentité».

 «A cepropos», ajoute M. Hafez, «nous avons jugé utile d’apporter uneclarification sur l’étymologie arabe du mot ‘’arab’’ qui définit l’identité. Laréférence linguistique est tirée de l’encyclopédie lexicographique «Lissane el‘Arab» du grand lexicographe du 13ème siècle Ibn Manzour. Ce dernier définit lemot ‘arab par "celui qui connait son origine".

Soncontraire est « ‘ajam » et est celui qui ne connait pas son origine. Par lasuite, le mot «‘ajam » signifie ‘étranger’, et plus étroitement les non-Arabeset souvent les Perses. (...) Nulle part, il est fait référence à une origineethnique qui, elle, est sémite. Il faut donc insister sur le fait quel’appartenance ethnique n’existe pas, même si l’on relève que la"connaissance de son origine" implique une reconnaissance du lien dusang.

Encontrepartie, les influences des changements et compositions démographiques,politiques, économiques, sociales, et culturelles ont significativementcontribué à travers les âges, à la redéfinition des liens du sang au bénéficede la langue, de l’histoire et d'un destin commun (...)».

«L’origineethnique ou raciale des Arabes», précise M. Ziad Hafez, «est souventassociée dans les anciens textes occidentaux au mot ‘Sarrasin’. L’attributionraciale est un "apport" occidental. En effet, l’étymologie du mot‘Sarasin’ provient du grec ‘sarakounos’, c’est-à-dire les descendantsd’Abraham, non issus de Sarah, allusion à peine voilée à l’origine"inférieure" (ou même bâtarde !) d’Ismaël, né hors du mariage"officiel". Ismaël, le fils de la servante d’Abraham et de Sarah,Hajar, ‘mère des Arabes’, est le père légendaire des Arabes, un bâtard !»        

«Làencore, la question de l’Autre est une production occidentale où les"identités partielles" ("kurde", "turkmène",etc...) ont été inventées pour semer la sédition au sein des sociétés de notrepatrie arabe, tout en dénigrant l’origine des Arabes.De plus, l’introductiondes "identités partielles" a été voulue comme "introduction à lamodernité" d’après le chercheur Sari Makdissi.

Parcontre, selon Georges Corm, la création du problème de l’Autre a été vouluepour justifier toutes les aventures coloniales où l’Autre, ‘inférieur’, devaitêtre introduit à la "civilisation". D’où le slogan trompeur de"Mission civilisatrice" pour la France colonisatrice, ou bien"Le fardeau de l’homme blanc" pour la Grande Bretagne, et plus récemment,"Le destin manifeste" pour l’entreprise impériale américaine». (...)

«Un autreélément contribuant à la confusion relative à l’arabité est la relation decette dernière avec l’Islam ».

«Pournous», fait remarquer M. Hafez, la relation est simple : «l’arabité estune identité et l’Islam est son esprit, du fait que la grande majorité desArabes est musulmane. L’Islam en général et le Coran en particulier,nécessitent la connaissance de la langue arabe. De ce fait, on comprend l’Islamà travers l’arabité et à travers l’Islam, on découvre l’arabité».

«Il noussemble utile de reproduire un extrait d’un texte, écrit en 1942, par l’un desdeux fondateurs du Parti Baath, Michel Aflak, intitulé  "En souvenir du MessagerArabe",  c’est-à-dire le ProphèteMohammad.

Aflaksouligne que "L’Islam (...) est le choc vital qui provoque le mouvement detoutes les forces de la Nation (Oumma). Les Arabes ont connu, à partir de cetteexpérience morale indomptable, la capacité de résister à leur sort et à sedépasser pour atteindre une union supérieure. Cette expérience n’est pas unévènement historique que l’on invoque à l’occasion, pour des besoins de fierté,mais une disposition permanente dans la Nation Arabe, si l’Islam est compriscomme il le faudrait.

Cetteexpérience renforce sa conduite morale chaque fois qu’elle s’assoupit, etapprofondit son esprit chaque fois qu’il s’aplatit. Elle se répète à traversl’épopée héroïque de l’Islam dans toutes les phases du prosélytisme, de lapersécution du Prophète, de son émigration, de ses guerres, de sessuccès et de ses échecs, jusqu’au triomphe final de la foi et du droit». 

Ensuite leprofesseur Ziad Hafez se penche sur le concept ou l'idéologie du"nationalisme arabe". «Le parcours de l’arabité», dit-il, «estconcomitant à celui du nationalisme arabe. Ce dernier a bien évolué durant lesiècle dernier. Au départ, le nationalisme arabe est un mouvement de résistanceà la "turquisation" des provinces arabes du sultanat Ottoman.

Entre lesdeux guerres et jusqu’en 1970, il se transforme en un mouvement de libérationcontre l’occupant européen, britannique, français, italien, ou même espagnol.

L’Europe,dans son entreprise coloniale, au 19ème siècle, s’était adjugé des provincesarabes dans le Levant et en Afrique du Nord. Elle a continué après la PremièreGuerre Mondiale. De ce fait, le caractère du nationalisme devient militant etappelle à la libération. Durant les années 1950 et 1960, il appelle à l’unitéarabe face à l’impérialisme et au sionisme qu’il rejette comme une implantationcoloniale au sein de la patrie arabe.

De plus,il appelle à une révolte contre l’ordre colonial hérité et la dépendanceéconomique vis-à-vis des anciennes métropoles coloniales puis de l’Amérique. Aufur et à mesure des années, il développe une vision économique et socialeprogressiste, attachée à l’émancipation de l’homme et de la femme.

La teneurlaïque de son discours émeut les forces réactionnaires parrainées par lespétromonarchies. La disparition de Nasser, en 1970, porte un coup d’arrêt àl’avancée du nationalisme arabe. La contre-révolution est amorcée par Sadate (lesuccesseur du raïs égyptien) qui sonne le glas, 'provisoire' (la précision estdu conférencier. Ndlr) du panarabisme.

Durantles années 1980, s’effectue une révision fondamentale de la pensée nationalistearabe. L’arabité, définie comme une identité, sert de ralliement à toutes lescomposantes de la société arabe. Est considéré comme ‘arabiste’ ou ‘ouroubitoute personne qui adhère au Projet de Renaissance Arabe ou "Al Mashrou’Al Nahdaoui Al ‘Arabi ».

«Ilressort de tout cela que le nationalisme arabe a été (et il l’est toujours) unmouvement de libération au niveau politique, économique, social, et culturel.Parmi les constantes de son programme politique, la quête de l’unité arabe,l’opposition à l’entité sioniste, et la réalisation de tous les droitspalestiniens spoliés par le Mandat Britannique et l’occupation sioniste.

Sansvouloir entrer dans les particularités des politiques suivies par lesgouvernements arabes se proclamant du nationalisme arabe, il nous suffit desouligner que les échecs de ces gouvernements sont liés aux luttes intestinespour le pouvoir, par les jalousies personnelles des dirigeants, etl’éloignement voulu des objectifs d’union et de libération de la Palestine. Cesgouvernements ont pratiqué la politique d’exclusion de tous ceux qui contredisaientles factions régnantes».

«Ce reculdu nationalisme arabe, amorcé avec l’arrivée au pouvoir de Sadate (le présidentégyptien qui a signé avec Israël, en septembre 1978, les accords de Camp David.Ndlr) a été accéléré», signale Ziad  Hafez «avec les moyensfinanciers considérables des pétromonarchies, bénéficiant de la montée soudainedes prix du pétrole, au lendemain de la disparition de Nasser.

Cesmoyens financiers ont servi de support au développement d’un discoursd’exclusion, propagé à partir des mosquées, soi-disant pour lutter contre"l’athéisme" du mouvement de libération arabe. Ce discours a trouvéson apogée dans la justification de l’envahissement et l'occupation de l’Irakpar la coalition menée par les Etats Unis.

Le résultata été la destruction de l’Irak, suivie, quelques années plus tard, par ladestruction de la Libye, du Yémen, de la Syrie, de Bahreïn et des menacesplanant sur l’Egypte post révolutionnaire, sur le Liban, et sur l’Algérie».

«Ladestruction (ou la tentative de destruction) de ces contrées arabes et lediscours d’exclusion qui l’a soutenue, ont provoqué une réaction à l’absurditéde l’exclusion et aux projets obscurantistes que promeuvent les avocats dufanatisme religieux, de ses excès de comportements, et de la sauvagerie qui lescaractérisent.

De plus,ces mouvements sont liés aux agendas des services de renseignements occidentauxet sionistes. C’est pour cela que nous assistons à un réveil rétablissant lediscours arabiste qui rassemble et qui n’exclut personne ainsi qu’un appel à laréalisation du Projet de Renaissance Arabe. (...) »

On peut sedemander, après avoir lu ce texte militant du professeur Ziad Hafez, sil'idéologie de l'arabité est belle et bien morte et enterrée (à l'instar, parexemple, du communisme triomphant du siècle dernier) ou si, au contraire, ellereste un "horizon indépassable" pour tous les peuples arabes en quêted'un avenir ?



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