Par Maître Fayçal Megherbi*
L’avant-projet de loi de finance 2021 a été étudié le 4 octobre 2020. Présidé par le président de la République, Abdelmajid Tebboune, plusieurs mesures ont été annoncées. En 2019, les hydrocarbures et dérivés ont représenté 92,72% du total des exportations à l’étranger d’après la Direction Générale des Douanes.
Les start-up ou la « locomotive du nouveau modèle économique »
Lors du conseil des ministres, le Président de la République Abdelmajid Tebboune a recommandé, à travers diverses mesures, d’ « encourager les petits investisseurs et porteurs de projets dans le cadre les start-up ». Selon lui, les start-up sont vectrices d’autosuffisance et de créations d’emplois.
Tout d’abord, ont été proposées des exonérations fiscales importantes pour les start-up, pouvant durer jusqu’à 5 ans. Tel que l’article 69 de la loi de Finances 2020 disposait « les start-up sont exonérées de la taxe sur l’activité professionnelle et de l’impôt sur le revenu global ou de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, pour une durée de trois années à compter de la date de début d’exercice. Sont exonérées de la TVA, les équipements acquis par les start-up, au titre de la réalisation de leur projet d’investissement ». Ainsi, si dès 2019 des avantages fiscaux étaient déjà aux profits des start-up, en 2019, de nouvelles exonérations ont été implémentées.
L’État poursuit donc sa volonté de faciliter le développement des start-ups. En effet, la Conférence Nationale des start-up a eu lieu le 3 octobre 2020 à Alger et plusieurs nouvelles mesures en faveur de la construction d’une « Start up Nation » ont été annoncées. Parmi elles, la création d’un mécanisme de financement « Algerian start-up fund », plus « flexible » et tolérant du risque. Il avance aussi une nouveauté dans le financement participatif.
De plus, le décret exécutif 20-254 du 15 septembre 2020 porte création du comité national de labellisation des « Start-up », « Projets innovants » et des « Incubateurs » et recense toutes les conditions pour se faire attribuer l’un des ces labels, nécessaires à l’obtention des nombreux avantages fiscaux.
Ces nouveautés soulignent la volonté de l’État de reconstruire un « modèle [économique] basé sur la connaissance et où les start-up seront érigées en locomotive », a annoncé A. Tebboune lors la Conférence nationale des start-up.
De même, le Président incite la communauté algérienne à l’étranger à investir en Algérie, notamment dans le domaine des start-up.
Enfin, une baisse des transferts de fonds a été enregistrée en 2019, tombant à 1,8 milliards de dollars. Si l’Algérie fait face à l’effondrement de ses réserves de change, elle pourrait bénéficier de ses transferts de fonds. Ces derniers ne sont pas toujours traçables, ainsi le crowdfunding répond à un double objectif : l’incitation et la traçabilité. « Cette innovation [le crowdfunding] financière rend accessible aux investisseurs diasporiques des investissements auxquels ils n’avaient pas précédemment accès ». Crowdfunding et diasporas: le financement participatif vient-il remettre en cause les acteurs du financement diasporique? (2017), Cécile Fonrouge.
Le développement industriel : canal principal vers l’autosuffisance
D’après la Direction Générale des Douanes, les biens d’équipements industriels représentaient seulement 3,35% des exportations hors hydrocarbures en 2019, alors qu’ils représentaient 31,91% des produits importés en 2019.
Lors du Conseil des Ministres, le Président annonce encourager les start-up à entreprendre les partenariats avec les sociétés technologiques à travers la sous-traitance notamment dans le domaine de la fabrication de téléphones portables, en vue de hisser les taux d’intégration nationale dans la production. En effet, en 2012, les produits de hautes technologies représentaient 0,1 % des exportations algériennes, contre 6,4 % au Maroc et 5,6 % en Tunisie (Algérie, 2017, Massensen Cherbi).
Depuis 2003 existe une volonté de privilégier les exportations hors hydrocarbures, notamment à travers la création du prix annuel « Export Trophy » initié par le World Trades Center Algiers. En 2018, le prix a été remporté par l’entreprise Condor Electronics spécialisée dans l’électronique, l’électroménager et le multimédia. De fait, selon l’Agence Nationale de Promotion du Commerce extérieur, entre 2016 et 2017, les importations des machines à laver à été divisé par deux, si elles représentaient 1,1% des biens d’équipements industriels importés en 2016, elles ne représentaient que 0,5% des biens d’équipements industriels importés en 2017 (d’après Algex). Ainsi, cela représente une modification relativement importante de la configuration des produits importés. Les machines à laver représentent également près de 41% des exportations des biens d’équipement industriels.
Le conseil des ministres a par ailleurs ordonné au ministre de l’industrie de séparer les appareils électroménagers et les appareils électroniques, dans les cahiers des charges, afin d’atteindre de manière progressive un taux d’intégration nationale de 70%.
Djilali Mouazer, PDG de l’Eniem de Tizi Ouzou (industrie d’électroménager) a déclaré ses ambitions d’exportation notamment vers les pays Niger, Mali, Mauritanie, Tunisie, Libye et d’autres pays de la CEDEAO. « Il s’agit de créer des partenariats commerciaux dans ces pays et de trouver des distributeurs pour nos produits, dont les réfrigérateurs et les cuisinières » (El Watan, 8 octobre 2020).
De plus, ces entreprises pourront pleinement bénéficier du projet de Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF). En effet, cette plus grande zone de libre-échange du monde, regroupant 54 pays (l’Érythrée étant le seul pays non signataire du projet) permet la libéralisation des tarifs douaniers, la réduction des barrières non tarifaires et facilite le commerce, donnant ainsi lieu à la baisse des coûts de transaction. Si sa mise en place était prévue pour le 1er juillet 2020, elle a été repoussée à la suite de la pandémie de la COVID 19.
Selon Jeff Gable, chef économiste du groupe ABSA, l’Afrique devrait être applaudie pour cette collaboration inédite dans le climat isolationniste actuel.
La composition des produits d’exportation algériens illustre la présence industrielle en Algérie, mais également le manque de savoir-faire en termes d’élaboration des produits. En effet, en 2019, les produits semi-finis représentaient 75,39% des produits exportés.
Les produits importés coûtent le plus cher à l’Algérie en 2017 sont les suivants :
- voitures de tourisme;
- médicaments
- appareils électriques pour la téléphonie ou la télégraphie par fils
Ainsi, il est primordial d’engager des réformes industrielles sur ces trois secteurs. Nous avons déjà noté l’ambition de l’État d’améliorer le secteur de la téléphonie au travers des start-up.
Lors de la présentation du projet de loi portant approbation de l’ordonnance nº02-20, modifiant et complétant la loi relative à la santé, Lotfi Benbahmed, le ministre délégué à l’Industrie pharmaceutique, a déclaré l’objectif de « réduire la facture d’importation des produits pharmaceutiques » dans le but d’en exporter. Il promet une prise en charge de la régulation de l’activité d’importation et l’orientation vers l’exportation. Effective à partir du 4 octobre 2020, cette mesure de régulation oblige les organismes de santé à acquérir une attestation délivrée par le ministère lors d’importation. Ainsi, le ministère obtient le suivi total des importations des médicaments. Si cette mesure permettra à terme d’identifier et de réduire la facture des importations, à court terme elle va amplifier la rupture déjà présente de médicaments nécessaires à la survie de certains individus.
Concernant la rupture des médicaments, il s’agit notamment de certains médicaments anti-cancer qui manquaient à la Pharmacie Centrale des Hôpitaux. Selon le Professeur Kamel Bouzid, chef de service d’oncologie au centre Pierre et Marie Curie d’Alger, nombreux sont les médicaments qui ont péri donc la péremption de ces médicaments vient s’ajouter à la rupture, causant un manque d’autant plus important de certains médicaments.
De plus, en 2018, Sanofi a ouvert le plus grand complexe pharmaceutique d’Afrique, ayant pour ambition d’accélérer ses exportations de médicaments aux pays d’Afrique depuis l’Algérie. Cela devrait, à terme, bénéficier grandement à l’Algérie en terme économique mais également en terme de transfert de connaissance, et ainsi améliorer sa balance commerciale.
De plus, l’article 206 de la loi n° 18-11 du 18 Chaoual 1439 correspondant au 2 juillet 2018 relative à la santé dispose que « L’Etat soutient, à travers des mesures incitatives, la production nationale et encourage la recherche et le développement pharmaceutiques, notamment par la promotion de l’investissement dans ce domaine ». De fait, la volonté de l’État était déjà motivée par un investissement massif dans la recherche de cette industrie, indispensable à la production des médicaments sur le territoire algérien.
Suivant la même logique de réduction des importations, du Conseil des ministres est issu le projet de réalisation des abattoirs sur les frontières sud (Tinzaouten et Bordj Badji Mokhtar), notamment avec le Mali et le Niger afin d’approvisionner le marché national en viandes au lieu de les importer.
Lors du conseil des ministres, Tebboune a également annoncé son ambition de réorganiser Air Algérie « manière à la rendre compétitive à l’international, tout en veillant à réduire le nombre de ses agences commerciales à l’étranger ». Pratiquant le modèle point à point, Air Algérie ne maximise pas son potentiel en termes de propositions de destinations et ne touche pas le maximum d’algériens. Au contraire de certaines compagnies étrangères, qui elles pratiquent le modèle hub and spoke, multipliant les routes et connexions. Il a ainsi ordonné la création d’une plate-forme à Tamanrasset, localisation stratégique pour desservir l’Afrique et le continent américain.
De ce fait, le ministre des transports, M. Lazhar Hani, a annoncé à Alger le lundi 5 octobre la création d’une compagnie publique devant prendre en charge le transport aérien afin d’appuyer « Air Algérie ». Cette compagnie se concentrera sur les vols aériens domestiques.
Tebboune a également annoncé la diminution des agences d’Air Algérie à l’étranger afin de réduire les coûts et économiser ses réserves de devises.
Tebboune a également invité les industries maritimes à s’orienter sérieusement vers la construction navale en partenariat avec les étrangers parmi ceux qui ont exprimé leur entière disponibilité en la matière, notamment les pays de la Méditerranée.
Par ailleurs, la construction du port du centre à Cherchell, dont le coût de réalisation devrait être compris entre 5 et 6 milliards de dollars, démontre l’ambition d’accélération du commerce international de l’Algérie et son ouverture à la concurrence et aux investissements étrangers. Cela amène par ailleurs à s’interroger sur l’avenir des sociétés nationales.
Le développement agricole ou la lutte contre la dépendance aux importations
Selon la Direction Générale des Douanes, les produits alimentaires représentent 19,07% des produits importés par l’Algérie en 2019. Les biens alimentaires représentent 16,1% des exportations hors hydrocarbures, cela témoigne du potentiel de l’Algérie dans le secteur agricole.
Les principaux défis actuels du secteur agricole algérien sont la régulation et la gestion des stocks. En effet, en ce moment, le marché agricole fait face à une hausse considérable du prix de certaines denrées, tels que les fruits et légumes. Selon Lachemi Siagh, docteur en management stratégique, « ce secteur doit maintenir son niveau actuel de croissance et préserver les surplus exportables, tout en développant les activités de stockage, de froid, de transformation et d’exportation » (El Watan).
Ainsi, le stockage permet de lisser l’offre de fruits et légumes dans le temps. Cependant, il est primordial de prendre en compte que certaines denrées sont difficiles à stocker, voire impossible, et dans une optique de conservation de la qualité de ces produits le stockage n’est parfois pas la meilleure option. Cependant, selon la FAO, les pertes et les gaspillages alimentaires représentent 10% de la valeur en kilocalories de la ration alimentaire au cours des années 2009-2013. Cela soulève un problème de stockage qui pourrait être résolu puisqu’il s’agit de denrées qui se conservent. D’autant plus que les principaux produits importés sont les céréales (blé et maïs), le lait et le sucre : d’où la nécessité de stocker l’excédant et d’importer si la production n’est pas suffisante.
Par conséquent, il est nécessaire de s’appuyer sur l’industrie agro-alimentaire. Par ailleurs, tel qu’en témoigne le plan quinquennal de 2015 - 2019, l’Algérie a pour ambition de développer une production locale afin de tendre vers l’autosuffisance. Selon la Banque mondiale, en 2017, l’Algérie avait une balance commerciale agroalimentaire de -9 063 millions de dollars quand le Maroc avait une balance commerciale agroalimentaire de 242 millions de dollars.
Le Conseil des ministres prône un meilleur « contrôle du soutien destiné au secteur agricole, notamment lors des grandes opérations de mise en valeur, appliqué depuis des années mais sans évaluation de bilan ni données appropriées dans ce domaine, et une enquête sur les dossiers de soutien destinés aux différentes filières agricoles ». Autrement dit, il s’agit d’élaborer un suivi et une étude des résultats des différentes politiques de mise en valeur. Cependant, tel que démontré dans le Rapport de synthèse sur l’agriculture en Algérie, (2019) d’Omar Bessaoud, économiste agricole, toutes ces politiques ont grandement bénéficié au secteur agricole ces dernières années et il est important que le développement du droit foncier et des subventions continue. Il est également important, selon lui, de poursuivre les recherches sur les polycultures dans l’écosystème oasien.
Enfin, le conseil des ministres propose d’éviter d’instaurer ou d’augmenter les impôts sur les professionnels de la pêche : en effet cela souligne un but d’augmentation de l’offre des produits halieutiques.
En conclusion, l’Algérie est pleine de ressources, et la clé est d’allouer de manière productive son budget, et sur ce point le Conseil de Ministre s’accorde d’« exploiter de la meilleure manière les fonds spéciaux et de se passer les fonds qui ne sont pas nécessaires » .
*Maître Fayçal Megherbi, avocat au Barreau de Paris