Algérie 1

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Pour une sortie pacifique de l'impasse constitutionnelle

01-06-2019 17:12  La Rédaction

Par MokraneAÏT-LARBI

Après plus de trois mois demobilisation civique sans précédent, un dialogue de sourds s'est installé entreles manifestants et le pouvoir de fait, représenté par le chef d'état major del'armée, pour mener le pays vers une impasse politique. Aux revendicationslégitimes des premiers, qui veulent en finir avec le système del'autoritarisme, de la prédation et de la corruption, répond l'intransigeancedu second, accroché à un légalisme dépassé, pour imposer le statu quo.

Un signe qui ne trompe pas surla volonté du pouvoir d'aller à contre-courant de la volonté populaire. Lesespaces de liberté, de débat et de convivialité arrachés pacifiquement et dehaute lutte par les citoyens, sont constamment agressés par les forces del'ordre, comme si le 22 février n'était qu'un "cauchemar" dont ilfaut rapidement tourner la page. Des manifestants pacifiques sont arrêtés sansmotif légal ; des banderoles hostiles au pouvoir sont arrachées avec zèle ; desplaces publiques sont bouclées par la police pour empêcher les manifestants d'yaccéder ; des conférences sont interdites ; même l'organisation d'Iftars collectifs,partage convivial autour de débats citoyens, est prohibée. Tout est fait pourempêcher les Algériens, enfin rassemblés dans la diversité de leursconvictions, de se retrouver dans la communion fraternelle pour imposer ledébat, contradictoire mais constructif, comme alternative aux confrontationsviolentes.

Pour les partisans du statuquo, il faut à tout prix faire barrage à l'avènement d'une Algérie digne desaspirations partagées de son peuple à un Etat de droit, qui consacrera leslibertés dans la citoyenneté, l'indépendance de la Justice, le respect desdroits humains et la justice sociale. Tout est fait pour pousser à la faute lemouvement populaire qui a fait preuve d'un exceptionnel sens civique, briserson caractère pacifique qui a suscité l'admiration dans le monde, et justifierainsi une répression qui, pour l'instant, se contente de jouer de la matraqueet des gaz lacrymogènes.  

 L'impasse d'uneconstitution dépassée

Après avoir décidé la mise enœuvre l’article 102 de la Constitution pour « éviter un vide institutionnel »,le pouvoir a exécuté son plan par le biais du Conseil constitutionnel et duParlement : confier les prérogatives de chef d’Etat au président du Conseil dela nation, Abdelkader Bensalah, et maintenir le gouvernement Bedoui, nommé parle président déchu Abdelaziz Bouteflika. Malgré une opposition populaireradicale, massivement exprimée chaque vendredi depuis plus de 3 mois, lepouvoir s'est accroché au scrutin comme à une bouée de sauvetage, pour sauverle système par une alternance clanique, quitte à sacrifier quelquesresponsables parmi les plus impopulaires.

Loin d'être un défi à ladémocratie, le rejet de l'élection présidentielle programmée à l'ombred'institutions discréditées par la fraude et les combinaisons de coulisses, estun pas vers la réhabilitation de la volonté populaire, seule source delégitimité.

Malgré le verdict de la rue, lepouvoir continue de foncer droit dans le mur. Face à l'impasse engendrée parson entêtement, comment fera-t-il pour organiser une élection sans encadrementadministratif et judiciaire, sans électeurs, et maintenant sans candidats ?

A la légitimité populaireexprimée massivement par 15 référendum, dont nul ne peut contester larégularité, peut-on raisonnablement opposer la légalité de lacontre-révolution, embusquée derrière une constitution mainte fois violée, unchef de l'Etat virtuel, un gouvernement frauduleux, un parlement aux ordres, etun conseil constitutionnel soumis aux désirs du prince du moment ? 

Pour sortir de l'impasse, lemouvement populaire a opposé deux propositions majeures, portées par des partispolitiques, des associations et des acteurs de la société civile : une périodede transition conduite par une présidence collégiale, ou l’élection d’uneassemblée constituante souveraine.

 Présidence collégiale ouassemblée constituante ?

Pour les partisans de latransition, la présidence collégiale aura pour mission de nommer ungouvernement de compétences en dehors du sérail qui sera chargé principalementde préparer l’élection présidentielle dans un délai raisonnable de six à douzemois, et de légiférer par ordonnances.

Cette solution, qui sembleremporter un large consensus, pose toutefois deux questions préalables, quiattendent des réponses réalistes, loin des manœuvres claniques, et desmanipulations de l'ombre :

1- Qui désignera les personnalitésappelées à siéger dans cette instance, et sur la base de quels critères ?

2- Par quels moyens assurerl'adhésion et le soutien d'une majorité populaire à cette présidencecollégiale, condition préalable à sa légitimité ?  

D'autres propositions sont plutôtfavorables à l'élection d'une assemblée constituante souveraine, élue ausuffrage universel ; elle sera chargée de désigner un chef de l’Etat detransition, de nommer un gouvernement et d'élaborer une nouvelle Constitution.Une fois la Constitution adoptée par voie référendaire, les institutionsprévues par la nouvelle loi fondamentale seront installées.

Sur le principe, l'assembléeconstituante souveraine, revendication historique du mouvement nationale, estla voie démocratique, qui règlera le problème de légitimité, en suspens depuisl'indépendance. Elle exige toutefois des garde-fous consensuels, sans lesquelselle risque d'être dévoyée par des luttes d'arrière garde, et de s'abimer dansd'interminables confrontations idéologiques qui, sous couvert de "valeurscivilisationnelles authentiques", tenteront de restaurer l'ordreautoritaire, même sous un uniforme différent.  

Aussi, faut-il s'entendre surle sens de la démocratie, qui ne saurait se réduire au seul verdict des urnesqui, au nom de la majorité, risque de bâillonner les voix discordantes etd'écraser les minorités. Sans garanties consensuelles préalablement établiespar tous les acteurs politiques, autour des libertés et de l'égalité citoyenne,le suffrage universel risque d'être le tombeau des espoirs trahis depuisl'indépendance, et ressuscités par la révolution en cours.  

En occultant les divergences aunom de "l'unité du mouvement", la révolution en cours ne fera quedifférer les questions fondamentales qui ne manqueront pas de resurgir au plusmauvais moment.  Le temps est venu de sortir des fictions autoritaires ettotalitaires, quel qu'en soit l'uniforme, pour aller résolument vers laconstruction d'une république des citoyens, seul objectif compatible avec lesexigences d'une société plurielle. Pour y arriver, une seule voie : le débatdans la sérénité, sans exclusion a priori ni tabous, dans le respect desconvictions de chacun.

Sans règles consensuelles decohabitation qui permettront aux citoyens de vivre la diversité de leurs convictionscomme une richesse à respecter, et non comme une menace à combattre, lesélections, mêmes régulières et transparentes, risquent d'être le cheval deTroie de la contre-révolution, pour bâillonner nos libertés, "en toutedémocratie" !

Pour une transition en deuxphases

Face au mouvement populaire,l'armée se retrouve en première ligne. Bouclier du territoire contre lesagressions étrangères, elle risque d'être entrainée, une nouvelle fois, dansune aventure aux conséquences imprévisibles.

Pour son salut et pour le salutde la nation, l'armée doit sortir au plus vite de cette mauvaise posture. Aprèsplus de 3 mois de manœuvres, de promesses non tenues et de menaces à peinevoilées, le chef d'état major doit se rendre à l'évidence. Il est temps d'écouterla voix du peuple, et de répondre, enfin, à ses revendications légitimes. Ilest temps d'accompagner la volonté populaire vers son émancipation démocratiquepour permettre à l'Algérie éternelle de revenir durablement dans l'histoire parla grande porte.

Pour sortir de l'impasse etpréserver le caractère pacifique du mouvement, le pouvoir doit faire la preuvede sa bonne volonté par des mesures concrètes. Les provocations policièrescontre les manifestants, les humiliations dans les commissariats, l'interdictiond'accès à la capitale, devenue zone interdite pour les jeunes de l’intérieur dupays chaque vendredi, le bouclage injustifié des places publiques,l'interdiction des conférences et des débats, toutes les manœuvres visant àcréer un climat de tension doivent cesser.    

Une fois la confiance restauréepar de réelles mesures de détente, le dialogue pourra commencer entre lesreprésentants des forces politiques et sociales en mouvement.

Comment désigner lesreprésentants de la révolution ? Si l'on exclut les listes de "leadersconsensuels" suscitées par les manipulateurs de l'ombre, des initiativesplus sérieuses ont été avancées ; d'autres sont en cours.  Par satransparence, l'idée d'une conférence nationale de la société civile, en dehorsdes appareils du pouvoir et de ses clientèles, semble être la plus crédible.

Loin d'être antinomiques,présidence collégiale et assemblée constituante peuvent être complémentaires.La transition du système autoritaire qui reste à démanteler, vers un Etat dedroit, démocratique et social à construire, pourrait se dérouler en deuxphases.  

 Première phase : uneprésidence collégiale de transition

Le dialogue entre représentantsdes différentes parties pourrait déboucher sur la désignation d'une"Présidence collégiale de transition" de 3 à 5 personnalitésindépendantes, consensuelles, réputées intègres et crédibles. Il appartiendraalors au peuple souverain d'exprimer son approbation par un carton vert, ou sonrejet par un carton rouge, lors des marches du vendredi, qui ont valeur deréférendum.

En cas de rejet populaire, laliste, modifiée partiellement ou dans sa totalité, pourrait être proposée unenouvelle fois, en tenant compte des griefs objectifs formulés par les citoyens.

Une fois la "Présidencecollégiale de transition" légitimée, elle prend ses fonctions pour unedurée maximum d'une année, après la démission, sans délai, du chef de l’Etatpar intérim et du gouvernement, et la dissolution du Conseil constitutionnel etdu parlement avec ses deux chambres.

La "Présidence collégialede transition" nomme un gouvernement formé de personnalitésindépendantes,  aux compétences reconnues, qui sera chargé de :

1. Prendre les mesuresurgentes pour le redressement de l'économie nationale, et lancer les procéduresjudiciaires appropriées pour le rapatriement des fonds publics détournés, etdes capitaux transférés illégalement à l'étranger.

2. Réviser la législationélectorale pour garantir un scrutin transparent et régulier. 

 Deuxième phase :l'Assemblée constituante souveraine

Une fois ces conditionsréunies, l'Assemblée constituante sera élue dans un délai n'excédant pas uneannée. Dépositaire de la souveraineté populaire, l'Assemblée constituante aurapour missions de :

1. Désigner un chefde l’Etat et un gouvernement pour la période de transition.

2. Adopter une charte deslibertés et des droits du citoyen qui aura force constitutionnelle, opposableaux futures majorités présidentielle et parlementaire.

3. Adopter uneConstitution qui sera soumise à l'approbation du peuple par voie référendaire.

4. Organiser des électionsprésidentielles et législatives conformément à la nouvelle Constitution.

 Une fois ce processusachevé, la période de transition prendra fin pour céder la place aux nouvellesinstitutions.

Cette synthèse des deux grandespropositions présentées par différents groupes de militants, pourraitconstituer la voie qui permettra une sortie pacifique de l'impasseconstitutionnelle. En attendant un projet consensuel qui va fédérer toutes lesforces engagées dans la révolution en cours, cette contribution est un pas versle débat, nécessairement pluriel, qui doit impliquer toutes les couches de lasociété.  

Le pouvoir doit comprendre quedésormais, les techniques habituelles de "gestion démocratique desfoules" ne peuvent venir à bout de la volonté d'un peuple, qui a prisconscience de son pouvoir pour réaliser ses aspirations. A moins de jouer lastratégie du pire, aucune répression, aucune violence ne pourra venir à bout desa lutte pacifique exemplaire, qui a déjà suscité l'admiration dans le monde.

Malgré les agressions multiplesde la contre-révolution, le peuple mobilisé, et singulièrement sa jeunesse enlutte, ont montré un sens des responsabilités exceptionnel.

Depuis le 22 février, descitoyens ont réussi à abattre les barrières artificielles et débattre de leursproblèmes, dans le respect de leurs différences. Ils ont déjà fait la moitié duchemin pour construire l'Algérie de leurs rêves.

 Le 1 juin 2019



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