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Planification stratégique : Absence de vision sur l'avenir de l’économie algérienne

09-11-2019 15:00  Pr Abderrahmane Mebtoul

J’ai lu avec attention le projet de loi de finances 2020 et analysé l’intervention de Mr le  Ministre des finances lors de sa présentation devant l'Assemblée populaire nationale (APN) le 06 novembre 2019.  Il est important de signaler qu’une  loi de finances ne fait que  retracer  les dépenses et les  recettes annuelles de l’Etat, ne pouvant remplacer la planification stratégique qui fait cruellement défaut à l’Algérie : que sera l’Algérie horizon 2020/2030 tenant compte tant des mutations internes que mondiale toujours en perpétuel  mouvement n’existant pas  de situation statique. Je m’appesantirai dans cette brève contribution sur l’absence de vision stratégique de l’avenir de l’économie algérienne horizon 2030  et le manque de  cohérence du PLF 2020, qui demande des éclaircissements pour l’opinion publique  car engageant la sécurité  nationale, devant pour  être bien interprétée s’insérer, en dynamique, dans le cadre macro-économique et social.

1.-Les prévisions de toutes les  lois de finances en Algérie et notamment ses  réserves de change sont essentiellement fonction des recettes de Sonatrach qui procurent directement et indirectement avec les dérivées environ 98% des recettes en devises et dont les prix du pétrole/ gaz échappent totalement à l’Algérie, étant déterminés par des facteurs exogènes tant économiques que géostratégiques.  Une analyse sommaire du PLF 2020 montre que les  recettes prévisionnelles sont de l'ordre de 6.200,3 milliards de dinars  en 2020 -52,54 milliards de dollars soit une baisse de 7% en raison du recul de la fiscalité pétrolière à 2.200,3 milliards  (18,64 milliards de dollars) contre 2.714,5 milliards de dinars en 2019,(23,00 milliards de dollars ) ,  500 milliards de dinars,(4,23 milliards de dollars)  étant prévu un système fiscal spécial aux hydrocarbures séparé des lois de Finances  avec une  hausse moyenne de la fiscalité ordinaire prévue devant passer à 300 mds de dinars (2,54 milliards de dollars)   en 2020, et pas  moins  de 46 mesures fiscales sont contenues dans le projet de loi de finances 2020.  Pour les des dépenses publiques, il est prévu pour le  budget  de fonctionnement  4.893 milliard de dinars - 41,46 milliards de dollars, et pour le budget d'équipement, le PLF a réservé une enveloppe de 1.619,88 mds  de dinars -13,72 milliards de dollars - (37,7%) au budget d'autorisation de programmes de 2020, en sus d'un autre montant de 2.929,7 mds de dinars -24,83 milliards de dollars pour les crédits de paiement. Nous avons une coupe sévère dans les dépenses d’équipements (-18 ,7%) et une légère baisse des dépenses de fonctionnement (1,2%).  Ainsi, le PLF 2020 prévoit un déficit du budget de -1.533,4 milliards de dinars -12,30 milliards de dollars  (-7% du PIB) et un déficit du Trésor de -2.435,6 milliards de dinars -20,65 milliards de  dollars  (-11,4% du PIB), avec  une dette publique de 8530 milliards de dinars -72,30 milliards de dollars-  soit 41,4% du PIB. Le déficit de la balance des paiements devrait atteindre  8,5 milliards de dollars en 2020 contre 16,6 milliards de dollars en 2019, soit une baisse de 8,1 milliards de dollars.  Par ailleurs,  Le PLF 2020 prévoit  afin d’améliorer le climat des affaires et de l'attractivité de l'économie d’assouplir la règle des 49/51% aux seuls secteurs stratégiques  sans pourtant les définir avec précision  et pour combler le déficit de financement  de recourir  de manière sélective, au financement extérieur auprès d'institutions financières internationales de développement pour financier les projets économiques structurels et rentables.

2.-. Ces mesures conjoncturelles certes ont un impact  sur le niveau des réserves de change, mais ce qui devrait   ralentir la croissance qui est tirée essentiellement  par  la dépense publique, ne pouvant gérer un pays comme une épicerie mais avoir une vision stratégique de transformation du capital -argent en accumulation des richesses. Car  bon nombre de pays développés ayant un niveau d’endettement public élevé par rapport au PIB  et  réserves de change presque nul ont  une économie productive : attention  au mythe monétaire devant synchroniser la sphère réelle avec la  sphère financière, la dynamique économique  et la dynamique sociale. L’expérience de l’ex Roumanie  communiste avait une dette extérieure zéro mais une économie en ruine et l’expérience récente vénézuélienne premier réservoir mondial de pétrole avant l’Arabie Saoudite en misant uniquement sur la rente, jouant sur les mécanismes monétaires a conduit le pays à une hyperinflation et à la semi faillite. Ainsi les réserves de change entre 2000 et avril 2019 (données officielles) ont évoluées ainsi  de 2000 à avril 2020 avec des prévisions contradictoires entre les organismes internationaux et ceux du gouvernement. En 2000 : 11,9 milliards de dollars-- 2001 : 17,9 milliards de dollars - 2002 : 23,1 milliards de dollars  - 2003 : 32,9 milliards de dollars - 2004 : 43,1 milliards de dollars - 2005 : 56,2 milliards de dollars - 2006 : 77,8 milliards de dollars - 2007 : 110,1 milliards de dollars - 2008 : 143,1 milliards de dollars - 2009 : 147,2 milliards de dollars - 2010 : 162,2 milliards de dollars - 2011 : 175,6 milliards de dollars - 2012 : 190,6 milliards de dollars - 2013 : 194,0 milliards de dollars - 2014 : 178,9 milliards de dollars - 2015 : 144,1 milliards de dollars - 2016 : 114,1 milliards de dollars - 2017 : 97,3 milliards de dollars- 2018 -79,8 milliards de dollars -avril 2019, 72,8 milliards de dollars. La baisse des réserves de change entre 2016/2017  a été de 30 milliards de dollar  et entre 20182017 de 16,8 milliards de dollars. Au même rythme  2019/2018 les  réserves de change devraient clôturer à environ 60,5 milliards de dollars fin 2019. Avec  les données de  la banque d’Algérie  fin  avril 2019 , où le niveau a été  de 72,8 milliards de dollars soit   une baisse en  moyenne annuelle de 21 milliards de dollars au même rythme des autre premiers mois,  en référence au niveau du 31/12/2018,  les réserves de change  pour un cours de pétrole moyen 60/62 dollars ,le gaz  3/4 dollars pour le GN  et 5/6 dollars pour le GNL  seraient : de 58 /60milliards de dollars fin 2019,  35/37 milliards  de dollars fin 2020, 18/20 milliards  de dollars fin 2021, et le risque d’épuisement des réserves de change et retour au FMI durant le premier semestre 2022.

3.- Dans la présentation de la loi de finances 2019, le Ministre chargé du secteur annonce fin 2020 un niveau de réserves de change de 51,6 milliards de dollars. Les recettes se basent  sur une augmentation des revenus des exportations des hydrocarbures en 2020 de 2% par rapport à 2019 pour atteindre 35,2 milliards de dollars, contre 34,5 milliards de dollars en 2019. Ceci, en raison d’une augmentation de 2,06 % des quantités des hydrocarbures devant être exportées. Le cadrage économique repose  sur un prix référentiel du baril de pétrole à 50 dollars et un prix de marché du baril à 60 dollars, le gouvernement reconnaissant  un recul des quantités d’hydrocarbures exportées de 12% à fin juillet 2019 après une baisse de 7,3 % en 2018.,   mais sans préciser  que 33% des recettes de Sonatrach proviennent  du gaz naturel( GN-76% et GNL-24%) dont le cours a connu une  baisse d’environ 40% des dernières années fluctuant pour le cours du marché libre en 2019 entre  2/3 dollars le MBTU. Ce niveau des réserves de change  a  été calculé  avec l'hypothèse d'un niveau des importations, de 38,6 milliards de dollars en 2020, comme rappelé précédemment avec  un  déficit de la balance des paiements de 8,5 milliards USD en 2020  Or  en référence aux données  du déficit de la balance de paiement 2019 annoncé lors de la présentation du PLF 2020,  nous devrions avoir un niveau de réserves de change fin 2019 d’environ 63 milliards de dollars. Quitte à me répéter, le PLF 2020  manque de cohérence. Comment dès lors peut-on émettre des hypothèses, loin de la réalité économique et sociale, baisse sensible  des importations de biens et services, sans nous expliquer comment combler l’écart entre la demande et l’offre globale,  une légère augmentation des recettes d’hydrocarbures, contredit récemment par le dernier rapport pessimiste de l’OPEP et de l’AIE,     pour conclure à un niveau de réserves de change de 51,6 milliards de dollars fin 2020.  Ces hypothèses sont  fortement discutables, étant fort probable une loi de finances complémentaire fin juin 2020 par un autre gouvernement. Je  rappelle  que nous avons eu deux anciens premiers ministres avec leurs ministres des finances et du commerce entre 2015/2018 qui avaient promis un niveau d’importation  d’environ 35 milliards de dollars entre 2015/2018, promesses jamais réalisées. Une explication s’impose  sachant que le taux d’intégration tant des entreprises publiques que privées ne dépasse pas 15% en moyenne, une restriction draconiennes risquant d’étouffer comme au Venezuela, le peu d‘unités  productives existantes dont les restrictions de crédit actuellement ont eu pour effet la fermeture ou la sous utilisation des capacités  de milliers d’unité et pour les biens de consommation finaux, d’accélérer le processus inflationniste, accélérant détérioration du pouvoir d’achat des plus vulnérables, malgré les subventions mais mal ciblées. Dès lors comment avec une recette en devises d’environ 1000 milliards de dollars dont  pour Sonatrach 930 milliards et une sorties de devises concernant les biens et les services (entre 9/11 milliards de dollars/an entre 2010/2018) de janvier 2000 au 30 avril 2019 les  sorties de devises  n’ont permis qu’un taux de croissance, moyenne annuelle, entre 2,5 et 3% montrant un divorce entre la dépense et les impacts économiques et sociaux : mauvaise gestion ou corruption ou les deux à la fois.

4.- Comme le gouvernement a décidé dans sa loi de finances 2020 de ne plus recourir à au financement non conventionnel  qui aura  avec un impact inflationniste certain à terme, du fait que l’Algérie  n’a pas une économie productive diversifiée, où ont été injectés 45 milliards de dollars (25% du PIB estimé en 2018 à 180 milliards de dollars) sur un total prévu de 55 milliards de dollars.  S’offrent plusieurs solutions dont je recense sixa-l’endettement extérieur ciblé pour les segments à valeur ajoutée tout en assouplissant la règle des 49/51% mais devant distinguer les segments stratégiques des segments non stratégiques historiquement datés ;  -b-l’augmentation de la fiscalité ordinaire, mais risquant d’amplifier la sphère informelle qui contrôle selon les dernières données de la banque d’Algérie, environ   de 33% de la masse monétaire  en circulation, 35/40% de la population occupée servant de tampon social, et plus  de 50% des activités hors hydrocarbures, amplifiée par  la crise politique actuelle ; -c-l’augmentation de la production hydrocarbures pour augmenter la fiscalité pétrolière en baisse ; -d- la lutte contre la corruption et les surfacturations ; -d-puiser dans les réserves de change, la relance de l’appareil productif mais dont l’effet n’est pas immédiat , sous réserve d’une autre politique économique ; –e-  le PLF2020 prévoit le dérapage du dinar , comme un des levier  pour ne recourir au financement non conventionnel avec un  taux de change de 123 dinars pour un dollar  pour 2020, 128 DA/dollar pour 2021 et 133 DA/dollar pour 2022. Cela  signifie accroire artificiellement la fiscalité pétrolière calculée en dollars et les importations d’équipements , de biens intermédiaires aux entreprises et de biens finaux destinés à la consommation  des ménages  fonction du cours euro/dollar, accélérant le processus inflationniste, la taxe  à la douane s’appliquant à un dinar  dévalué, qui jouera comme un  impôt indirect*.

5.- L’ensemble de ces données monétaires et financières doivent pour être bien interprétées s’insérer dans le  cadre macro-économique et macro-social et toujours en dynamique. En effet, l’Algérie a besoin d ‘une vision stratégique qui fait cruellement défaut où selon les rapports internationaux, le pays risque de connaitre une profonde crise économique avec des répercussions sociales, voire politiques. Comme en témoigne  le taux de croissance   lié au climat des affaires où l’Algérie selon le dernier rapport de la banque mondiale 2019 est classée 157ème sur 190 pays, renvoyant à la mauvaise gouvernance, bureaucratie, corruption, système financier et système socio-éducatif non adapté , étant classée parmi les  derniers pour l’innovation. Selon le FMI , le taux de croissance serait de 2,9% en 2019, 2,4% en 2020 et moins de 1%  entre 2021/2024 en cas de paralysie de l’appareil productif dont la relance est fonction de profondes  réformes structurelles,  La banque mondiale étant  plus pessimiste dans son rapport du  9 octobre 2019 avec  1,3% en 2019 et 1,5% pour 2020,( la PLF 2020 prévoyant 1,8%,). Le FMI  prévoit un  déficit budgétaire de 12,1 % du PIB alors que  le PLF 2020 prévoit un déficit du budget de -1.533,4 milliards de dinars (12,99 milliards de dollars)   (environ -7% du PIB) et un déficit du Trésor de -2.435,6 milliards  de dinars – 20,6 milliards de dollars (-11,4% du PIB). donc de vives tensions budgétaires. Comment dès  lors  créer entre 350.000/400.000 empois   par an qui s’ajoutent  au taux de chômage actuel   nécessitant un  taux de croissance de 8/9% par an sur 5/10 ans pour  éviter de vives tensions sociales? Cela a un impact négatif sur le taux de chômage avec  une  population  de  43 millions  d’habitants au 01 janvier 2019, une population active d’environ 12,5  millions où  selon le FMI ,en raison du ralentissement du taux de croissance, dominée par l’impact de la dépense  publique via la rente Sonatrach,  en 2018, 11,7% de taux chômage,  en 2019, 12,5%, en 2020 plus de 13,5% en 2021, ce taux ne tenant pas compte des emplois rente notamment dans l’administration  plus de deux millions de fonctionnaires environ 2.279.555 postes  plus de 2900 milliards de dinars ont été alloués à la masse salariale, qui a connu une hausse de 1430 milliards de dinars, par rapport à 2019. Comme le PLF2020 annonce que les transferts sociaux se sont  élevés à 1798,3 mds de DA, soit 8,4% du PIB, du fait de  la lourde pression de la CNR (Caisse nationale des retraites)  sur le trésor  un déficit structurel de 700 milliards de dinars que le Trésor continuera de soutenir, selon le ministre des finances ,  d’ici dix ans en attendant la réforme de ce système des retraites qui ser ale grand défi des années à venir avec le vieillissement de la population, moyenne d’âge des deux sexes selon le rapport de l’ONU, 2018, à environ 78 ans de durée de vie.

En  conclusion, nous avons un gouvernement transitoire, devant en principe gérer les affaires courantes, prenant des décisions  incohérentes qui engagent l’avenir du pays,  naviguant à vue,  à vue. Le futur président de la république, et son gouvernement qui auront la légitimité populaire devront  revoir le modèle de consommation énergétique, par exemple pour l’avant projet de loi sur les hydrocarbures, l’insérer dans le  cadre d’une loi organique de la transition énergétique et de revoir  la future politique économique dans le cadre d’une la planification stratégique liant efficacité économique et la cohésion  sociale  et surtout de résoudre la crise politique, grâce au dialogue productif,   sans laquelle aucun investisseur sérieux ne viendra. C’est la résultante de l’imbrication du politique et de l’Economique en Algérie,  ni économie étatisée, ni véritable économie de marché concurrentielle, étant toujours dans cette interminable transition depuis des décennies, produit de rapports de forces politiques et sociaux qui se neutralisent. Cela   rend difficile une véritable régulation  et une bonne gouvernance centrale et locale comme facteur  d’adaptation aux nouvelles mutations mondiales, fondée sur le savoir, les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle, vivant encore de l’utopie de  l’ère matérielle  des années 1970/1980, du fait du blocage  culturel, bloquant ainsi  l’approfondissement des réformes structurelles, condition sine qua non du développement durable de l’Algérie. Or l’Algérie acteur stratégique  de la stabilité de l’espace méditerranéen et africain, recèle d’importantes potentialités, surtout humaines,  pour surmonter la crise multidimensionnelle à laquelle elle est confrontée, pour peu que les intérêts suprêmes du pays l’emportent sur les intérêts étroits d’une minorité rentière 

 * Pour toutes ces questions - Interviews du Pr Abderrahmane MEBTOUL Expert international, directeur d’études Ministère Energie/Sonatrach 1974/1979-1990/1995-2000/2007-2013/2015,  données à  la radio française Beu Fm -Paris le 01/11/2019- à la télévision française arabophone France 24 Paris 03/11/2019-  à Radio Algérie Internationale – Alger-  le 04/11/2019.  A   la radio  chaîne Trois- Alger-- et Radio France Internationale Paris  le 05/11/2019 sur le bilan de l’économie algérienne, ses perspectives et  le projet de  loi des hydrocarbures.

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Professeur des universités - Abderrahmane Mebtoul (docteur d’Etat-1974) -expert comptable de l’institut supérieur de gestion de Lille -  Paris le 08 novembre 2019



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