Après le flot des déclarations martiales, c'est comme si le temps du reflux était venu : aux menaces laissant l'impression d'une intervention militaire israélienne imminente contre les sites nucléaires iraniens succède un consensus fragile en faveur de l'apaisement.
Du moins semble-t-il. Comme si, à l'exception de leur premier ministre, Benyamin Nétanyahou, nombre de responsables israéliens prenaient conscience que cette escalade rhétorique marquée par des dissensions croissantes avec les Etats-Unis risquait de leur aliéner durablement le soutien de leur allié indispensable.
La soudaineté de ce reflux doit inciter à la prudence : la combativité de M. Nétanyahou pour forcer la main de Washington semble intacte et, dans ces conditions, une obstination israélienne vers la guerre ne peut être écartée.
Du coup, le débat qui agitait il y a peu les milieux diplomatiques et du renseignement, en Israël et aux Etats-Unis, sur le point de savoir si l'on doit considérer les dirigeants iraniens comme des acteurs "rationnels", c'est-à-dire non susceptibles de prendre une décision stratégique irresponsable, peut sans doute s'appliquer au leadership israélien.
M. Nétanyahou puise une partie de son inspiration dans des références messianiques et répète à l'envi que sa mission historique est d'éviter à l'Etat juif un nouvel Holocauste.
Cette intime conviction l'incite à relativiser les arguments rationnels des experts et des gouvernements occidentaux qui mettent en avant les réactions en chaîne que ne manqueraient pas d'entraîner, au Proche-Orient et au-delà, des frappes israéliennes suivies de représailles iraniennes. Entre les bombardements et "la bombe" (iranienne), le choix de M. Nétanyahou est sans ambiguïté.
Or la menace se fait plus pressante, parce que, a expliqué le chef du gouvernement israélien, les Iraniens "avancent très rapidement " vers l'enrichissement de l'uranium dont ils ont besoin pour fabriquer un engin nucléaire. "Dans six mois environ, ils auront fait 90 % du chemin", affirme-t-il. Les Américains ont un calendrier différent : Leon Panetta, secrétaire américain à la défense, parle d'un délai "d'un peu plus d'un an".
Il assure que les Etats-Unis pourront encore "arrêter l'Iran " une fois qu'ils auront acquis la conviction que Téhéran a pris la décision de franchir le seuil nucléaire.
Or les Israéliens ont les plus grands doutes quant à la résolution américaine de se lancer dans une guerre contre l'Iran, avant ou après l'élection présidentielle américaine du 6 novembre. D'où la volonté de M. Nétanyahou de fixer des "lignes rouges" à Téhéran, afin de lui intimer des limites claires à ne pas dépasser dans le processus nucléaire. Sous peine de risquer des frappes... américaines.
M. Nétanyahou va jusqu'à prétendre que des discussions sont en cours avec les Américains à ce sujet, quitte à essuyer un démenti cinglant : "Ni dates butoirs ni lignes rouges", a rétorqué Washington. Mais l'intéressé persiste et signe : "Ce n'est pas un sujet sur lequel j'ai l'intention de me taire !" Il y a deux façons de regarder l'évolution de la tension israélo-iranienne. Il y a celle de Shaul Mofaz, chef de l'opposition et du parti Kadima (centre droit) : "A travers l'histoire d'Israël, les tambours de la guerre n'ont jamais battu de façon aussi insistante qu'en ce moment", assure-t-il.
Et il est vrai que les Cassandre qui évoquent une "surprise d'octobre" ont de quoi nourrir leur alarmisme. Aux manoeuvres navales sous commandement américain qui se déroulent dans le Golfe du 16 au 27 septembre, associant une vingtaine de pays, succéderont, fin octobre, les manœuvres conjointes israélo-américaines "Austere Challenge 12".
Elles donneront lieu au déploiement sur le territoire israélien de batteries antimissiles américaines. Mais ces bruits de bottes participent, à ce stade - tout comme les sanctions internationales -, d'une logique de dissuasion envers Téhéran.
Dans l'immédiat, c'est la diplomatie bruyante de M. Nétanyahou et ses conséquences négatives sur les relations israélo-américaines qui inquiètent en Israël. Car en s'opposant frontalement à Barack Obama, M. Nétanyahou apporte indirectement son soutien à l'adversaire du chef de la Maison Blanche, Mitt Romney. Les accusations d'ingérence du premier ministre israélien dans la campagne électorale américaine se sont multipliées, en Israël comme aux Etats-Unis.
Outre que ses choix politiques et sa vision du monde le classent nettement du côté républicain, le tapis rouge qui a été déroulé, le 30 juillet, pour la visite à Jérusalem du candidat du Grand Old Party, tout autant que les convictions très prorépublicaines de ses plus proches conseillers, dissipent toute ambiguïté quant au choix du premier ministre israélien s'agissant du prochain hôte de la Maison Blanche. Or cette stratégie semble déjà contre-productive.
Le ministre israélien de la défense, Ehoud Barak, qui forme avec M. Nétanyahou le tandem le plus "pro-guerre" du cabinet de sécurité israélien, a pris ses distances. En publiant, le 11 septembre, un communiqué en forme de double avertissement : nous devons clarifier nos différences avec les Américains à huis clos ; nous devons "nous rappeler la signification de notre partenariat avec l'Amérique et faire tout notre possible pour ne pas l'affaiblir".
Dan Meridor, ministre chargé du renseignement et de l'énergie atomique, suivant l'exemple du président israélien Shimon Peres, a enfoncé le clou : "Pas de lignes rouges ni de dates butoirs." Pourquoi ? Tant en Israël qu'aux Etats-Unis, les experts répondent qu'un pays comme l'Amérique ne peut pas se lier les mains, il doit maintenir l'ambiguïté sur sa riposte. Les grandes puissances, a reconnu Ehoud Barak, "n'aiment pas les ultimatums".
En surjouant ce qu'il croit être ses atouts, le premier ministre israélien affaiblit-il son pays ? On serait tenté de le croire, au vu d'un sondage qui indique qu'une majorité des Américains se déclarent opposés à une intervention américaine pour venir en aide à l'Etat juif si celui-ci se livre à une attaque préventive contre l'Iran.
La tension actuelle entre le premier ministre israélien et le président américain, dont témoigne l'absence d'une rencontre entre les deux hommes à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations unies, à la fin du mois, ne surprend pas, tant elle s'inscrit dans la continuité de relations historiquement difficiles.
M. Obama n'a pas oublié l'épreuve de force qui l'avait opposé en 2010 à M. Nétanyahou à propos de la poursuite de la colonisation juive dans les territoires palestiniens occupés. Le second l'avait emporté, mais en nourrissant un contentieux que le différend à propos de la crise iranienne alourdit. Israël est une puissance respectée sur le plan régional, mais sa sécurité à long terme dépend largement du soutien militaire des Etats-Unis.
M. Nétanyahou a opté pour un appui à peine déguisé en faveur de Mitt Romney, au risque de brûler ses vaisseaux en cas de victoire de Barack Obama. Le président américain, s'il est réélu, s'en souviendra, par exemple en refusant d'accepter les faux-fuyants israéliens sur la question palestinienne. Avec des élections israéliennes qui doivent se tenir avant novembre 2013, c'est M. Nétanyahou qui sera alors dans une position de fragilité politique.