Le portefeuille de la justice est vraisemblablement au dessus des capacités de son titulaire actuel. Depuis qu'il en a été chargé, il n'a pas cessé de patiner sur place faute d'imagination, de créativité et d'ouverture intellectuelle sur les avancées accomplies dans le monde, dans le domaine de la justice.
Il existe de très nombreuses zones d'ombres dont Tayeb Louh ne se rend pas compte. Contrairement à ses prédécesseurs qui bénéficiaient tous les ans, à l'occasion de l'ouverture de l'année judiciaire, de la part du chef de l'Etat, de véritables feuilles de route guidant le processus de reforme et de modernisation du secteur judiciaire engagé sous son impulsion qu'ils se contentaient de mettre en œuvre, celui-ci n’en n’a pas bénéficié.
Son insignifiante expérience de magistrat débutant et sa méconnaissance des arcanes et du fonctionnement de l'Etat auraient dû le disqualifier pour le poste de ministre de la justice, garde des sceaux. Le temps qu'il a passé à la tête du secteur a permis de constater qu'il est incapable de répondre aux exigences de sa charge.
Pour cacher ses lacunes et l'insuffisance de sa formation et de son expérience, il évite de communiquer comme il se doit avec les cadres du secteur et ne parvient pas à contribuer à instaurer un bon climat de collaboration horizontale avec l'environnement institutionnel (ministère de l'intérieur, ministère des affaires étrangères, gendarmerie nationale, sûreté nationale). Profitant de ce comportement pour le moins singulier, certains de ses collaborateurs directs qui ne sont pas réputés pour leur probité, font la pluie et le beau temps. Il va sans dire que l’un des directeurs généraux, particulièrement privilégiés par le ministre, se trouve tout à fait à son aise pour satisfaire son penchant pour le cuissage…
Manque de leadership
Les magistrats, dans l'ensemble des juridictions, dénoncent le manque de leadership de leur tutelle dès lors que le ministre de la justice et les responsables centraux sont plus soucieux de vivoter sans se donner de peine, sans perspective, sans conviction de l’obligation de promouvoir une justice vraie, humaine et performante apte à agir pour traiter les innombrables problèmes qui affectent le tissus social dans toutes les régions du pays.
Chaque jour, il est loisible de relever que des hérésies et des errements juridiques sont infligés quotidiennement aux citoyens au sein de nos juridictions. Nombreux sont les justiciables qui écopent de verdicts défiant l'entendement et les normes juridiques algériennes et universelles prononcés à l'emporte pièce.
Beaucoup d'observateurs de la vie sociale dans notre pays estiment que l'état actuel de la justice fera, à terme très rapproché, le lit de révoltes généralisées en raison des signes patents d'impéritie, de l'anachronisme des procédures judiciaires et d'une inhumanité aux antipodes des valeurs d'équité, de probité, de sérieux et de responsabilité. Une justice qui n'est pas reconnue, acceptée et respectée par le peuple est tout sauf une justice.
Ce que nous observons aujourd'hui c'est plus un simulacre de justice qu'exercent des exécutants presque tous enclins à méfaire, une justice haïe et rejetée par les justiciables. Les membres de la corporation judiciaire sont, eux aussi, tous corps confondus, attristés de constater que le ministre et la hiérarchie au sein du ministère ne font rien pour concrétiser la noblesse et la grandeur de la justice et préserver son caractère sacré.
Ces derniers semblent ne pas avoir conscience qu’oeuvrer à l'instauration d'une justice juste, forte, crédible et efficace n'est pas une option facultative mais bien une obligation quotidienne et permanente. Nombreux sont ceux qui pensent qu'il est immoral et inadmissible que l'on puisse se complaire dans une telle léthargie alors que toutes les corporations activant dans ce secteur névralgique appellent au secours.
Magistrats, avocats, notaires, huissiers désabusés
Les magistrats se plaignent d'être livrés à eux-mêmes, aux forces occultes, aux mouvances prédatrices, aux pressions des pouvoirs centraux et locaux. Les avocats sont écœurés par les moeurs délétères et les pratiques honteuses et anti-déontologiques. Les notaires sont troublés par l'image pervertie qu'offrent certains membres peu recommandables de leur corporation. Les huissiers et les experts de justices sont presque tous enclins à balloter entre telle partie et telle autre au gré des appâts proposés à leur vénalité. Les greffiers, premier échelon à être en contact avec les citoyens, croulent quant à eux sous le poids des contradictions et des mésaventures que génère la gestion judiciaire débridée des mauvais gardiens de la loi.
Dans ce triste tableau, il faut cependant convenir en toute objectivité qu'il existe, Dieu merci, des magistrats, des avocats, des notaires, des huissiers, des greffiers vertueux, honnêtes et compétents. Ils souffrent hélas des situations condamnables qu'ils constatent tous les jours.
Un sombre tableau
La reforme de la justice que le Président de la République a appelée de tous ses voeux lors de chacune de ses allocutions solennelles prononcées à l'occasion des rentrées judiciaires qu’il a présidées ne correspond pas au sombre tableau que présente encore la justice dans notre pays. Il importe de rappeler que les reformes tant souhaitées ne se limitent pas à l'acquisition d'ordinateurs pour se donner l'illusion d'entrer de plain pied dans la modernité.
Les rares initiatives concrétisées ces deux dernières années ne sont que de mauvaises imitations de ce qui se fait outre-mer. Elles ne sont pas compatibles avec la réalité algérienne et leur mise en oeuvre se fait sans une sérieuse préparation. Elles donnent l'illusion de l'action sans effet bénéfique pour ceux qui subissent les affres de l'incurie judiciaire.
Une justice malade
La justice est malade. Tout le monde en convient sauf ceux qui ont la lourde charge de présider à ses destinées. La décence commande à ces incapables de se démettre. Leur persistance, là où il se trouvent, leur sera tenue pour une forfaiture.
Le secteur de la justice ne se rend même pas compte que sa contre-productivité allumera tôt ou tard le feu de la révolte qui couve au sein de la société.Il y a, par conséquent, une urgence politique à rétablir la justice dans sa fonction cardinale de régulateur social.
Le Président de la République, premier magistrat, serait bien avisé de secouer le cocotier, de prendre les mesures adéquates qu'appelle la gravité de la situation et de rappeler à l'ordre ceux qui trahissent le sacerdoce sacré de la fonction judiciaire.
Hamimi Merzoug
Université de Constantine
*Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et n’engagent pas le journal.