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Moyen-Orient: l’heure est venue pour les USA de plier bagages

24-10-2017 21:26  Médias

La politique étrangère des USA a donné un nouvel élan à l’Iran en Irak et en Syrie : l’heure est venue pour les USA de plier bagages

Elijah J. Magnier | 23/10/2017 | alrai.li

Tout a commencé par la chute de Mossoul, la capitale irakienne non déclarée du groupe armé « État islamique » (Daech). Voici maintenant venue l’heure de la libération de Raqqa, la capitale syrienne du Califat, qui a été presque totalement détruite. Les avions à réaction des USA ont effectué plus de 4 000 raids qui ont tué 1 920 civils et 232 combattants de Daech. Plus de 400 combattants de Daech se sont rendus et 462 autres ont été escortés en compagnie de civils dans des autobus en direction de la zone agricole autour de Deir-Ezzor sous le contrôle de Daech. Les forces américaines ne montrent toutefois aucune intention de se retirer de la Syrie, au moment même où les forces régulières sous le commandement de Damas progressent vers le dernier bastion de Daech à Abou Kamal – al Qaem, à la suite de la libération de la ville d’al-Mayadeen. La question demeure donc entière : Quel est l’intérêt de Washington à occuper quelque partie du territoire syrien que ce soit à la suite de l’échec du référendum des Kurdes irakiens? Le rêve de créer un « État kurde irakien » s’est effondré, à la suite de la détermination du gouvernement central à Bagdad de le contrecarrer. C’est que le premier ministre Haidar Abadi a envoyé ses forces de sécurité reprendre le plein contrôle de toutes les zones frontalières et les villes que les Kurdes ont occupées lorsque Daech a pris le contrôle de la majeure partie du nord de l’Irak en 2014 et demande aux forces irakiennes de se déployer à la limite de la ligne établie en 2003.

La décision d’Abadi d’envoyer l’armée à Kirkouk a non seulement pris par surprise la communauté internationale, mais aussi la Marjaiya à Nadjaf. La Marjaiya avait été mise au courant qu’Abadi comptait mettre fin à la désintégration de l’Irak, mais elle ne s’imaginait pas, selon des sources privées, qu’Abadi était un dirigeant politique capable de demander aux forces gouvernementales de prendre le contrôle de la ville de Kirkouk, riche en pétrole. Les Forces de Mobilisation Populaire (FMP) appartenant à la Marjaiya ont été mis en dehors des derniers évènements. Le premier ministre, qui a été hésitant pendant des années, qui était réticent à lutter contre la corruption et peu enclin à s’en prendre aux politiciens locaux, s’est transformé du jour au lendemain en un leader déterminé qui a même surpris les dirigeants kurdes à Erbil.

Abadi a mis fin non seulement à la partition de l’Irak, mais aussi de la Syrie, en mettant les dirigeants des USA au pied du mur. Dans les faits, les USA ne veulent pas perdre leur relation avec le gouvernement central à Bagdad, car l’Iran et la Russie n’attendent qu’à tirer avantage du moindre éloignement des USA et de toute hésitation qui vient avec. De plus, les USA sont peu disposés à perdre le Kurdistan, une région autonome de l’Irak que Washington considère depuis 1991 comme son « enfant gâté ». Il n’en demeure pas moins que c’est le principe qui prévaut aux USA qui a triomphé (« nous n’avons pas d’amis, seulement des intérêts communs »), en forçant les Américains à abandonner leur allié, le dirigeant kurde Massoud Barzani, qui avait rejeté leur conseil de reporter le référendum de 16 mois.

L’écho du coup d’éclat d’Abadi s’est fait entendre jusqu’en Syrie. Damas a aussitôt mis en garde les Kurdes syriens de ne pas s’approcher des gisements riches en pétrole de Deir Ezzor et d’al-Mayadeen, où les Kurdes et l’armée syrienne luttent contre Daech sur les deux rives de l’Euphrate. La patience de Damas envers les Kurdes va s’épuiser s’ils se cachent sous les jupons des USA et qu’ils comptent sur eux pour assurer leur protection une fois la « guerre contre la terreur » terminée.

En insistant pour faire leur référendum et déclarer leur indépendance, les Kurdes irakiens ont brûlé leur autel et réduit en fumée les privilèges qu’ils avaient accumulés au fil des ans en Irak, tout cela en vain. Ils ont aussi consumé le rêve des mandataires des USA que sont les Kurdes syriens, qui n’ont plus la possibilité de déclarer l’existence de leur « État » (ou fédération) dans ce qu’ils appellent le « Rojava ». Aucun pays voisin des Kurdes syriens (Irak, Syrie, Turquie et Iran) n’acceptera l’expression de toute intention d’indépendance, d’autant plus qu’il y a plus de 25 millions de Kurdes au Moyen-Orient.

La Syrie, l’Irak, l’Iran et le Hezbollah sont les premiers à être directement concernés par l’élimination des terroristes extrémistes en Syrie et en Irak, car ce sont eux qui en ont souffert le plus. Les USA n’ont plus aucun intérêt à se cacher derrière la « guerre contre la terreur », car depuis que Daech a perdu la majeure partie de ses territoires, ces pays sont aujourd’hui capables de régler son compte. L’expansion de Daech au Levant et en Mésopotamie en 2014 a donné une bonne leçon à ces pays, qui les amènera à mieux prévoir les choses et à s’attaquer aux causes qui ont permis à Daech de prendre tant de vigueur.

N’empêche que la présence continuelle de ces éléments takfiris représente un danger existentiel et idéologique pour la Syrie et l’Irak. Un vaste désert relie la longue zone frontalière entre les deux pays, qui pourrait servir de refuge aux militants d’Al-Qaeda et de Daech, où ils reprendraient leur souffle après leur défaite en Syrie et en Irak pour ensuite reprendre la lutte, forts de leur nouvelle expérience tirée de leurs erreurs précédentes.

La Russie aussi est directement concernée par la présence de russophones parmi les groupes djihadistes, qui représentent un danger potentiel à la sécurité nationale de la Russie s’ils retournent chez eux.

Ainsi, les intérêts communs entre l’Irak, la Syrie, l’Iran, le Liban et la Russie les motivent et les forcent à une mobilisation continuelle à poursuivre la guerre contre les djihadistes takfiris et à éliminer les terroristes. Ces pays vont poursuivre leur lutte contre Daech et Al-Qaeda afin d’empêcher les djihadistes takfiris d’occuper plus de territoire et de tarir leurs sources de financement.

L’Europe, qui n’est pas loin du Moyen-Orient et des djihadistes, est beaucoup plus résolue que les USA à éliminer les djihadistes takfiris. Puisque les analystes américains se sont exprimés clairement en faveur de Daech, le groupe terroriste n’est apparemment pas un ennemi des USAet son élimination n’est par conséquent pas une priorité. Il a certes son utilité pour tenir l’Iran, le Hezbollah (et la Russie) occupés à le combattre. Les USA placent leurs propres intérêts au-dessus de tous les autres, y compris ceux de leurs partenaires en Europe et au Moyen-Orient.

Quand l’administration Obama était au pouvoir, Washington a envoyé des forces en Syrie pour lutter contre Daech. Mais un an et demi plus tard, les finances de Daech n’avaient pas été touchées parce que sa principale source de revenu (non exclusive), tirée de la production pétrolière, demeurait pratiquement intacte. Ce n’est qu’avec l’entrée en scène de la Russie en septembre 2015, lorsqu’elle a bombardé des camions citernes de Daech, que les USA ont graduellement commencé à devenir plus agressifs à l’endroit de Daech. Les forces américaines se sont alors lancées dans une course contre la Russie et l’armée syrienne pour atteindre Raqqa et les sources d’énergie au nord-est et au sud-est de la Syrie avant les forces syriennes. Sauf que la Russie, Damas, l’Iran et leurs alliés ont réussi à isoler la base militaire américaine d’al-Tanaf et la rendre inutilisables : il en reste une dizaine d’autres bases et deux aéroports américains complètement au nord-est.

Maintenant que Daech détient moins de 10 % du territoire syrien et que l’armée syrienne se dirige vers Abou Kamal – al-Qaem, le dernier bastion de Daech au pays, les USA sont placés dans une situation qui exige une décision claire : quitter les lieux ou se déclarer une force d’occupation du nord-est de la Syrie. Le mandat de l’ONU concernant la « guerre contre la terreur » ne justifie pas juridiquement le maintien de leur présence en Syrie. Même si le terrorisme va probablement toujours frapper au Moyen-Orient, en Europe et sur d’autres continents (avec une intensité variable), la lutte contre le terrorisme ne donne pas à chaque pays le droit d’envoyer des troupes, d’établir des bases et d’occuper des parties d’un autre pays souverain.

Les forces américaines se placeront donc dans une position illégale, qui permettra à la résistance locale syrienne de les combattre. Les USA et leurs mandataires se retrouveront complètement encerclés :

-La Turquie ne permettra pas aux Kurdes syriens des YPG (la version syrienne du PKK) d’exister comme fédération et a déjà divisé le Rojava en deux, en coupant Hassaké d’Efrin (complètement au nord-ouest).

-La Syrie et l’Irak n’accepteront pas un État kurde et ont déjà encerclé Hassaké (et les forces USA qui s’y trouvent) par voie terrestre, formant ainsi une sorte d’enclave.

-Les forces américaines peuvent facilement devenir la cible d’amis de la Syrie, de l’Iran et du Hezbollah, tous actifs dans la province d’Hassaké.

Contrairement à ce que croient les USA, leurs forces ne resteront pas en Syrie pendant des décennies, ni même pendant quelques années. Les USA sont placés dans une position où leurs services ne sont plus requis en Irak parce que l’armée irakienne s’est révélée la meilleure pour combattre Daech, empêcher la partition et même accepter de nombreuses pertes humaines pendant sa guerre contre Daech. De plus, le premier ministre Abadi a montré sa capacité d’empêcher un bain de sang entre Irakiens en réglant la question des séparatistes kurdes. En Syrie, les services des USA ne sont plus requis pour lutter contre Daech, parce que l’armée syrienne, avec l’appui de ses alliés et de la Russie, suffit amplement pour s’occuper de ce qui reste de Daech. Tout séjour prolongé des USA les exposera à un scénario similaire à l’attaque meurtrière de 1983.

L’Iran a gagné en Irak parce que la partition du pays a échoué et que les services de sécurité irakiens, déterminés par une idéologie forte et possédant un équipement militaire adéquat, sont considérés comme des amis, tout comme les dirigeants politiques. L’Iran a tiré profit de la tentative du Kurdistan de diviser le pays en se rangeant derrière Bagdad, en fermant sa frontière avec le Kurdistan et en reconquérant la confiance d’Abadi.

L’Iran a gagné en Syrie et dévoile ouvertement sa présence et son activité militaires. Une nouvelle force locale a été créée, qui possède la même idéologie que le Corps des Gardiens de la révolution islamique et qui est prête à réclamer la récupération des hauteurs du Golan occupé. La Syrie est plus que jamais proche de « l’axe de la résistance », d’autant plus que ce même axe a réussi à défaire l’autre camp, qui a investi pendant les six années de guerre des sommes colossales pour diviser la Syrie. Aujourd’hui, la capacité militaire de la Syrie est plus forte que jamais.

Principal allié de l’Iran, le Hezbollah a accédé à ce qui est devenu une immense base militaire remplie d’armes, qui s’étend du Liban à l’Irak (et même jusqu’à l’Iran). Le Hezbollah a été poussé à l’extérieur de ses limites originales au Liban et a mené des attaques militaires sur un théâtre de guerre cinq fois plus grand que l’ensemble du territoire libanais. En conséquence, aucun des ennemis politiques du Hezbollah au Liban n’osera l’affronter pendant de nombreuses années à venir.

La Russie a également obtenu une base permanente en Syrie. Elle est maintenant perçue comme une véritable superpuissance qui joue un rôle politique efficace au Moyen-Orient, en plus d’avoir créé un marché solide pour ses armes utilisées et mises à l’essai en Syrie. Le Kremlin est aujourd’hui au même niveau que Washington et est devenu la Mecque des dirigeants de ce monde, une position que les USA ont occupée seuls pendant des décennies.

Toute cette manne que les USA ont fait tomber sur l’Iran est due à leur politique de changement de régime : le renversement de Saddam Hussein et la tentative de renversement de Bachar al-Assad. Téhéran devrait remercier Washington pour tout ce qui précède, qui a effectivement contribué à augmenter et à renforcer l’influence de l’Iran au Moyen-Orient. En fait, tout ce que l’Iran doit faire, c’est de suivre l’ombre des USA, à la politique étrangère malhabile, et en récolter les fruits, dont il profite constamment. C’est d’ailleurs ce que dit l’Iran aux USA : merci pour vos cadeaux, mais il est maintenant temps de partir! Vous pouvez nous laisser le Levant et la Mésopotamie!

Elijah J. Magnier | 23/10/2017 | alrai.li

Traduit de l’anglais par Daniel G.

Source: Middle East Politics 



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