Le mardi 29 mars 2011, quarante pays se réunissent à Londres pour discuter de l’avenir de la Libye ? Le nombre est supérieur à celui de la «communauté internationale» habituelle et habituellement réduite aux quelques grandes puissances qui se sont arrogé cette qualité.
Elles pouvaient avec cette qualité autoproclamée ignorer les opinions certainement différentes de l’écrasante majorité des pays et des peuples de la planète. Mais croyez-vous sérieusement que les bicots-nègres cubains, brésiliens, burkinabés, algériens ou mauriciens peuvent encore réclamer un droit de parole ? La Chine elle–même, l’Inde, le Brésil ne pèsent pas lourd devant cette «communauté internationale».
Ce n’est pas faire de l’ironie de remarquer que le cas libyen oblige les maîtres du monde à monter le spectacle d’une «conférence ouverte» sur l’avenir de la Libye. Un air de nous dire : «Voilà, nous n’avons rien à cacher ; pas même un accord secret sur le partage du pétrole ni sur les futurs contrats de reconstruction des infrastructures et encore moins sur les futurs contrats d’armement pour remplacer ce que la «coalition», hier, et l’Otan, aujourd’hui, vont détruire sans aucune nécessité militaire.».
Le gouvernement Berlusconi à qui on ne la fait pas en matière de bonneteau a lâché sur les visées françaises qui lui feront perdre tout retour sur ses investissements avec Kadhafi et a vendu la mèche dans la presse en révélant les préparatifs français en Libye dès le mois de novembre 2010.
Ce que confirment le demi-aveu et la demi-fanfaronnade de Fillon sur le viol de l’espace libyen par des avions français dès la 4 mars 2011, c’est-à-dire bien avant la résolution de l’ONU. Ce que confirment aussi les activités, vite ensevelies dans le silence médiatique, des forces spéciales britanniques et hollandaises sur le sol libyen.
Bien sûr, la presse embarquée dans cette nouvelle croisade regrette, en grinçant des dents, la «discrétion» de la présence arabe.Cela aurait été infiniment plus simple que la présence arabe donne à cette croisade la caution de la «demande d’ingérence» humanitaire pour délier totalement les mains des croisés. L’impérialisme n’est plus ce qu’il était. Nous pouvons rappeler le temps béni des Sykes-Picot qui n’avaient nul besoin de tant de tralala pour découper le Moyen-Orient et se tailler leurs zones d’influence.
Nous pouvons le rappeler au moins à Cameron qui se présente comme le plus israélien et le plus sioniste des Premiers ministres britanniques – et à Sarkozy, l’ami qui demandait à Israël de combien de temps il avait besoin pour accomplir son agression et ses crimes au Liban.
Nous pouvons rappeler au moins à ces deux croisés qu’ils n’inventent rien de la politique et qu’ils ne sont que de pâles copies de leurs prédécesseurs qui agissaient comme maîtres d’œuvre et non comme sous-traitants d’Obama.
La mise en scène de Londres ne doit pas faire illusion. Elle remplit plusieurs fonctions par défaut mais sa fonction essentielle reste de trouver une ligne de conduite impérialiste en Libye et d’aller chercher en dehors du cadre de l’ONU et de ses contraintes, pourtant bien maigres, un consensus sur l’interprétation qui arrange le mieux les intérêts des grandes puissances.
Car le casse-tête libyen est bien de cet ordre : quels buts politiques faire admettre à tous quand l’agression et ses buts ont été concoctés par quelques-uns ? L’ONU a-t-elle réellement mandaté Sarkozy, Cameron et Obama de changer le régime libyen, de tuer Kadhafi ou de le faire partir ?La réalité la plus plate et la plus prosaïque est que la conférence de Londres a pour but de dessaisir les insurgés de toute illusion et de toute possibilité de dire leur mot sur le futur de la Libye.
C’est pour cela que le Conseil national de transition n’est pas une partie et encore moins un acteur de la conférence.Cette conférence a tout du remake et rien de la nouveauté pour les rapports entre les hommes !
Elle est une mise sous tutelle de la Libye tout entière, Conseil national de transition-compris ! Ni Obama ni ses sous traitants anglo-français ne veulent avoir de surprise. C’est probablement l’expérimentation d’une nouvelle forme de protectorat. Le message est clair : la coalisation ne va pas enlever le pouvoir à Kadhafi pour le livrer à des inconnus !
Mais au fond, ils ne veulent avoir de surprises avec personne ! Ni avec les Tunisiens qui ont renversé Ben Ali ni avec les Egyptiens qui ont eu raison de Moubarak ! Cameron - encore lui !- comme Sarkozy ne s’inquiètent que du retour à l’ordre ; que de s’assurer que le changement n’a rien changé dans les fondations et dans les structures de l’édifice.
Cette guerre sera une nouvelle guerre du pétrole avec quelques apparences nouvelles mais d’une extrême gravité. La conférence de Londres peut ressembler à celle de Berlin qui jeta les bases d’une «entente» entre pays impérialistes pour le partage de l’Afrique et pour une «bonne gouvernance» de l’exploration et de la mainmise sur les territoires «découverts».
Durera-t-elle autant que la conférence de Berlin (du 15 novembre 1884 au 26 février 1885) ? Ou pas plus que la conférence de Yalta (du 4 au 11 février 1945) ? Si elle en reste à ses résultats actuels la conférence de Londres aura échoué. Et même lamentablement échoué. D’abord, elle est clairement une tentative grossière d’échapper, avec l’aide de Ban Ki-moon, à la légalité internationale – et c’est la seule – de l’ONU.
Cela a déjà réussi pour la Palestine dont la question se discute partout sauf dans le seul lieu légitime pour ce faire : l’ONU. Ensuite, toutes les guerres qui ne débouchent pas sur des changements impossibles à obtenir par la politique sont inutiles et sont des guerres perdues.
Dans le cas libyen, c’est le changement de frontières. A quoi sert tout ce branle-bas si c’est pour revenir à une Libye dans ses frontières post-coloniales ? Le coût sécuritaire et politique aurait été énorme si le but devait se résumer à faire main basse sur le pétrole.
Mais il serait très faible si la partition de la Libye devait ouvrir la voie royale à la disparition des Etats nés des indépendances et d’abord l’Etat algérien. Rappelons pour ceux qui l’ignorent que le Sahel recèle des réserves fabuleuses d’hydrocarbures et d’autres richesses dont l’accaparement représente une formidable issue de secours à la suprématie américaine face à la montée inéluctable de l’Inde, de la Chine, du Brésil, etc. Pourtant, derrière les rodomontades de Sarkozy et ses mises en scène de caïd, le rapport de force n’est pas du tout en faveur des grandes puissances.
Elles n’arrivent pas à se sortir de la crise financière d’hier et encore moins de la crise économique d’aujourd’hui. Bien sûr, comme leurs prédécesseurs en 1914 et en 1945, les dirigeants impérialistes aujourd’hui n’ont que la guerre comme solution immédiate ; la destruction des potentiels accumulés pour relancer la machine et étouffer toute révolte sociale en leur propre sein. Les révoltes étudiantes en Italie et en Angleterre, le retour du mot révolution dans leurs manifs et leurs tags, les grèves des fonctionnaires aux Etats-Unis, la mobilisation inattendue pour les retraites en France sont des signes avant-coureurs de tempêtes à venir sur leurs sols.
Elles ne peuvent les négliger. Les menaces de l’ajustement structurel pèsent sur l’Espagne, l’Italie, voire la France, et les 27 sortent impuissants et incapables de trouver des solutions au chantage du capitalisme financier : pas touche à ses privilèges, pas question de régulation ! Le drame est que même la guerre ne peut résoudre la crise du capital financier ; ni même la mainmise sur le pétrole. Il s’est tout simplement imposé contre les intérêts et les besoins de toutes les autres catégories sociales, y compris le capital industriel, contre les intérêts de tous les peuples, y compris les peuples occidentaux. Et rien ne pourra arrêter la vague d’un retour nationaliste dans les profondeurs des peuples qui voient leur vie devenir de plus en plus difficile juste pour assurer les profits des gangsters de la finance.De grands montages et de grands efforts ont été fournis pour donner de Kadhafi l’image d’un fou. C’est tellement plus simple pour vendre l’invendable. tre fou, c’est ne plus rien représenter. Convaincre les opinions de la folie de Kadhafi, c’est les empêcher de se poser toute question sur la nature du régime, sur l’origine de ce régime, sur les circonstances qui ont permis à Kadhafi de prendre et de garder le pouvoir depuis quarante ans, mais aussi sur la possibilité dans les pays arabes de conserver aussi longtemps le pouvoir ? Cette propagande de la folie avait de fortes chances de réussir si Kadhafi était immédiatement tombé comme le laisse croire aujourd’hui le dépit des Américains et surtout de la paire franco-anglaise.
Au fur et à mesure que les combats vont durer, il apparaîtra que Kadhafi n’est pas un fou tombé du ciel mais le représentant d’une partie de la société libyenne. La capacité de résistance aux frappes de la coalition montrera aussi quelles sont l’étendue et la force de cette représentation.
Kadhafi n’est pas Dieu le père pour retenir de son côté des militaires qui combattent à des centaines de kilomètres, perdent et reprennent des positions. L’erreur de Sarkozy comme d’Obama est d’avoir cru à leurs propres mensonges. Cette guerre sera aussi celle du peuple libyen. Pendant que la conférence se tenait à Londres, les insurgés refluaient des alentours de Syrte.
Les premières dépêches ont parlé des embuscades tendues aux insurgés par des villageois. Puis les dépêches se sont mises à nous expliquer savamment que les insurgés qui, la veille, avaient les moyens de reprendre Ajdabiya et bien d’autres places fortes, ne peuvent rivaliser avec les forces de Kadhafi.
Il y un problème de logique sérieux mais surtout un traitement qui prépare les opinions à la nécessité d’une plus grande intervention, d’un armement plus conséquent des insurgés ou alors…de la fatalité de protéger la seule région de Benghazi. Les coalisés ont agi en criminels en refusant la médiation du président Jimmy Carter qui aurait pu éviter tant de souffrances au peuple libyen et en refusant la médiation africaine.
Pour les avoir provoquées aux quatre coins du monde, y compris chez nous en Algérie avec les harkas et les goumiers, les coalisés savent combien les guerres civiles sont cruelles et destructrices. Ils ont choisi délibérément la guerre civile pour détruire tous les liens entre Libyens de l’Est et ceux de l’Ouest.
Les Algériens, qui ont encore de la jalousie pour leur unité nationale et de la reconnaissance pour les luttes de la libération nationale, doivent se rappeler la cruauté coloniale chez nous pour ne pas s’étonner aujourd’hui de son étalage en Libye. Ils doivent surtout regarder froidement cette aventure coloniale en Libye pour réfléchir posément si elle peut avoir du sens en s’arrêtant en Libye ou en changeant toute la donne des frontière srégionales ? Ils doivent réfléchir à cette demande croissante des Américains à l’endroit de nos dirigeants : vous êtes sur la bonne voie. Comment comprendre autrement que par cette traduction : «Ce que vous avez concédé, c’est bien, mais il faut donner plus» et le plus, c’est le renoncement à l’indépendance, au pétrole et à nos frontières. Quand l’Etat aura concédé assez pour ne plus exister, la presse
locale qui appelle ouvertement à l’ingérence et les partis politiques qui se rendent «visibles» deviendront le CNT libyen qui manque à la destruction de l’Algérie. Il est temps pour ces Algériens jaloux de leur pays de se dresser et de nommer les choses par leur nom, de nommer les néo-harkis par leur nom et la presse néocoloniale par son nom. C’est cela ou la dernière infamie de reprendre pour notre compte la phrase de la mère de Boabdil : «Pleure comme une femme la ville [Grenade] que tu n’as pas su défendre comme un homme.»
Par Mohamed Bouhamidi (in La Tribune du 31-04-11)