La tension monte d'un cran en Ukraine et menace l'unité du pays. Ce vendredi à l’aube, l'armée a lancé une opération à Slaviansk pour tenter de reprendre le contrôle de cette ville tombée aux mains des rebelles pro-russes.
C’est dans cette cité de 100.000 âmes que sont retenus, depuis une semaine maintenant, les onze observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Pendant l’assaut, deux militaires ukrainiens ont été tués et deux hélicoptères ont été abattus par des lance-roquettes portables. Preuve que les rebelles sont bien équipés. Le maire autoproclamé de Slaviansk, le séparatiste Viatcheslav Ponomarev, avait d’ailleurs mis en garde Kiev contre toute attaque. Il y aurait toutefois eu également beaucoup de morts du côté des pro-russes.
Si la Russie dément téléguider ces troubles, le Kremlin a réagi rapidement ce vendredi, en qualifiant l’opération militaire de «raid de représailles». Pour le gouvernement russe, cet assaut démolit l’accord de Genève, conclu à la mi-avril entre l’Ukraine, la Russie, les Etats-Unis et l’Union européenne. Autrement dit, Moscou remet en cause son engagement dans l’apaisement de la crise ukrainienne.
Dans tous les cas, la désescalade est loin d’être à l’ordre du jour. Au-delà de Slaviansk, une douzaine de villes de l’Est du pays sont déjà passées sous le contrôle des séparatistes pro-russes. Ces derniers ont notamment mis la main sur les mairies, les sièges de la police et des services de sécurité.
Après la Crimée en mars, l’Ukraine va-t-elle à nouveau perdre des territoires à l’Est? Olexandre Tourtchinov, le président par intérim, fait tout pour l’éviter. Au-delà des opérations militaires, il a réintroduit jeudi la conscription, c’est-à-dire le service militaire obligatoire pour les jeunes de 18 à 25 ans.
Le gouvernement a également annoncé la tenue possible d’un référendum sur l'unité de la nation ukrainienne et sur la décentralisation en parallèle de l'élection présidentielle anticipée du 25 mai. Il espère ainsi priver d’arguments les séparatistes, qui réclament un rattachement de l’Est de l’Ukraine à la Russie.
Un scénario auquel ne croit pas Bruno Tertrais, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique: «Je ne pense pas que Vladimir Poutine ait mis au point un plan de rattachement formel. Son objectif immédiat est plutôt de compliquer l’élection du 25 mai pour que l’Ukraine ne devienne pas un état stable».
«Pas de frontière nette entre les parties orientale et occidentale de l’Ukraine»
Pour cet expert, la nation ukrainienne peut difficilement être remise en cause, dans la mesure où «il n’existe pas de frontière nette entre les parties orientale et occidentale de l’Ukraine».
Et si une partie de la population soutient les forces pro-russes, «c’est surtout par opportunisme, en raison des promesses d’argent et de travail émanant de Moscou et de la propagande russe qui suscite la peur de Kiev».
Reste que l’Ukraine de l’Est écoule déjà la quasi-totalité de ses productions industrielles en Russie, qu’il s’agisse de charbon, d’acier ou encore de turbines…
Le portefeuille finira-t-il par l’emporter sur l’idée de nation? Le Fonds monétaire international (FMI) le redoute. Il a en tout cas déclaré que son plan d'aide à l’Ukraine, doté de 17 milliards de dollars et voté jeudi, sera «remanié» en cas de perte des régions de l'Est.
Le fossé opposant l'Est russophone et russophile et l'Ouest ukrainophone et nationaliste pourrait-il se creuser au point de faire imploser le pays? «Ce qui constitue une nation, ce n’est pas de parler la même langue, ou d’appartenir à un groupe ethnographique commun, c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir», estimait le philosophe français Ernest Renan.
S’il est impossible de prévoir le futur, il faut se rappeler qu’en 1991, plus de 90% des électeurs avaient voté en faveur de l’indépendance de l’Ukraine face au voisin soviétique.(Afp)