Par Abdellali MERDACI*
Ce que j’expose, ici, n’est probablement pas une urgence, ni pour les Algériens ni pour les Français : la seule amitié que devrait manifester la France à l’Algérie dans ce moment d’éveil douloureux des mémoires, c’est de sortir de ce répugnant activisme politico-littéraire qui n’en finit pas de tuer la littérature nationale des Algériens. Je dénonce le jeu pernicieux de la France et de ses institutions littéraires qui entravent l’autonomie politique et esthétique de la littérature nationale algérienne. Aujourd’hui, cinquante-neuf ans après l’indépendance, il y a un pays et deux littératures algériennes : celle qui se conçoit en Algérie par des Algériens, produit d’une édition nationale algérienne, barrée par la France littéraire et frappée d’interdit sur le plan mondial, d’une part ; celle qui est fabriquée en France, par des néo-Français d’origine algérienne et des supplétifs nationaux algériens, assimilable à une littérature harkie, qui bénéficie de la puissance de tir de l’empire littéraire français, de l’autre.
Lorsqu’on évoque, partout dans le monde, la littérature algérienne, même dans des pays réputés amis de l’Algérie, comme récemment au Vietnam, à Cuba, en Russie et en Chine, c’est toujours la littérature « algérienne » de langue française (1) suscitée par la France qui prend toute la place, qui est une terrible usurpation. Il y a, comme en Chine, une littérature « algérienne », sur le mode « Taïwan », soutenue par Paris, qui écrase et efface la vaillante et méritante littérature nationale des Algériens. Un exemple anecdotique en atteste, rapporté par Yasmina Khadra. Séjournant en Arabie saoudite, M. Yasmina Khadra reçoit une pressante communication du consul de France, à Djeddah, l’invitant à une discrète entrevue avec des femmes saoudiennes, qui souhaitaient le rencontrer (2). Ces dames saoudiennes ne devaient pas ignorer que l’écrivain est Algérien, mais c’est la France, plus visible, qu’elles sollicitaient. Cette affaire, traitée par la représentation diplomatique française dans le royaume des Séoud, échappait aux autorités consulaires algériennes. Pourtant, le fait que l’écrivain, originaire de Kenadsa, écrive en langue française et publie ses œuvres en France n’en fait pas un sujet français. Mais il sera promené par la France sur tous les continents, comme « écrivain français » ; c’était aussi le cas de Kamel Daoud avant qu’il ne soit naturalisé français. Et de bien d’autres. Cette littérature « algérienne », surgeon de la littérature française, sous contrôle de la France, n’est pas une vue de l’esprit.
L’Algérie littéraire d’aujourd’hui, qui ne reçoit aucune aide des pouvoirs de l’État algérien depuis l’indépendance, ne peut mobiliser aucune potentialité humaine et matérielle contre la France, la littérature française et ses institutions. La littérature des Algériens reste, en raison des manipulations malsaines de la France, de son champ littéraire, de ses médias et de son Université, le lieu de toutes les confusions. Un écrivain-chroniqueur d’un quotidien d’Alger, ne déclarait-il pas que « la France paie » ? Suffisamment pour nourrir cet esprit mercenaire, qui de Paris à Alger, encourage la bi-nationalité et retarde l’avènement de la littérature nationale autonome que l’Algérie espère. Non seulement la France phagocyte la littérature nationale des Algériens, elle montre contre elle, contre son État et ses différents pouvoirs, avec lesquels elle a toujours entretenu des relations hypocrites, ses auteurs de la « périphérie algérienne » de la littérature française.
Une opposition convulsive à l’Algérie et aux Algériens
Il y a une captation d’écrivains algériens ou d’origine algérienne par la France, qui n’est que la continuité des pires politiques coloniales d’antan. Elle les entraine à parler contre leur pays et leur ouvre les portes de ses médias. Pour ces écrivains algériens ou néo-Français d’origine algérienne levés par la France contre l’Algérie, la plus vieille et usée ressource pour attirer les feux de la gloire est de se proclamer « opposant politique » de tous les pouvoirs d’Alger et aucun n’aura trouvé grâce à leurs yeux. À Paris, un auteur littérairement inculte, triste imitateur, qui s’entend à utiliser à tous crins le buzz, décroche la timbale. La littérature, la vraie littérature, est mise entre parenthèse lorsqu’il s’agit d’occuper les foules revanchardes de l’Algérie française. Ces écrivains harkis, dont le niveau de nuisance contre l’Algérie ne diffère pas de celui des mouvements subversifs islamistes et séparatistes, échappent à toute condamnation par la loi ou par l’éthique en Algérie. Cette opposition d’écrivains à l’Algérie et à l’État algérien, aux motivations nauséeuses, est abritée et entretenue par la France dans une visée néocoloniale.
Si les écrivains, qui font la littérature « algérienne » en France, attaquent souvent directement le pouvoir en place, leur agitation mine les fondements de l’État, l’unité et la solidarité des Algériens. Devraient-ils s’affranchir des lois de la République ? Non pas celles qui censurent et fouaillent, qui sont détestables, mais celles qui placent la sauvegarde du pays et de la société au dessus de perversions individuelles, qui n’ont le plus souvent aucune relation avec l’écriture littéraire. Car il faudra bien admettre le distinguo entre l’œuvre littéraire, les libertés d’expression qu’elle induit et le spectacle, extravagant et calamiteux, de la vie littéraire : dans une littérature française soumise au marché, cela s’appelle la « promotion ». Des exemples nombreux, qui relèvent de ce second aspect, d’un manquement à l’observance et au respect des chartes politiques et morales de l’Algérie peuvent être signalés dans le champ culturel du fait de nationaux algériens ou de néo-Français d’origine algérienne. L’État et son pouvoir s’attachent à combattre des islamistes hargneux et leurs sous-traitants pseudo-démocrates, qui veulent les faire tomber en dehors des règles démocratiques par d’intempestifs mouvements de rue, mais l’adversité que constituent et lui opposent dans le champ culturel des artistes, des musiciens, des cinéastes, des écrivains, n’est pas perçue. On se limite, ici, à la littérature et à deux cas, parce qu’ils sont les plus significatifs : Boualem Sansal et Kamel Daoud.
En 2019, Sansal, qui a déclaré publiquement qu’il était demandeur d’une nationalité française octroyée (3), et Kamel Daoud, qui n’était pas encore français, ont représenté la littérature française dans un Festival qui lui était dédié, à Lillehammer, en Norvège. L’un et l’autre étaient formellement Algériens et se sont complus dans ce rôle de harkis des Lettres, bataillant dans les confins nordiques pour la littérature française et pour la France. À défaut de loi, il n’y a, en Algérie, aucune instance professionnelle (ou éthique) pour condamner ce type d’infamie. Il n’y en pas aussi lorsque Boualem Sansal, piteux « voyageur d’Israël », en 2012, porteur d’un passeport algérien, devient membre d’honneur, en 2014, d’une commission scientifique israélienne d’un colloque sur Jérusalem organisé à l’UNESCO par l’État sioniste et ajourné à la demande des ambassadeurs arabes auprès de cet organisme onusien (4). Sansal avait-il le droit, en la circonstance, de dévoyer la nationalité algérienne dans une action contraire aux engagements politiques et moraux de son pays sur la question palestinienne et, en tant qu’« écrivain algérien », rabrouer et humilier au nom d’Israël Mme Irène Bukova, directrice générale en fonction de l’UNESCO ? Il n’y en a pas aussi lorsque le même Sansal entonne rageusement dans les colonnes du quotidien parisien « Le Monde » l’hymne français – « La Marseillaise » – contre les fauteurs de troubles d’origine maghrébine (5) ou pour rabaisser en islamistes les martyrs et héros de la Bataille d’Alger (1957) au lendemain d’un attentats islamiste à Nice, au mois de juillet 2016. Et, aussi, pour se répandre dans les médias français, en 2015, contre l’Islam, pour vendre un obscène gribouillage islamophobe, qui est tout sauf de la littérature. Sansal, dineur vorace du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), martelant que la terre de Palestine n’existe pas, n’est pas au bout de ses provocations, notamment contre l’Algérie, pour obtenir le prix Goncourt, en France, que sa médiocre compétence littéraire et sa langue pataude de fonctionnaire aigri ne lui garantissent pas. Tous les prix littéraires qu’il a obtenus dans ce pays et en Europe l’ont été au gré du buzz qu’il sait agiter à son extrême, dans des dérives peu honorables et calculées. Il n’y a pas de loi algérienne pour prévenir ce type d’agissements d’un Algérien à l’étranger ni d’organisme éthique algérien pour les condamner.
L’écrivain et chroniqueur Kamel Daoud a utilisé, à l’imitation de Sansal, les mêmes ficelles (ainsi, l’« indifférence » ignominieuse affichée envers les Palestiniens massacrés à Ghaza, au printemps 2014), et cultivé les mêmes haines pour faire son entrée dans la littérature en France, sous la protection des chefs du lobby sioniste du champ littéraire germanopratin (Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, Pierre Assouline). Le pouvoir algérien, les Arabes, en général et en particulier, l’Islam, lui fournissent dans les médias de France et d’Occident un bûcher crépitant de fadaises ; mais, peu importe. Après avoir tiré de substantiels bénéfices du « sexe arabe » à Cologne (Allemagne) et s’être érigé en défenseur hargneux de la femme occidentale, chapitrant solennellement les Arabes sur les maltraitances qu’ils font subir aux femmes dans leurs pays, Daoud était condamné par un tribunal d’Oran pour violences conjugales envers son épouse (6). Le buzzeur, ruminant ses contradictions, a exploité à l’envi la menace d’un pseudo-imam cathodique, délivrant une fetwa le condamnant à mort. Cette fausse fetwa l’a campé, par l’indécent battage des médias français, en Selman Rushdie au petit pied en France et en Occident, notamment aux États-Unis d’Amérique. En bout de course d’une longue procédure judiciaire, l’imam 2.0 a été élargi et l’écrivain-accusateur débouté. Comme il sera aussi débouté dans l’affaire qui l’opposait au romancier Rachid Boudjedra et à son éditeur Amar Ingrachen (Les Éditions Frantz Fanon). Pour rappel, l’auteur de « Contrebandiers de l’Histoire » (2018-2019) incriminait le passé islamiste de Daoud. Mais le recours – même perdant – à la justice fait partie de la panoplie du buzzeur. L’intention de Daoud, engagé dans les médias français dans une lutte féroce, sans faire de quartier, contre des cibles assignées par l’actualité, était de porter par le buzz une écriture littéraire sans originalité. Son premier opus « Meursault, contre-enquête » (2013, 2014), médiocre imitation controuvée, promu comme un « hommage algérien » à l’écrivain pied-noir Albert Camus, en a largement profité. Où est la littérature, celle qui crée, qui n’est pas une insipide décalcomanie ? Cette imposture littéraire révèle le sordide affairement de la France, poussant sa périphérie littéraire « algérienne ».
Daoud est officiellement naturalisé français le 28 janvier 2020 sur les instances du président Macron, avec l’appui de la romancière franco-marocaine Leïla Slimani, sa conseillère à la francophonie (7). Dans un article du magazine parisien « L’Obs », où il tisse les éloges de sa bienfaitrice, il interroge son objectif d’incarner le « Français du futur », en invitant les Algériens à le suivre dans cette voie étroite : « […] la bi-nationalité est une chance pour ce pays et, pour chaque individu qui en assure l’histoire. C’est une voie pour mieux comprendre et mieux expliquer, d’un côté de la frontière comme de l’autre. Binational, c’est le Français du futur là aussi. La seule possibilité peut-être de guérir la France, l’enrichir et aider les siens à sortir de la misère et de la jérémiade identitaire et de la rente du postcolonial » (8).
C’est en « Français du futur » que Kamel Daoud réprouve dans une chronique du journal de l’industriel Issad Rabrab, une identité algérienne violente et inhabitable : « Être Algérien c’est un métier d’usure, de colère (avez-vous remarqué que nous, Algériens, sommes tout le temps en colère et que c’est épuisant en fin de journée ?), de rancune envers les siens et soi-même, de radicalité et de guerre perpétuelle, de hurlement et de récrimination. Un métier qui libère, mais ne rend pas heureux, qui vous offre un pays, mais sans fenêtre, un métier de dignité, mais sans le sou, un emploi du temps, mais du temps mort, une maîtrise de la guerre avec une débandade dans la paix » (9). Ce « nous, Algériens », prétendument inclusif, dans le discours d’un néo-Français, qui s’autorise non sans une vile duplicité de parler au nom d’une communauté algérienne dont il s’est volontairement retiré, pour se projeter comme « Français du futur », est simplement une provocation, son adresse aux Algériens sur le sujet de l’algérianité, un crachat glauque au front de l’Algérie. Et sa psychopathologie frauduleuse de l’Algérien est juste du niveau d’un poisseux café de souk.
Après son entrée dans la francité, Daoud s’emploie à reprendre pied dans le pays dont il a piétiné l’identité nationale afin d’y mener sa propagande au service d’une nationalité « apaisée », celle qu’il s’est choisie, qu’il n’a jamais exclu de choisir, comme il le soutenait, en 2019, dans un « Banc public », une éphémère chronique du « Quotidien d’Oran » : « Donc on quitte ce pays par le bas parce qu’il sent le renfermé et par le haut parce qu’on a l’image de l’Occident, l’image de l’avenir, le futur, le loisir. Presque tous les enfants des ministres du régime et ses hommes forts, apparatchiks et serviteurs vivent en Occident. Ouyahia peut agiter le bocal des sentiments nationalistes, parler des Subsahariens comme d’une invasion contagieuse, revenir sur le ‘‘complot international’’ et moquer les oppositions, il ne peut cacher cette règle acceptée [sic] lui et ses collègues : il faut sauver ses enfants et les faire vivre ailleurs. C’est un message cru, direct, violent. Le bi-nationalisme est interdit pour les hauts responsables mais leur message est le suivant : l’avenir des enfants n’est pas en Algérie. Chacun a le droit de penser ainsi et on peut comprendre qu’un chef de gouvernement exile les siens ou ne peut les empêcher de partir. C’est humain et le chroniqueur le fera peut-être ». Il l’a fait, sans tarder.
Les années 1990 ouvraient une brèche dans un consensus politique établi depuis l’indépendance sur la question de la nationalité. Le long règne des frères Bouteflika (1999-2019) inscrivait sur le mode de l’implicite la question de la bi-nationalité, en la banalisant. Aucun Algérien n’ignorait que tel ministre de souveraineté était Américain, tel autre Français et même un chef de l’Organisation nationale des Moudjahidine, devenu ministre, s’était installé dans le pays de l’ancien président Sarkozy, qu’il traitait auparavant de « juif », pour s’y naturaliser Français ! La course aux nationalités étrangères était le hobby des prépondérants du système bouteflikien et de leur progéniture. Aujourd’hui, ce sont les classes moyennes supérieures qui mettent un point d’honneur à placer leur filiation à l’étranger. L’Algérie s’est transformée à l’insu de toute réglementation politico-juridique comme un pays fournisseur de contingents de migrants officiels ou clandestins (harraga) à la recherche de nouvelles identités, selon la formule consacrée sous des « cieux plus cléments ».
Cependant, toutes les nationalités ne se valent pas et ne fondent pas les mêmes valeurs. Dans le cas de l’Algérie, sous le joug colonial français pendant cent-trente-deux ans, l’indépendance et son corollaire l’identité nationale algérienne n’ont pas été offertes comme dans les pays du Maghreb et d’Afrique subsaharienne sous occupation française, qui n’ont pas été confrontés à une longue et sanglante guerre coloniale, avec ses centaines de milliers de morts. La nationalité algérienne porte un infini martyrologe : « On a jeté les Algériens hors de toute patrie humaine | on les a faits orphelins | on les a faits prisonniers d’un présent sans mémoire | et sans avenir », scandait le poète Jean El Mouhoub Amrouche (10). Désormais, l’identité nationale algérienne et sa source historique révolutionnaire sont durablement jetées à l’encan par ses propres enfants.
Ce débauchage d’âmes, ce prosélytisme français de Kamel Daoud, qui sont d’une évidente gravité, ne devraient-ils appeler que le silence de la société algérienne ? L’accusation que portait Daoud contre le chef de gouvernement Ahmed Ouyahia et ses ministres est sans équivoque. Sous la présidence conjointe des frères Bouteflika, des hauts responsables de l’État ont favorisé la bi-nationalité de leur propre postérité, lui, s’est fait le propagandiste zélé de la nationalité française. C’est un autre néo-Français, l’écrivain et dramaturge Slimane Benaïssa, qui prophétisait que l’Algérie « deviendra française par choix individuels » (11). Ce pays, on en a plus la foi, on l’étripe, on le déchire, on le jette aux chiens.
Des néo-Français contre l’Algérie et la littérature algérienne
Créés Français par la République française, plusieurs centaines d’écrivains d’origine algérienne, dans la fiction et dans toutes les déclinaisons de l’essai, ont obtenu et revendiquent dans l’acquiescement tacite des autorités politiques algériennes la supra-nationalité franco-algérienne, que redoutaient et n’acceptaient pas en leur époque, lointaine, oubliée et, dorénavant, injuriée, le FLN-ALN et le GPRA (12). Si la bi-nationalité est admise « de facto » en Algérie, elle n’est validée par aucune législation nationale. Lorsqu’un bi-national, à l’image d’un Anouar Benmalek (13), tambourine qu’il est « Algérien à 100 % » et « Français à 100 % », la seule réalité de ce calcul sordide est « l’Algérie française », défaite militairement et diplomatiquement au printemps 1962. Il ne saurait y avoir dans le domaine de la littérature de bi-nationalité : l’identité de la littérature, contrairement à celle des individus, ne peut être que nationale.
Ce sont donc des écrivains français qui accaparent la place des Algériens dans les tribunes littéraires mondiales, mais aussi nationales, qui, parfois, « tapent » rageusement sur l’Algérie. La légion des écrivains de la périphérie « algérienne » de la littérature française est connue et il n’y a rien qui puisse racheter chez elle une identité littéraire algérienne. Français de naissance ou résolument naturalisés français, Leïla Sebbar, Akli Tadjer, Faïza Guène, Nina Bouraoui, Yahia Belaskri, Slimane Zeghidour, Slimane Benaïssa, Salim Bachi, Anouar Benmalek, Abdelkader Djemaï, Kamel Daoud et beaucoup d’autres, ces écrivains « Taïwan » ne devraient-ils pas se préoccuper de faire et de défendre leur littérature chez eux, en toute dignité (pour autant qu’un « Taïwanais » puisse s’en prévaloir !), dans leur pays d’élection, la France ? Et aussi ne plus répandre leur venin sur un pays, qu’ils ont volontairement quitté, qui ne leur a rien demandé, à l’image d’un Lahouari Addi, l’ami et le conseiller des islamistes Larbi Zitout, Mourad Dhina et du groupuscule Rachad, pourvu de subsides des officines américaines, « ténor autoproclamé » du hirak (14). C’est également le cas de nationaux algériens, qui jouissent en France du même espace de parole, ainsi le plus malfaisant d’entre tous, Boualem Sansal. Ces écrivains de la périphérie « algérienne » de la littérature française s’accordent le droit de s’exprimer, selon la formule du cinéaste français Lyès Salem « de Dunkerque à Tamanrasset » (15), qui n’est plus pour eux un fantasme, pour fustiger l’Algérie et les Algériens, leurs pouvoirs, quels qu’ils soient, et leurs institutions.
La dernière avanie « littéraire » infligée à l’Algérie est signée Sanhadja Aktouf, native de Bordj Bou-Arréridj, néo-Française, qui fait partie du groupe d’enquêtés de l’universitaire française Séverine Labat (16), à laquelle elle a déclaré son inébranlable volonté de ne plus retourner en Algérie. Résolument Française, elle est entrée en politique dans son nouveau pays sous les couleurs du Parti socialiste et a été élue municipale en province. Alors qu’elle a considéré, à l’instar d’un Salim Bachi, que l’Algérie n’est pas un avenir pour elle, Sanhadja Aktouf s’est découvert un rôle de pasionaria du hirak, attisant le feu depuis la France, s’en prenant à l’État et au pouvoir algériens. Elle vient de publier avec un de ses compatriotes un ouvrage sur le hirak algérien, que la presse bobo d’Alger chronique complaisamment. Française, en guerre contre le pouvoir d’un pays aux institutions légales et légitimes, qu’elle a abandonné depuis une trentaine d’années, de quelle probité intellectuelle peut-elle se réclamer pour en parler ? Cette posture ridicule d’opposante en peau de loutre, aucune loi, aucune réprobation morale n’en jugera.
Ces néo-Français d’origine algérienne ne reviendront jamais en Algérie ; elle n’est plus leur pays. Ils en font, répétons-le, un commerce nauséabond pour se donner des raisons de vivre ou de servir des attentes obscures de commanditaires embusqués. Ces néo-Français, l’Algérie a-t-elle besoin de leur vaine expertise, de leur suffisance outrée de trublions malappris et de leurs menées séditieuses ? Pourquoi il y aurait une tolérance à l’égard d’écrivains algériens nationaux ou naturalisés français qui mettent en cause par leur action l’unité et l’identité de l’Algérie, au seul motif de consolider, en France ou ailleurs, leur boutique lorsqu’ils n’ont pas la capacité de s’y imposer par la seule qualité de leur écriture, en produisant de grandes œuvres ? Quelle Algérie et quelle littérature algérienne, ces écrivains « Taïwan » asservis à la France et à ses horizons politiques, barbotant dans la fange des réseaux sociaux, prétendent-ils incarner ?
L’apologie d’une doctrine politique étrangère, le sionisme, l’atteinte délibérée aux symboles de la Révolution, l’islamophobie, l’écriture révisionniste dans le roman de la colonisation française, l’atteinte aux codes moraux et politiques d’une nation indépendante, l’appel au recrutement de néo-Français, sont autant préjudiciables à l’Algérie que les litanies excrémentielles de Rachad, de ses alliés pseudo-démocrates et les déblatérations foutraques de sycophantes you-tubeurs. Dans le domaine de la Culture, où des nationaux algériens et des franco-algériens n’ont jamais été vertueux, où sont les lois de la République ? Où sont ses institutions morales ?
Au-delà de ce terrorisme intellectuel contrôlé et rétribué par la France, l’État algérien ira-t-il vers un apaisement des mémoires avec l’ancien colonisateur français sur le cadavre de la littérature nationale des Algériens, celle d’hier et d’aujourd’hui, et aussi celle à venir, qui est un aspect essentiel de leur personnalité et de leur identité nationales ? Le combat pour une littérature algérienne autonome, libérée de l’emprise de la France, appartient à tous les Algériens. Il est aussi celui de l’État algérien souverain et indépendant, garant de l’unité de la nation.
Abdellali MERDACI
*Écrivain, critique et historien de la littérature
1. Au début de ce XXIe siècle, des auteurs de langue arabe honorent la littérature algérienne et obtiennent des récompenses méritées dans des pays d’Orient et l’édition en tamazight gagne des positions dans l’espace littéraire algérien. Il faudra saluer cette évolution positive.
2. Cf. Yasmina Khadra. « Le Baiser et la morsure ». Entretien avec Catherine Lalanne, Alger, Casbah Éditions, 2021.
3. Christophe Ono-dit-Bio, « La fin du monde selon Sansal », « Le Point » [Paris], 13-19 août 2015.
4. « Polémique à l'Unesco après le report d'une exposition sur Israël », « le figaro.fr » [Paris], 23 janvier 2014.
5. « Nommer l’ennemi, nommer le mal, parler haut et clair », « Le Monde » [Paris], 25 mars 2016.
6. Cf. M. Mehdi, « Kamel Daoud condamné par le tribunal d’Oran : il devient ‘‘l’auteur’’ de la violence conjugale », « Le Libre penseur.org », 29 octobre 2019. Cette information est confirmée par le fac-similé du jugement du tribunal d’Oran condamnant Kamel Daoud « pour coups et blessures volontaires (CBV) et usage d’arme prohibée à l’égard de la dénommée L.H.N, son épouse » à trois mois de prison avec sursis et une amende de 20000 dinars. L’écrivain-chroniqueur avait déposé contre le site d’information une plainte pour diffamation restée sans suite. Cet événement et cette condamnation relèvent-ils de la seule sphère privée lorsque Daoud a porté bruyamment l’étendard de la libération des femmes en Algérie et dans le monde ?
7. Abdellali Merdaci, « Naturalisation de Kamel Daoud. La vérité », « Algérie 54 » [Alger], 23 juin 2020.
8. « L’Obs » [Paris], 19 décembre 2019.
9. Cf. « Être Algérien est un métier en soi », « Liberté » [Alger], 14 janvier 2021.
10. « Le Combat algérien », dans « Espoir et parole », poèmes algériens recueillis par Denise Barrat, Paris, Pierre Seghers, 1963.
11. Séverine Labat, « La France réinventée. Les nouveaux bi-nationaux franco-algériens », Paris, Éditions Publisud, 2010.
12. Voir les précieux développements qu’en donne le Dr Zoubir Boushaba dans son essai « Être Algérien, hier, aujourd’hui, demain. Nationalité et double nationalité franco-algérienne », Alger, Éditions Mimouni, 2009.
13. Séverine Labat, oc.
14. Ahmed Bensaada, « Qui sont les ténors autoproclamés du hirak ? », Alger, APIC, 2020.
15. Cf. « L’Obs », 28 janvier 2021.
16. Séverine Labat, oc.