« Le terrorisme bureaucratique et la corruption sont les obstacles principaux au frein à l’Etat de droit et à l’investissement porteur en Algérie » -Extrait de l’interview de A. Mebtoul au quotidien financier français - Les Echos (2008)
1.-L’Algérie est gangrénée par la corruption qui se socialise, dévalorisant le couple intelligence/ travail sur lequel doit reposer tout développement fiable et donc d’asseoir un Etat de droit. Il ne s’agit pas de créer des commissions sans lendemain puisque l’Algérie avait déjà un observatoire de lutte contre la corruption sous la présidence de Liamine ZEROUAL qui n’a jamais fonctionné et se pose la question suivante : quel est le rôle de la Cour des Comptes institution dépendant de la Présidence de la République qui ne fonctionne plus depuis des années , de l’Inspection Générale des Finances , étant paradoxal qu’elle dépende d’un Ministre pouvant être juge et partie et des commissions parlementaires, de l’implication de la société civile et de véritables partis d’opposition comme contre pouvoirs.
Aussi s’agit-il de s’attaquer à l’essence de ce mal qui ronge le corps social qui est la bureaucratie paralysante qui produit la sphère informelle en extension,( contrôlant en 2010 plus de 13 milliards de dollars de la masse monétaire en circulation). La bureaucratie paralysante envahit tout le corps social. C’est que la lutte contre la mauvaise gestion et cette corruption qui se généralise avec cette dépense publique faramineuse ( 480 milliards de dollars entre 2004/2013, plus de 180 milliards de dollars de réserves de change fin 2011 suscitant des convoitises tant internes qu’externes) implique avant tout une moralisation de la pratique des structures de l’Etat eux mêmes au plus haut niveau avec les pratiques sociales malgré des discours moralisateurs, avec cette montée de la paupérisation qui crée une névrose collective. (concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière).
La prise de conscience de cette inégalité explique que tous les segments de la société algérienne veulent immédiatement leur part de rente, et cela entraine une complicité entre le sommet affaibli par les scandales financiers à répétions (corruption) et la base (versement de salaires sans contreparties productives qui constitue également de la corruption) ce qui ne peut que conduire au suicide collectif du pays à terme. Cela pose toute la problématique de la refonte de l’Etat algérien du fait que le blocage est d’ordre systémique.
2.- Hormis les entreprises publiques, qui ont nécessité plus de 50 milliards de dollars entre 1971/2011 sans résultats probants, la manière dont sont gérés les services collectifs et l’administration alors que l’on s’appesantit souvent sur la gestion uniquement des entreprises publiques ayant à leur disposition une fraction importante du budget de l’Etat, la gestion de ces segments contredit les règles élémentaires de ce que les économistes font rentrer dans le cadre de l'économie publique.
Le bureau comme l’a montré le grand sociologue Max Weber est nécessaire dans toute économie mais il doit être au service de la société. Il est nécessaire au fonctionnement de toute économie mais non fonctionner comme en Algérie comme pouvoir bureaucratique en vase clos et qui est le pouvoir numéro un. Les mesures biaisées montrent clairement que certains segments des pouvoirs publics (central et local), du fait de l’ancienne culture bureaucratique et administrative, n’ont pas une appréhension claire de ce que devrait être l’Algérie de demain face aux bouleversements mondiaux se réfugiant dans une autosatisfactions grâce à la rente des hydrocarbures par des dépenses monétaires sans se soucier des impacts ce qui nécessiterait un bilan serein jamais réalisé à ce jour.
Le rapport de la banque mondiale concernant justement le programme de la dépense publique algérienne note par des exemples concrets concernant les infrastructures la mauvaise performance des dépenses d’investissement en Algérie étroitement liée aux carences en matière de gestion des dépenses publiques. S’est-on interrogé une seule fois par des calculs précis le prix de revient des services de la présidence de la république, du premier ministre , des différents Ministères et des wilayates et APC, de nos ambassades (car que font nos ambassades pour favoriser la mise en œuvre d’affaires profitables aux pays ?), du coût des différents séminaires, et réceptions et commissions par rapport aux services rendus à la population algérienne ?.
Ces dépenses constituent un transfert de valeur que paye la population qui est en droit, en Démocratie, de demander l’opportunité et la qualité du service rendu, mais que voile le transfert de rente en Algérie qui est la propriété de tout le peuple algérien. Or ces segments sont importants en tant qu'éléments devant favoriser la création de surplus. Aussi, il est impérieux pour les responsables de ces activités d’améliorer leurs choix et donc leur gestion.
3.-Un autre exemple souvent mal analysé, concerne les transferts sociaux représentant plus de 10% du produit intérieur brut (PIB) souvent mal gérés et mal ciblés. En effet, il convient de se poser la question de l’efficacité des transferts sociaux qui ont atteint 463 milliards de dinars en 2005, plus de 586 en 2006, 677 en 2007 et plus de 1000 milliards de dinars pour les lois de finances 2010/2011 qui ne s’adressent pas toujours aux segments économiques porteurs et aux plus démunis. Et ce comme l’atteste le rapport du PNUD pour 2011 où l’Algérie vient d’être rétrogradée à propos de l’indice du développement humain beaucoup plus fiable que le PNB par tête d’habitant.
On ne cerne pas clairement les liens entre les perspectives futures de l’économie algérienne et les mécanismes de redistribution devant assurer la cohésion sociale, donnant l’impression d‘une redistribution passive de la rente des hydrocarbures sans vision stratégique, le gouvernement naviguant à vue. Dans ce cadre, de la faiblesse de la vision stratégique globale, le système algérien tant salarial que celui de la protection sociale est diffus , et la situation actuelle, plus personne ne sait qui paye et qui reçoit, ne connaissant ni le circuit des redistributions entre classes d'âge, entre générations et encore moins bien les redistributions entre niveaux de revenus ou de patrimoine.
Or, le principe tant de l’efficacité économique et donc motiver au travail, que de justice sociale (les économistes parleront d’équité) pour éviter le divorce Etat/citoyens exige que l’on résolve correctement ces problèmes fondamentaux devant reposer sur des mécanismes transparents tenant compte des importants bouleversements mondiaux qui s’annoncent entre 2015/2020.
En résumé, la gestion des services collectifs et de l’administration, la lutte contre la mauvaise gestion et la corruption renvoient à la question de l’Etat de droit, la bonne gouvernance et à la démocratie tenant compte de notre anthropologie culturelle. Cela est sous tendu par la nécessaire rationalisation de l’Etat dans ses choix en tant qu’identité de la représentation collective. Cela n’est pas une question de lois vision bureaucratique et d’une culture dépassée, l’expérience en Algérie montrant clairement que les pratiques sociales contredisent quotidiennement le juridisme.
Docteur Abderrahmane MEBTOUL, Professeur d’Université Expert International
Ex Directeur des Etudes Economiques et Premier Conseiller à la Cour des Comptes