Au moment où le monde traverse des bouleversements politiques, sociaux et économiques, l’Algérie est interpellée pour de véritables réformes économiques et politiques, condition d‘un développement harmonieux et durable face à l’implacable mondialisation, je livre aux lecteurs cette présente contribution mettant en relief la stratégie des acteurs favorables et défavorables aux réformes.
1.- Les enjeux des réformes
La refonte de l’Etat – dont l’administration, l’intégration de la sphère informelle, les réformes du système financier, fiscal, douanier, système socio-éducatif, les mécanismes nouveaux de la régulation et de la cohésion sociale, l’optimisation de l’effet des dépenses publiques et la nouvelle gestion des infrastructures devant privilégier le BOT, posent la problématique du devenir de l’économie algérienne pour renouer avec la croissance et atténuer, par voie de conséquence, le chômage. L’économie algérienne est une économie actuellement rentière avec plus de 95% d’exportation provenant de cette ressource éphémère allant vers l’épuisement. La réforme globale est la condition indispensable de la production et des exportations hors hydrocarbures. Encore faudrait-il ne pas être utopique, car cela prendra des années. Ce qui pose fondamentalement la problématique de la sécurité nationale. Dès lors, nous sommes en face de deux démarches qui ont des incidences fondamentalement différentes sur la manière de gérer le dossier des réformes, liant l’efficacité économique (adaptation de l’Algérie à la globalisation de l’économie) à la cohésion sociale par une plus grande équité sans verser dans le populisme, en octroyant des salaires sans contrepartie productive, contribuant ainsi à favoriser une croissance négative avec, pour corollaire, le chômage. La tendance conservatrice postule le statu quo avec pour objectif la préservation des intérêts de la rente.Les rentiers sont bien là ; ils constituent une force sociale active, et ce n’est pas une simple vue de l’esprit. D’une manière étrange, ils prônent la défense de la République, mais, fait unique dans les annales de l’histoire, sans la Démocratie, et invoquent un slogan qui n’existe nulle part dans le monde de l’économie de marché étatique spécifiquement algérienne. Aussi, la tendance rentière consiste à gérer le dossier des réformes selon une vision bureaucratique à partir d’injonctions administratives reposant sur des relais administratifs – le bureau, nécessaire dans toute société, mais à la différence des pays développés analysés par Max weber, étant un facteur bloquant. Cela se traduit objectivement auprès des observateurs nationaux et internationaux par un immobilisme, oubliant que le monde ne nous attend pas et que l’Algérie ne vit pas dans un îlot isolé et que les discours triomphalistes démagogiques sont sources de névrose collective. Car la contrainte du financement interne et externe reste posée malgré la baisse du stock et du principal de la dette et de l’importance des réserves de changes qui sont en diminution. Des dysfonctionnements ralentissent l’attrait de l’investissement national et direct étranger, incontournable pour bouleverser les comportements bureaucratiques rentiers, combler le déficit d’épargne et permettre la relance économique. Le bilan dressé à partir des documents officiels, largement diffusés, montre les limites de cette démarche qui peut conduire à un échec programmé, du fait que, pour masquer cet échec, l’on réalise des replâtrages organisationnels et l’on invoque la bonne santé financière, résultat de facteurs exogènes et non du travail et de l’intelligence. En fait, cette démarche, sous l’apparence d’un slogan techniciste, sous-tend elle-même une vision politique et économique, reposant sur l’ancienne vision culturelle dépenser sans compter et la nécessité du primat de l’entreprise publique à travers le rôle de l’Etat investisseur et gestionnaire , marginalisant tant le secteur privé local qu’international sous le slogan « secteur privé complément au secteur d’Etat dominant afin de le soumettre à la logique rentière Nous avons à l’opposé la tendance réformiste. Son objectif consiste à démocratiser la décision économique et politique s’inscrivant dans la mise en place de la démocratie, au sens large, liée à un Etat de Droit basé sur la transparence, impliquant l’ensemble des acteurs économiques, politiques et sociaux, réellement et non pas formellement, nécessitant une approche culturelle différente, qui donne la primauté aux mécanismes du marché dans un cadre concurrentiel , contrôlés et maitrisée par l’Etat régulateur garant du Contrat Social. Au diktat doit se substituer la concertation et le dialogue permanent entre les différents acteurs concernés par les opérations des réformes, en évitant à tout prix la segmentation et la centralisation des décisions, produit de toute démarche bureaucratique autoritaire néfaste. Il s’ensuit l’urgence d’avoir une autre culture, reposant sur des objectifs politiques précis et une cohérence dans les actions pilotées par des structures politiques, techniques mais aussi sociales, comme la société civile et les organisations non-gouvernementales, tissant ainsi des réseaux décentralisés. Ces structures, souples dans leur organisation et efficaces dans leurs actions, ont pour objectif des réalisations concrètes, loin des discours démobilisateurs s’inscrivant dans le cadre d’une libéralisation à vocation sociale. Ces actions seraient un signe fort de la volonté politique de l’adhésion tant des citoyens que de la communauté internationale à l’esprit des réformes. L’objectif essentiel est la démocratisation de la gestion de la rente, propriété de toute la collectivité nationale et de l’intégration de la sphère informelle marchande et productive, qu’il s’agit de « dédiaboliser » avec la généralisation des titres de propriété afin de responsabiliser le citoyen algérien. Les enjeux actuels et futurs des réformes passent par : une évaluation à son stade actuel et ses environnements politiques, économiques, sociaux et internationaux ; une identification des acteurs internes et externes impliqués dans le processus des réformes ; une analyse des stratégies développées ou qui risquent d’être développées par les acteurs hostiles et une série de contre-mesures à mettre en œuvre par les acteurs favorables et anticiper les risques d’échec.
2- Stratégie des acteurs : les acteurs défavorables aux réformes
Ils sont présents dans certains segments engagés dans le pouvoir politique ; une fraction de l’Administration, des médias et des syndicats ; une fraction des dirigeants des secteurs public et privé, liée à la rente. Dans cette classification, il apparaît une forte homogénéité des oppositions. Les acteurs majeurs de celle-ci – syndicat et secteur public – se trouvent renforcés par des groupes politiques à l’intérieur et à l’extérieur de l’APN et du Sénat ; des minorités agissantes à l’intérieur des partis politiques hostiles aux réformes et des opérateurs privés qui se sont développés à l’ombre du monopole d’Etat. Cette convergence d’intérêts reposent sur de faux discours populistes des années 1970 qui incombent la responsabilité de la situation sociale aux réformes économiques, alors que les réformes microéconomiques et institutionnelles n’ont pas véritablement commencé. L’activisme de ces clans, à travers tant les discours que la monopolisation, par leurs écrits dans les médias, les commissions, certains centres de recherche donne l’impression que toute la société est d’accord avec leurs idées. Certains se substituent à la majorité de la population algérienne se présentant comme la conscience nationale, et vont jusqu’à exiger le départ de personnes politiques favorables aux réformes afin de placer d’autres acquises à leurs idées populistes. Étrangement et faussement, ils parlent au nom de la majorité et deviennent les seuls interlocuteurs des pouvoirs publics qui les reçoivent officiellement, parce que organisés. Que s’assignent comme objectif les acteurs internes défavorables ? Il s’agit de préserver les intérêts de la rente avec une vision à court terme se couvrant derrière le slogan de défense des intérêts nationaux, alors que le nationalisme n’est le monopole de personne, de réaliser une hégémonie politique et économique en favorisant le Monopole et en freinant toute forme de concurrence expliquant leurs positions concernant l’adhésion de l’Algérie à la zone de libre-échange avec l’Europe et à l’Organisation mondiale du commerce, en réalité de bloquer le processus de démocratisation dans la mesure où Démocratie économique (entendu économie de marché), démocratie sociale et démocratie politique sont indissociables. Comme moyens, ils utilisent les thèses altermondialistes en les déformant, oubliant que l’on vit à l’ère de l’internet. Or, les altermondialistes sont contre une économie étatisée, bureaucratisée, insistant sur une plus grande cohésion sociale, une plus juste répartition du revenu national, la protection de l’environnement à travers le trio Etat régulateur, entreprises privées créatrices de richesses, implication de la société civile, avec la pluralité syndicale pour une économie de marché humanisée Autre moyens utilisés, ils favorisent les incohérences des textes de loi dans la sphère économique et atomise les prises de décision en jouant sur la confusion des textes, mettent à profit les tensions existantes en accentuant le malaise social , sous le slogan « les réformateurs sont les alliés de l’extérieur et veulent piller le pays ».. Pourtant leurs discours sont de moins en moins crédibles car les réformes économiques ont été largement démystifiées et la mondialisation est une réalité historique insensible. Les rentiers ne proposent aucune solution opérationnelle de rechange. Aussi avec la faillite du bloc communiste qui a montré les limites du secteur d’Etat et d’un régime de type stalinien autoritaire caractérisé par des relations de clientèles informelles occultes, la capacité financière limitée de l’Etat, l’immense majorité de la population ne croit plus aux discours populistes et démagogiques, notamment grâce à la révolution des télécommunications, le monde étant devenu une maison de verre.
3.- Stratégie des acteurs défavorables aux réformes
Nous les trouvons dans une fraction des couches au niveau des partis politiques ; certains segments engagés dans le pouvoir politique ; une fraction de l’administration, une fraction de la société civile; une fraction du secteur public et une fraction du secteur privé formel et informel. Cette dernière, dont la naissance et le développement résultent d’une lutte contre la bureaucratie, représente en Algérie plus de 50% des activités. L’objectif, à terme, sera de l’intégrer, car vecteur dynamisant, en la légalisant par la généralisation du Droit de Propriété, existant une multitude d’entrepreneurs dynamiques pour le renforcement des forces sociales favorables aux réformes. Quelle stratégie assigné par les acteurs internes favorables aux réformes ? Il s’agit de désengager progressivement l’Etat de la sphère économique pour assurer son rôle de régulateur dans les domaines politique, économique, social et culturel, d’aller vers la démocratisation et la démonopolisation , pour éviter le passage d’un monopole public à un monopole privé, dynamiser le tissu productif en termes de cout/qualité dans le cadre des valeurs internationales par l’émergence d’entreprises compétitives publiques et privées reposant sur l’économie de la connaissance, afin de favoriser la création d’emplois productifs et non des emplois rentes. Et ce afin d’adapter l’économie algérienne aux contraintes de la globalisation, de rétablir durablement les équilibres budgétaires par la stabilisation macroéconomique et dynamiser les exportations hors hydrocarbures à terme, au moyen des réformes microéconomiques et institutionnelles. Comment y arriver ? C’est avant tout par une nette volonté politique de libéralisation qui suppose une reconfiguration du personnel politique, une large campagne de démystification et de vulgarisation avec l’émergence de responsabilités politiques des acteurs favorables à la libéralisation maitrisée et non anarchique qui ferait le nid de ses détracteurs, l’implication de la société civile avec un rôle plus accru de la femme ; l’’élaboration de mesures sociales pour amortir les effets négatifs, les subventions destinées aux plus nécessiteux ne devant plus être supportées par les entreprises mais par le budget de l’Etat après l’aval de l’APN et enfin par la transparence totale dans le processus des réformes engagées. Cette classification des acteurs internes favorables aux réformes économiques est en gestation pendant cette période de transition et nécessite donc son organisation. En effet, pour certains partis politiques, dont la position officielle est favorable, cette question rencontre de fortes oppositions internes, souvent pour des raisons de populisme électoral. La passivité des acteurs favorables, qui, souvent, n’ont pas leurs médias et des relais efficaces au niveau des administrations (encore qu’il convient de saluer l’effort important des médias privés), et les discours contradictoires (faiblesse du système de communication) du pouvoir politique, tout cela contribue à les marginaliser bien qu’ils soient largement majoritaires. Il va de soit que les acteurs favorables rencontreront une très forte opposition des rentiers qui avec l’harmonisation des acteurs défavorables bureaucratiseront encore plus la sphère économique et sociale à travers leurs relais dans les entreprises et administrations. Face aux acteurs internes favorables et défavorables aux réformes, la majorité de la population algérienne, au niveau de la sphère informelle, de bon nombre d’opérateurs privés, agriculteurs, artisans, commerçants, industriels, organisations diverses (professions médicales, ingénieurs et techniciens, notaires, avocats, architectes, financiers, etc.), travailleurs fonctionnaires et cadres dont l’objectif est d’assurer un travail à leurs enfants, est en observation(1).
4.-Qu’en est-il des acteurs externes USA/Union Européenne ?
Deux acteurs externes semblent vouloir s’imposer durablement en Algérie, l’Union européenne avec un rôle pivot pour des raisons historiques de la France et les Etats-Unis d’Amérique qui ont considérablement investi dans le Sud (pétrole et gaz) .mais avec une percée récente de la Chine Cependant, du fait de la mondialisation, ce serait une erreur de vouloir les séparer d’une manière tranchée, car les objectifs stratégiques ne sont pas fondamentalement antagoniques. Leurs divergences sont aplanies par la stratégie des grandes compagnies : actionnariat varié à travers des dizaines de milliards de dollars chaque jour au niveau des places financières internationales, quelle que soit la nationalité qui n’est plus importante. Cette vision planétaire uniformise donc les divergences dites nationales et les met à l’abri des turbulences politiques conjoncturelles qui peuvent surgir sporadiquement. Les fusions avec plusieurs milliers de milliards de dollars, sont impressionnantes. D’autres acteurs mineurs sur le plan politique (Italie, Espagne, Allemagne, Grande-Bretagne, Belgique) tentent de s’implanter en Algéri . Le niveau de leurs échanges est appelé à augmenter dans tous les secteurs de l’activité économique. L’objectif tant des USA que de l’Europe est un espace économique maghrébin, euro-méditerranéen et euro-africain, condition de l’attrait de l’investissement direct étranger.. Toutefois, l’on peut scinder les objectifs spécifiques. Pour les USA, en plus de leurs poids, dans la décision au sein des institutions financières internationales, et récemment avec la révolution dans le pétrole/gaz de schiste , étant relativement moins dépendant, les objectifs sont le contrôle mondial de l’énergie qui est la doctrine qui fonde et oriente l’ensemble de la stratégie politique, économique et militaire des USA. Comme moyens les USA encouragent les grandes compagnies à investir dans le secteur des hydrocarbures et, à terme, selon le rythme des réformes, dans les segments hors hydrocarbures. Ils favorisent également leurs réseaux en impliquant la communauté algérienne établie aux USA. Cependant les USA se heurtent en Algérie aux barrières d’ordre culturel et linguistique, au modèle de consommation algérien euro-méditerranéen et à la faiblesse des échanges hors hydrocarbures. Qu’en est-il de l’union européenne avec le rôle pivot de la France avec une divergence avec l’Allemagne plus orientée vers l’ex bloc communiste de l’Est. Les objectifs sont demaintenir son rang de premier partenaire et en fonction de leurs intérêts de réaliser un grand espace euro-méditerranéen stable politiquement et prospère économiquement (accord de zone de libre-échange avec l’Europe) sous segment de la dynamisation du continent Afrique, enjeu du XXIème siècle, en faisant jouer à l’Algérie surtout avec les tensions géostratégiques actuelles , un rôle de stabilisateur. Pour les moyens, elle implique les élites algériennes et notamment l’émigration, favorise l’implantation des entreprises européennes. Mais l’Europe dont la France, se heurte à l’hégémonie politique des USA dans les relations internationales et récemment au poids des pays émergents dont la Chine.
Professeur es Universités, Expert International en management stratégique Dr Abderrahmane MEBTOUL