Par Elijah J. Magnier: @ejmalrai
Publié le 03/02/2018 sous le titre Israel pushes Lebanon into the arms of Hezbollah
Le ministre de la Défense israélien Avigdor Lieberman a poussé le gouvernement libanais dans les bras du Hezbollah en proférant sa menace contre les ressources pétrolières et gazières du Liban lors de son allocution à la 11e conférence internationale annuelle du « Institute for National Security Studies » (INSS – un laboratoire d’idées ou Think-Tank), qui s’est tenue à Tel‑Aviv. La demande de Lieberman faite aux sociétés énergétiques internationales ne pas présenter de soumissions pour l’exploration pétrolière et gazière offshore dans le bloc à appel d’offres 9 n’a pas donné d’autre choix au gouvernement libanais que de se ranger derrière les capacités supérieures des missiles du Hezbollah, de façon à contrebalancer la menace israélienne qui est prise très au sérieux à Beyrouth.
Que peut faire le Hezbollah?
Israël conteste la légitimité d’une zone triangulaire de 300 milles carrés dans la Méditerranée qui s’étend le long de trois blocs (8, 9 et 10), en particulier des blocs 8 et 9, considérés comme les plus riche, qui bordent les eaux territoriales libanaises et israéliennes. En décembre, le gouvernement libanais a approuvé l’attribution de licences à un consortium formé de la société française Total, de l’italienne ENI et de la russe Novatek, en réponse à un appel d’offres pour l’exploration pétrolière offshore dans deux blocs sur cinq dont le bloc 9. Ce dernier bloc (comme le bloc 8) est contigu aux gisements israéliens de Tamar et Leviathan, ce qui crée un malaise parmi les responsables israéliens qui préféreraient garder l’ensemble du gisement pour eux.
Bien que le consortium international prévoit entreprendre son forage d’exploration en 2019, le Liban défend son droit relatif à ses eaux territoriales depuis de nombreuses années sans avoir obtenu de position claire de la part des Nations Unies, qui a été invitée à se prononcer officiellement sur le tracé des limites maritimes de la frontière israélo-libanaise. Officiellement, le Liban se sent fragilisé par la menace israélienne, faute de capacité militaire de l’armée libanaise à affronter l’armement supérieur des Israéliens. C’est ainsi que les responsables israéliens continuent de pousser le gouvernement libanais vers le seul acteur non étatique capable de le défendre ou, du moins, créer un équilibre de la terreur avec Israël : le Hezbollah libanais. Ces mêmes responsables israéliens continuent de promouvoir la crainte parmi la population israélienne lorsqu’ils parlent de la capacité militaire du Hezbollah. Les médias et les responsables militaires israéliens estiment que le Hezbollah dispose de 100 000 à 150 000 missiles de courte, moyenne et longue portée et d’une force combattante comptant 50 000 militants. En outre, les missiles du Hezbollah deviennent de plus en plus précis, en étant capables d’atteindre un niveau de précision de 1 à 5 mètres.
L’Iran fournit forcément à son partenaire libanais des missiles à combustible solide de dernière génération et ce n’est pas la Syrie qui va priver le Hezbollah de son missile antinavire destructeur Yakhont, lui qui a toujours soutenu activement le gouvernement de Damas pendant toutes ces longues années de guerre. L’Iran a également mis à l’essai l’an dernier son missile de croisière « Soumar », ce qui laisse croire que le Hezbollah pourrait causer bien des surprises dans la prochaine guerre contre Israël, apparemment sans nécessairement chercher à le provoquer. Pour des raisons évidentes, le Hezbollah n’a pas besoin de missiles de portée supérieure à 350-400 km. Par conséquent, on ne peut pas exclure que l’Iran pourrait fabriquer des missiles possédant des ogives plus destructrices et une plus grande force explosive (mais à moins grande portée), qui correspondent mieux aux besoins du Hezbollah en cas de guerre contre Israël.
La capacité des armements du Hezbollah, qui font plutôt peur, et son expérience au combat remarquable acquise en Syrie durant toutes ces années, en mettant en pratique diverses tactiques d’attaque (plutôt que de défense) en milieu urbain, dans le désert et en conflit ouvert, ont fait du Hezbollah une force régionale à prendre au sérieux. Il est évident qu’en ne donnant pas à l’armée libanaise les moyens nécessaires pour égaliser ou même surpasser ceux du Hezbollah, les USA et l’UE amèneront le gouvernement libanais à tirer avantage de cette force redoutable à ses côtés et à s’en servir pour stopper l’expansion maritime d’Israël vers les eaux territoriales libanaises.
Ce que Lieberman et bien d’autres responsables militaires et politiques israéliens sont en train de faire, c’est de pousser davantage le gouvernement libanais dans les bras du Hezbollah en cherchant sa protection, renforçant ainsi au lieu d’affaiblir sa puissance et son influence au Moyen-Orient. La guerre de mots continuelle des Israéliens fait en sorte que le Hezbollah représente la sécurité et le confort aux yeux de la population libanaise (non seulement des chiites), sa seule bouée sur laquelle s’agripper pour défendre les eaux de son « bloc 9 ». En outre, Lieberman ne fait qu’insuffler encore plus de crainte au sein de la population israélienne en lui faisant continuellement prendre conscience de la menace que constitue le Hezbollah. Ce dernier s’est déjà prononcé à de nombreuses reprises, en soulevant notamment la possibilité de frapper le réservoir d’ammoniac de Haïfa et les réacteurs nucléaires de Dimona, qui pourrait tuer des milliers d’Israéliens.
Des questions demeurent toutefois sans réponse. Comment s’en tireront toutes ces batteries d’intercepteurs antimissiles (Dôme de fer, Arrow, David Sling) déployées partout en Israël contre des milliers de roquettes et des dizaines de missiles M-600, « Soumar » et « Yakhont » lancés presque simultanément contre des objectifs militaires et civils? Israël peut-il se permettre de boucler ses havres et ses ports même si les USA s’empressent de l’aider à bombarder le Hezbollah au Liban? La communauté internationale est-elle prête à être aux prises avec une autre guerre au moment où elle cherche avant tout à reconstruire l’économie?
Lorsque Lieberman soutient qu’au cours de la prochaine guerre « les Libanais seront assis dans des abris tout comme les Israéliens à Tel-Aviv », il omet ce point fondamental : il n’y a pas d’abris au Liban. Ce qui fait en sorte que la population libanaise et son gouvernement n’ont d’autre choix que de se rallier derrière leur seul défenseur, le Hezbollah, qui est le seul groupe capable possédant suffisamment de moyens pour répondre à une attaque israélienne, et l’équipement nécessaire pour frapper n’importe où en Israël.
Ce que Lieberman a réussi à faire, c’est d’insuffler un peu plus de crainte dans le cœur des Israéliens, tout en donnant une autre occasion au Hezbollah de prouver le bien-fondé de son existence et de sa continuité. Il est en train de ranger le gouvernement libanais derrière un acteur non étatique pour qu’il assure sa protection, tout en dévoilant l’incapacité d’Israël de répondre à la menace durable à sa frontière. C’est un aveu de faiblesse et non de force, d’autant plus que Lieberman n’avait même pas été invité à parler du bloc 9 pendant son allocution au INSS. Il a lancé le bal de lui-même, en causant une tempête qui va assurément déborder de son verre d’eau. Israël en ressort déjà perdant et le Hezbollah pourrait bien en sortir vainqueur.
Le Hezbollah observe avec assurance que toutes les nouvelles menaces proférées par d’autres responsables israéliens amènent le gouvernement à réaliser toujours un peu plus l’importance de maintenir la présence et la continuité du Hezbollah.