Allocution de bienvenue du professeur des Universités Expert international Dr Abderrahmane MEBTOUL , lors de la conférence de l’Amiral Dr Jean DUFOURCQ le 27 mai 2015 Université d’Oran 2, Mohamed Ben Ahmed-Pole universitaire Belgaid(1)
1.- Mesdames, Messieurs honorable invités,
Permettez moi au préalable, comme l’ont souhaité, Mr le directeur de cabinet de la présidence de la république Mr Ahmed OUYAHIA au nom de son Excellence Mr le président de la république et Mr Abdelmalek SELLAL Premier Ministre, de souhaiter la bienvenue en Algérie à mon ami l’expert international l’amiral Jean DUFOURCQ, ami de l’Algérie, au sein de cette enceinte universitaire. Je le remercie au nom de la Communauté universitaire d’Oran d’avoir répondu à mon invitation. Malgré les nombreuses hautes fonctions occupées dans les appareils de l’Etat entre 1974/2015, je reste avant tout professeur des Universités ayant été docteur d’Etat depuis 1974 à l’age de 26 ans. Car la conférence/ débat est avant tout scientifique. C’est donc dans le cadre de ses activités scientifiques, que l’Université d’Oran 2, Ben Ahmed Mohamed, après accord de Mr le Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique , que suite à ma proposition, et ce en relation avec Mr le recteur que je tiens à remercier de sa disponibilité , que rentre cette conférence débat sur « le monde qui vient– enjeux géostratégiques- et perceptives pour l'Algérie et la France ».
2.-L’Amiral Jean DUFOURCQ, auteur de nombreuses publications internationales ayant fait l’honneur de contribuer avec 36 experts internationaux de différents horizon et pays aux deux ouvrages collectifs, volet politique et économique « le Maghreb face aux enjeux géostratégiques » que j’ai dirigé avec le Dr Camille Sari de la Sorbonne édité en Algérie aux Editions Maarifa en 2013 et à Paris aux Edition Harmathan en 2014 est chercheur associé à la RDN à l’Ecole militaire (Paris)-de 2007 à 2012 directeur d'études à l’école militaire à Paris (Cerem puis Irsem). Il est directeur d’études à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire et enseignant vacataire à Paris 2 Assas et Bordeaux 4. Auditeur du Centre des Hautes Etudes Militaires et de la 47ème session de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale, il a été conseiller à la Délégation aux Etudes Générales du Ministère de la Défense et au Centre d’Analyse et de Prévision du Ministère des Affaires Etrangères. Il a dirigé la recherche académique du collège de défense de l’OTAN à Rome, été directeur d’études à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire et rédacteur en chef de la Revue Défense nationale française. Il a été chargé de la mise en place à Bruxelles du Comité militaire de l’Union européenne et a participé au lancement de ses activités militaires. Analyste en relations internationales et stratégiste, docteur en sciences politiques, membre honoraire de l’Académie de marine et de l’académie royale de défense suédoise, il prend part aux débats de sécurité par ses publications académiques et les séminaires qu’il tient dans ces disciplines au sein d’ instituts de renommées mondiales en Afrique, Asie , Europe et Amérique.
3.-Mesdames et Messieurs honorables invités,
Cerces les relations entre l’Algérie et la France sont passionnés pour des raisons historiques, ne devant jamais oublier le devoir de mémoire, mais devant préparer ensemble, l’avenir pour les générations futures, fondé sur un co-partenariat gagnant/ gagnant, loin de tout esprit de domination. A ce titre, les 1er et le 2 juin 2015, une rencontre intitulée « Algérie 2015 » est prévue à Paris suivi de la visite du président français François Hollande la mi juin 2015, auxquelles participeront 150 opérateurs français et une délégation d’une cinquantaine d’entreprises membres du FCE, l’Algérie étant intéressés par densifier son tissu industriel par la création de pôles industriels dans différentes régions, par exemple, l’automobile à Oran, la mécanique à Constantine, l’électromécanique à Sétif et Bordj Bou-Arréridj ou l’agroalimentaire à Béjaïa, sans oublier les hauts plateaux et le Sud à fortes potentialités . Le développement de l’Algérie et d’une manière générale du Maghreb pont entre l’Europe et l’Afrique, continent à enjeux multiples, qui horizon 2030/2040 devrait être la locomotive de l’économie mondiale, sous réserve d’une meilleure gouvernance, de sous intégrations régionales et la valorisation de la connaissance, permettant une économie productive dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux, conditionne la stabilité de l’Europe et de la région, évitant ces images désolantes d’immigrations massives. En effet, aujourd’hui, les menaces sur la sécurité ont pour nom terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, crises régionales et délitement de certains États. Or, les défis collectifs nouveaux, sont une autre source de menace : ils concernent les ressources hydrauliques, la pauvreté, les épidémies, l’environnement.
3.- Mesdames et Messieurs,
C’est que la lecture que font les experts en stratégie des menaces et défis auxquels le monde et notre région sont confrontés repose essentiellement sur la nécessité de développer ensemble une stratégie collective de riposte concernant notamment le terrorisme international, le trafic des êtres humains et la criminalité organisée à travers la drogue et le blanchissement d’argent et surtout de promouvoir un développement durable, le terrorisme se nourrissant de la misère. L'Algérie qui partage des frontières terrestres avec ses 7 pays voisins : la Libye, le Mali, la Mauritanie, le Maroc, le Niger, la Tunisie et le Sahara occidental pour un total de 6 343 km a déployé une véritable task-force pour sécuriser ses frontières pour faire face à l’instabilité chronique de l’autre côté des frontières et dont les événements récents confirment la continuelle aggravation. La menace terroriste étant une menace planétaire, nécessitant une étroite coopération internationale, l’ANP, la gendarmerie nationale et les services de sécurité se déploient le long des frontières et effectuent régulièrement des opérations de ratissage avec une couverture aérienne et ce dans le cadre d’une coopération de renseignements avec les pays limitrophes et certains pays amis. C’est pourquoi , il est admis aujourd’hui par l’ensemble de la communauté internationale tant de la part des Etats Unis d’Amérique, de la CEE , que des puissances militaires comme la Russie et la Chine que l’Algérie qui a une longue expérience dans la lutte anti-terroriste, ayant payé un lourd tribut, jadis confronté seule à ce fléau , est un acteur majeur dans la stabilité de la région.
4.-Mesdames, messieurs, honorables invités,
C’est que notre région connait actuellement et devrait connaitre dans les années à venir d’importants bouleversements géostratégiques, tant sur le plan militaire, politique, qu’économique. Mais le tout sécuritaire a des limites. Certes, l’aspect sécuritaire est déterminant car aucun développement n’est possible sans la sécurité, mais sans développement il y a forcément extension de l’insécurité et risque de déstabilisation de notre région, passant donc par l’urgence d’une gouvernance rénovée adaptée aux nouvelles situations, tant régionale que mondiale et donc d’une nouvelle reconfigurations des relations internationales dans tous les domaines militaires, politiques, économiques et culturelles tenant compte de l’anthropologie des sociétés, cette dernière souvent ignorée. Ce sont les conditions de la stabilisation de la région, comme je viens de le développer lors d’une conférence le 15 mai 2015 à l’invitation de du général major directeur général la direction générale de la sûreté nationale DGSN et par le passé lors d’une conférence à l’invitation de l’Académie Interarmes de CherchellTout en n’oubliant jamais que dans la pratique des affaires n’existent pas de sentiments, mais que des intérêts ; nous espérons le renforcement des relations, pour une prospérité partagée, entre l’Algérie et la France et d’une manière générale avec l’Europe et les USA, sans oublier les pays émergents dont la Chine.
Je vous remercie de votre aimable attention et souhaite à nouveau la bienvenue à l'Amiral Jean DUFOURCQ au nom de la présidence de la République, de Mr le Premier Ministre, de Mr le Wali d’Oran et de la communauté universitaire ainsi que de l’ensemble des représentants, ici présents, du commandement des forces terrestres, aériennes, navales de l’ANP, de la gendarmerie nationale et de la DGSN.Conférence de l’Amiral Dr Jean DUFOURCQ le 27 mai 2015 Université d’Oran 2, Mohamed Ben Ahmed-Pole universitaire Belgaid
Merci de m’avoir invité à exposer ce vaste sujet qui est au cœur des travaux de recherche que je conduis depuis des années à l’Ecole militaire : Le contexte stratégique mondial : vers une nouvelle planète, enjeux et perspectives pour la France et l’Algérie. Je suis ici comme chercheur et non comme représentant de mon pays, de son université, de son ministère de la défense et mes propos sont d’abord ceux d’un stratégiste qui pose un cadre d’analyse et voudrais partager avec vous, en voisin, ses interrogations. Je réclame d’ailleurs d’emblée votre indulgence car la question d’ampleur que je vais essayer de traiter est aujourd’hui plus que jamais d’une rare complexité. Aussi les pistes que je vais vous proposer resteront au niveau des idées générales du chercheur. Nous essaierons de les appliquer aux crises actuelles à l’aide des questions que vous voudrez bien me poser après cet exposé qui durera une heure. Commençons par ce simple constat ; nous avons tous l’impression de vivre la fin d’un temps historique commencé il y a quelques siècles, disons au XIXè siècle ; nous devinons qu’une vraie transition stratégique a débuté depuis la fin de la Guerre froide, il y a 20 ans, et nous pressentons qu’aucun état stable de la planète n’est possible avant quelques décennies. Cela nous déconcerte et nous inquiète d’autant plus que nous sentons bien que l’information stratégique accessible au grand public est au mieux incomplète, au pire assez contestable.
Pour caractériser la grande glissade stratégique que nous ressentons, chacun peut observer comme moi un double mouvement porteur d’indéterminations : un monde historique structuré et hiérarchisé par les valeurs et les intérêts et les responsabilités des Etats semble se déconstruire, s’effriter, se périmer ; un autre monde gris, plus confus, plus transversal semble émerger dans l’incertitude généralisée sous l’impulsion de multiples acteurs en compétition. Face à ces réalités complexes, quelle stratégie doit adopter un pays comme la France ou l’Algérie ? Freiner la décomposition, réparer l’ordre ancien qui s’échappe et retrouver le statu quo ; ou bien accélérer le changement pour préserver ses chances de survivre dans ce vaste reclassement en cours et rester acteur principal de son destin national et régional ?Voilà bien l’enjeu de la réflexion stratégique que je vous propose aujourd’hui.
Comment faire pour nous adapter au monde à venir, un monde à la fois « unifié », « rétréci », « aplati » par la mondialisation, comme on le dit savamment maintenant mais aussi un monde plus « plein », à la fois « plus fluide et plus rugueux», « plus instable et plus diversifié », multipolarisé, voire apolaire selon le vocabulaire de la science politique? Va-t-on pouvoir s’en isoler ou savoir réguler toutes ces disparités, fissures, discontinuités stratégiques potentielles qu’il porte déjà et qui s’accentuent et y défendre la place de nos pays? C'est bien la première grande question à se poser.
Seconde interrogation. Pour absorber des distorsions inéluctables, peut-on toujours compter sur les systèmes inventés à la fin de la Seconde guerre mondiale, il y a plus de soixante cinq ans, pour réguler les tensions d’alors? Des systèmes voulus par les Grands de 1945, qui étaient les puissants d’une civilisation victorieuse qui ne regroupera bientôt plus que moins du cinquième de l'Humanité vivant sur terre. Va-t-on vers une « Fusion » ou vers une « Fragmentation » de la planète post- 2050? C’est la seconde question centrale qu’avec d’autres je me pose. Elle est essentielle pour nos pays pour leur permettre de penser leur avenir, de conduire leur action et de chercher à survivre sous leurs propres couleurs.
La thèse que je voudrais soutenir devant vous ici ce matin, est double :
· D’abord, c’est que d’ici 2050, le monde va affronter des défis encore jamais rencontrés, qui vont mettre encore plus durement à l'épreuve le modèle occidental de développement qui servait de référence universelle jusqu'à maintenant ; on le voit tous les jours.· Ensuite, ce monde hésite devant un embranchement stratégique important entre deux voies distinctes entre lesquelles il lui faudra implicitement choisir:o soit une unicité préservée tant bien que mal, dans une diversité assumée et valorisée,o soit une fragmentation compétitive acceptée, dans une diversité conflictualisée.
Voilà les deux voies que je devine et dont beaucoup dépend pour notre avenir.
Ceci étant posé comme enjeu, je voudrais vous proposer une grille de lecture stratégique « à la française » du contexte stratégique mondial en 4 courtes séquences.
1. Les trois défis à relever au début du XXIe siècle : révolution démographique, exigence écologique, mondialisation économique et informationelle2. L’état d’organisation du monde mis à mal; puissances émergentes et puissances installées en compétition pour la gouvernance mondiale.3. Les 4 inconnues structurantes : l’Europe, les Etats-Unis, la Chine, l’Afrique4. Les espaces communs coopératifs : le monde fluide.
Voyons cela.
Tout d’abord, premier thème, les trois grands défis à relever que chacun connaît bien, démographie, écologie, économie et qui bouleversent l’état d’organisation du monde hérité de 1945 et maintenu tant bien que mal jusqu’à aujourd’hui.
Commençons par la révolution démographique : elle induit naturellement une nouvelle géopolitique et une nouvelle géo-économie. Nous sommes plus de 7 milliards sur la planète aujourd'hui. La population du monde a en gros triplé depuis la 2ème guerre mondiale, c'est un phénomène inédit, c'est une situation tout à fait exceptionnelle. Et 2 autres milliards d'habitants au moins vont venir nous rejoindre sur cette planète à l'horizon 2050, 2 milliards qui vont peupler d’autres foyers de peuplement que ceux de l’OCDE. Là où ils vont vivre, ils vont créer une nouvelle densité et contribuer à une autre révolution, au minimum humaine, sociale mais aussi géoéconomique et civilisationnelle. Cette révolution démographique est grosse de lourdes conséquences sur toute l’étendue de la planète, avec des vides et des pleins, avec des mouvements inéluctables d'homogénéisation des niveaux de vie, des cultures, des occasions de compétitions-confrontations comme de coordination-coopération.
Deuxième grand défi, sur lequel les projecteurs sont braqués depuis 2010 et le Sommet de Copenhague et seront braqués à nouveau au Sommet de Partis en 2015, l’exigence écologique qui s’impose à tous. Cet enjeu important véhicule deux éléments inattendus, d'abord le spectre de la pénurie qui se profile mais aussi quelque chose de plus angoissant, l'annonce de la fin du progrès indéfini, du progrès garanti. Le doute s’installe sur la valeur du progrès continu comme moteur de l’histoire. Rappelons-nous Fukushima en 2011. Ces deux perceptions structurent profondément l'avenir, parce que le spectre de la pénurie crée des besoins et des inquiétudes nouvelles, et que, conjugué avec le déplacement des masses humaines lié à la révolution démographique, il crée une espèce de tension sur la planète qui nous inquiète et compromet la croissance.
Troisième défi de ces temps décidément sans ressemblance, un défi corrélé aux deux premiers, c'est la redistribution économique générale des marchés, des marchés massifiés, financiarisés à outrance et de plus en plus déshumanisés, voire criminalisés. Ce grand bazar commercial alimente la chaudière de la mondialisation. Il est en train de mettre en avant la nécessité d'une nouvelle régionalisation pour rapprocher producteurs et consommateurs, car les écarts se creusent et les méthodes divergent de plus en plus, des solidarités et des dépendances se recomposent. Là, s’esquisse la fragmentation stratégique des temps actuels.
Révolution démographique, enjeu écologique, globalisation des marchés, ces trois phénomènes liés caractérisent le début de XXIème siècle. Ils sont porteurs de frictions et de conflits et nous invitent collectivement à réguler leurs effets. Chacun des grands pays développés, établis, titulaires, chacun des pays émergents va devoir faire face dans les décennies à venir à ces trois défis encore jamais rencontrés à ce niveau sur notre planète. Comment relever ces défis, individuellement ou collectivement ? Chacun va devoir, en plus des grandes concurrences interétatiques que ces défis posent, faire face aux contestations d’autorité et aux conflits d’intérêt qu’ils suscitent et à la concurrence énergique des systèmes trans ou infra étatiques, celle de marchés financiers exigeants, de médias intrusifs, de religions engagées, de systèmes agressifs de la criminalité organisée. De fait, il y a un grand risque que ces tensions provoquent des conflits liés à la diversité des Etats, la contradiction de leurs intérêts et aux manœuvres d’acteurs opaques, artificiels ou éphémères. Voilà pour le diagnostic.Ensuite, deuxième thème, l’état d’organisation du monde, sa conflictualité latente
Alors face à ces défis, que va-t-il se passer ? Une situation de coopération générale ou une situation de conflits larvés en 2050? Une réparation de l’ordre du monde ou une réinvention de celui-ci ? On relève dans les propos des pays émergents, une confiance optimiste dans l’avenir, une conscience forte de l’accélération de l’histoire et une volonté de prendre toute leur place de la gouvernance mondiale. Les pays titulaires quant à eux sont plus méfiants, plus enclins à des postures défensives et à des actions retardatrices pour préserver leurs avantages compétitifs menacés par la mondialisation. Le monde occidental est soumis aujourd’hui à de redoutables épreuves : la crise de l’Etat, la crise de la démocratie, la crise de l’Occident. J’y reviendrai en conclusion. Voilà pour la perspective que je vous propose.
Troisième thème, les inconnues structurantes, et je vais m’attarder sur quatre d’entre elles qui ont un impact direct sur la liberté d’action de la France, sur sa capacité de manœuvre; elles résultent de surchauffes observables par chacun d’entre nous: la surchauffe institutionnelle européenne, la surchauffe stratégique américaine, la surchauffe chinoise de développement, et la surchauffe démographique africaine.
Première inconnue pour la France, celle de l’avenir de la construction européenne. Je vais m’attarder un peu sur la surchauffe institutionnelle européenne car l’actuelle impasse de l’UE est une source d’inquiétude pour la France. L’avenir de la communauté européenne de destin et d’intérêt structure en effet profondément celui de la France. Or le Brexit comme le Grexit sont envisagés clairement par certains peuples, la construction européenne est réversible et l’Union européenne peine à porter le projet européen.
La deuxième inconnue structurante, c’est le devenir des États-Unis ensuite. Les États-Unis sont à l'évidence en surchauffe stratégique. Cette surchauffe se traduit par un certain nombre de comportements extrêmes. Des engagements forts, des décisions lourdes, des déséquilibres accentués, je pense aux questions budgétaires, je pense au budget de la défense, je pense à la volonté déterminée qui fut celle de l'administration Bush de « changer le monde pour un monde meilleur », même si cette volonté a rencontré tant d'obstacles. Eh bien là, il y a une sorte de surchauffe conceptuelle, et aussi une surchauffe de la puissance. Alors bien sûr, après cette surchauffe stratégique observée, deux voies sont possibles, elles sont connues, c'est l'histoire qui nous les indique.
· Soit c'est la voie de la décadence, de la division. Cette division interviendra-t-elle ? Nul ne le sait. Soit c’est la voie de la réforme et de la métamorphose que chacun souhaite.· La première voie est celle des empires classiques, la seconde, celle des civilisations.
En ce qui concerne la troisième inconnue, la Chine, c'est bien sûr un point essentiel que chacun examine à la loupe. Nous sommes tous extrêmement attentifs à la Chine, qui est en surchauffe de développement et qui va passer très rapidement du Moyen-âge au XXIème siècle, avec une prise d'avance dans un certain nombre de domaines à laquelle nous devons nous préparer.· Alors bien sûr, il y a des conséquences directes sur le modèle des échanges économiques de la planète : comment un tel marché, par sa masse, sa consistance, et ses besoins, va-t-il transformer les échanges à l'échelle de la planète ? Nous y sommes confrontés dès maintenant, nous le savons, il y a là un impact considérable dans le monde économique d'un acteur qui par sa masse en transforme la réalité et l'unité.· Je crois qu'il y a aussi à regarder l'influence qu'aura la Chine dans son existence et dans sa densité culturelle, civilisationnelle, sur l'ensemble des modèles qui régulent la planète aujourd'hui. Je pense notamment à la charte des Nations Unies, qui s'est construite selon nos propres modèles et réflexions, notre culture occidentale : la charte devra-t-elle intégrer d'autres valeurs ? On se souvient de ce que disait le Premier ministre malaisien, sur la question des valeurs asiatiques. Ainsi en va-t-il aussi de l'Inde, également avec la viabilité de son modèle démocratique, économique et libéral, l'Inde facteur de stabilité, modèle utilisable ailleurs... Pourquoi le modèle de l'Union indienne n'est-il pas transposable sur l'Union africaine ? Pourquoi y a-t-il une sorte de désespérance africaine, et une sorte de viabilité indienne ? Ce sont des questions que chacun peut se poser et auxquelles il faudrait apporter des réponses.
Le continent africain, j’y viens pour finir, est la dernière inconnue structurante avec ses grands déséquilibres ; c'est là qu'il y a le plus de tensions, le plus de retards. La surchauffe démographique est à l’œuvre avec un doublement de population probable en un demi-siècle. Cette question nous intéresse très directement car chacun sait que le continent africain est lié au continent européen. Ce sont des « continents conjugués », des compartiments de l'organisation de la planète, qui ne peuvent pas totalement se déréguler chacun dans sa voie propre, leurs destins restent liés, il faut donc que nous nous intéressions beaucoup à ce continent, et au rôle que les États y jouent. Est-ce que l'Afrique peut continuer de fonctionner avec 53 ou 54 États ? Est-ce que l'Afrique ne doit pas changer aujourd'hui son modèle politique pour se développer ? C'est une question que nous devons nous poser. Voilà les grands indéterminés stratégiques qui sont les inconnues qui empêchent de penser l’avenir car leur combinaison crée des champs d’analyse d’une extrême complexité.
Pour finir, un quatrième point, les espaces communs à gérer désormais.
Nous avons commencé à épuiser les ressources des « 30%, verts », ces terres émergées de la planète, et il va nous falloir tirer demain beaucoup plus de ressources des « 70%, bleus », encore largement intacts des provisions vitales qu’offre la planète. Il va falloir sortir du « vert » des terres pour gagner le « bleu » de la mer et mieux investir ces 70% de la planète dont la gouvernance reste à partager et à organiser pour le bénéfice collectif. Et le faire ensemble. Or il y a de grandes différences structurelles entre la profondeur stratégique des 70% fluides de la planète bleue et la densité rugueuse des 30% terrestres de la planète verte auxquels l’homme est accoutumé. Va-t-on aborder les premiers avec les méthodes des seconds ? Va-t-on territorialiser le bleu, fluide par nature, avec les outils nationaux et multinationaux du droit, de l’économie et de la sociologie du vert, et le rendre ainsi plus rugueux? Va-t-on au contraire le gérer avec le souci du bien commun général et de la nécessaire coopération que crée l’interdépendance assumée? On voit bien qu’une nouvelle axiomatique émerge de la mondialisation, de ses risques, de ses enjeux et des possibilités qu’elle offre. Elle s’ordonne progressivement selon deux axes distincts, le fluide maritime et le rugueux terrestre. Le fluide, c’est bien sûr l’évidente « maritimisation du monde », devenue la clé des échanges commerciaux de la mondialisation. Mais on le retrouve aussi dans d’autres « transversalités unifiantes », la « cyberstructuration du monde », un des moteurs de son développement, la « marchandisation du monde », qu’imposent les marchés financiers, on l’a vu, mais aussi la « conscientisation du monde », fruit d’une médiatisation globalisée et annexée par les deux autres.
Dans chacun de ces domaines fluides et non administrés, il y a des enjeux de sécurité importants, des vulnérabilités fortes et des prédateurs résolus à profiter de toutes les failles pour dominer, s’approprier, asservir et à défaut détruire. Et dans chacun de ces champs, ce qui compte au fond pour tous, c’est le maintien d’un libre exercice, d’un libre accès, pour une compétition plus ou moins coopérative et régulée par la performance. Partant d’une telle approche duale du champ de la conflictualité au XXIe siècle, dans le fluide et le rugueux, on constate que les puissances maritimes, à l’abri de leur insularité, anglo-américaines en particulier mais aussi japonaise, ont acquis une grande capacité d’action et une réelle liberté de manœuvre dans le monde fluide. On remarque aussi que les puissances continentales, Allemagne, Russie et Chine, expertes dans la sécurité du monde rugueux se tournent à leur tour vers les espaces transversaux, et enfin que les puissances émergentes, Brésil, Inde, Turquie l’envisagent désormais clairement. Aujourd’hui, les tensions en mer de Chine, les frictions et prédations sur l’Internet, les accaparements du commerce océanique sont souvent portés au débit d’intérêts chinois. Comment va évoluer la gouvernance de ces biens communs, par appropriation conflictuelle, par co-développement, co-gérance ?xxxSans conclure et en rassemblant mon propos, nous avons à relever à trois défis majeurs, on l’a vu: la révolution démographique qui va s’atténuer progressivement ; l’exigence écologique, devenue un facteur clé de ce début de siècle, qu’il faut encore positiver; et l’anarchie économique liée à la financiarisation désordonnée de toutes les activités humaines qui crée un désordre planétaire. Mais nous les affrontons encore sans stratégie d’ensemble et avec une conscience diffuse de ce qu’ils impliquent pour les différentes sociétés de la planète. Ces défis dont le tempo s’accélère et les effets se combinent ne semblent plus sous le contrôle de quiconque. Ils ont ébranlé la communauté internationale au point de la faire douter qu’il puisse subsister un intérêt général ; aussi celle-ci s’attache-t-elle aujourd’hui à tenter de préserver ce qui lui semble contenir les biens communs fondamentaux d’une humanité bien en peine de se définir une feuille de route collective. Car les différentes sociétés de la planète ne sont pas toutes au même stade de développement et les besoins socioéconomiques des uns et des autres définissent des champs de priorités très variés qu’il est aujourd’hui bien difficile de corréler. De plus les expériences plus ou moins réussies des sociétés développées sont rarement modélisables et ne peuvent servir aux sociétés en développement. La cohabitation de ces expériences sur la planète et les différentes dynamiques qui les animent peuvent d’ailleurs créer de vastes espaces de friction et de dangers.
Et puis les pays dits occidentaux font aussi l’expérience cruelle des limites de leur modèle : une démocratie piégée, qui se sent à l’étroit entre des marchés qui dictent leur loi et pèsent sur l’économie et des médias qui se substituent à la politique et pèsent sur le social ; une planète financière dérégulée qui entraîne dans ses excès des acteurs qui se criminalisent et disqualifient l’effort collectif ; un Etat fragilisé par ses inerties et écartelé d’un côté entre la gestion locale des intérêts particuliers des corporations qui le composent et de l’autre les exigences supérieures des structures régionales ou globales dont il est devenu l’un des acteurs souvent impuissant. Les inconnues qui pèsent sur le développement de la planète jusqu’au palier démographique de 2075 résultent, on le voit bien, de l’accumulation de ces facteurs anxiogènes : ampleur des défis, dispersion des priorités, fragilité des modèles, incertitudes liées aux désordres observés… Voilà les pistes que je voulais vous proposer en espérant que dans 20 ans celui qui aura la tâche d’esquisser la fresque d’alors connaîtra une partie des réponses aux questions que je me pose aujourd’hui.
(1)--Conférence de l’Amiral Dr Jean DUFOURCQ le 27 mai 2015 Université d’Oran 2, Mohamed Ben Ahmed-Pole universitaire Belgaid en présence des représentants du commandement de l’ANP- de la gendarmerie na tioanle, de la DGSN, du représentant du Wali d’Oran et de la communauté universitaire