1.-Les incidences sur le prix des hydrocarbures des tensions en Ukraine et les relations Europe/Russie ?
Pour éviter toute équivoque, je m’exprime dans cette présente interview en tant qu’expert international sur l’Energie. Avec les tensions géostratégiques, l’Europe est dépendante de plus de 26% pour le pétrole et plus de 47% de la consommation de gaz premier exportateur mondial de gaz naturel ont fait flamber le prix du pétrole qui a été coté le 02 mars 2022, 112,65 dollars pour le Brent et 110,45 dollars pour le Wit. les prix, selon l’indice «TTF», à plus de 35 dollars par million d’unités thermiques britanniques l’équivalent de 200 dollars le baril sur la base d’un pouvoir calorifique. Les trois plus grands producteurs mondiaux qui ont une influence sur le prix du pétrole sont les Etats Unis, la Russie et l’Arabie Saoudite avec entre 10/11 millions de barils/j. Pour le gaz traditionnel les plus grandes réserves mondiales sont détenues par la Russie 45.000 milliards de mètres cubes gazeux, l’Iran 35.000 et le Qatar plus de 15.000. La Russie possède 6,4 % des réserves mondiales de pétrole et surtout 17,3 % des réserves de gaz naturel étant le second producteur mondial de gaz derrière les États-Unis, mais est le premier pays exportateur au monde, l'économie russe étant très fragile parce que ses exportations sont peu diversifiées, étant fortement dépendante des hydrocarbures (gaz et produits pétroliers) qui représente 25 % de la richesse produite (PIB) et 57 % de ses exportations. Selon la société de conseil Enerdata , l’Union européenne est le troisième plus gros consommateur d’énergie du monde en volume, derrière la Chine et les Etats-Unis, la consommation énergétique primaire s’étant élevée à 1,3 milliard de tonnes d’équivalent pétrole en 2019 pour environ 447 millions d’habitants, contre 2,2 milliards aux Etats-Unis pour 333 millions d’habitants la même année, Plus de 70 % de l’énergie disponible européenne est d’origine fossile : le pétrole (36 %), le gaz (22 %) et le charbon (11 %) dominent ainsi les autres sources d’énergie, même si leur part dans le mix en Europe a diminué de 11 points depuis 1990. A l’inverse, les énergies renouvelables représentaient plus de 22 % de la consommation finale d’énergie dans l’UE en 2020, contre 16 % en 2012.avec une extrapolation de 50% horizon 2030. Selon Eurostat , les principaux fournisseurs de l'UE entre 2020/2021, étaient la Norvège (20 %), l'Algérie (11 %, d’autres), les Etats-Unis (6%) et le Qatar (4 %) et le plus grand fournisseur étant la Russie avec 46/47% avec des disparités pour le gaz russe : l’Allemagne (66%), l’Italie 45% avec une percée de l’Algérie , la Bulgarie (75%), la Slovaquie (85%), l’Estonie (93%) la Finlande (97,6%) ou encore la Lettonie et la République tchèque (100% Italie 45% . D'autres pays sont moins dépendants comme les Pays Bas 26%, la France 17% grâce au nucléaire, l’Espagne 10%, l’Algérie étant un acteur dominant et la Slovénie 9%.. Selon certains experts de l’Union européenne, une diminution, voire un arrêt total, des livraisons de gaz russe serait fort dommageable pour de nombreux pays européens, les alternatives existant mais coûteuses existent avec un pic inflationniste dû à l’envolée des prix des produits énergétiques mais également de bon nombre de produits alimentaires dont la Russie et l’Ukraine sont de gros exportateurs pour le blé 30% du marché mondial. Aussi, malgré une intensification des échanges gaziers avec la Chine , comme le fameux gazoduc « Power of Siberia » environ 2000 km dont le coût provisoire , pour une capacité en 2022-2023 de 38 milliards de m3 par an, soit 9,5 % du gaz consommé en Chine et l’importance de ses réserves de change estimées par la banque centrale du 15 au 22 octobre 2021 à 621,6 milliards de dollars , cette situation des retombées négatives sur la Russie, les exportations gazières vers l'Europe représentant à elles seules entre 15/20 % du PIB russe, En bref, il faut être réaliste, étant utopique à court terme de substituer le gaz russe par d’autres partenaires pour l’Europe l’investissement hautement capitalistique étant lourd et à maturation très lente, malgré le gel du Stream2 d’une capacité de 55 milliards de mètres cubes gazeux d’un coût supérieur à 11 milliards de dollars
2.-Les incidences des sanctions économiques ?
Les finances sont le nerf de la guerre, où en ce XXIème siècle , ce ne sont plus les opérations militaires mais les retombées économiques qui déterminent la puissance d’une Nation. L 'éviction du système SWIFT et le blocage du système de messagerie interbancaire, imposée par les pays occidentaux , bien que certaines banques continuent dans les transactions pour le gaz sous pression de l’Allemagne, a conduit Moscou à étudier des alternatives vers le système de paiement interbancaire transfrontalier (CIPS) ; qui a été développé par la Chine en 2015, le système de paiement CIPS étant principalement utilisé pour régler les crédits internationaux en yuan et les échanges liés à l'initiative "Belt and Road", agissant comme un système alternatif au traditionnel Swift créé en 1973, bien qu'il n'en soit pas encore totalement indépendant. Ces sanctions économiques ont un impact négatif sur l’économie russe dont le rouble en 24h du 01 mars 2022, a chuté de plus de 30% mais parallèlement, il y a en Europe des milliards de dollars de dette russe détenus par les banques européennes avec l’arrêt des les intérêts sur cette dette ne seraient plus payés, qui a un coût ne devant donc pas sous-estimer les conséquences que cela aura sur l'économie européenne avec en plus l’accélération du processus inflationniste où le taux en France par exemple risque de dépasser la barre des 5% en 2022, avec d’importantes incidences budgétaires via les incidences sociales sur le pouvoir d’achat en Europe où le taux en France par r exemple risque de dépasser la barre des 5%. Par ailleurs , pour exporter son gaz et son pétrole que pour contourner des sanctions financières, Moscou la Russie peut se tourner vers la Chine où les relations commerciales de Pékin et de Moscou étant régies à 17,5 % par le yuan contre 3,1 % en 2014, donc étant encore marginales bien qu’en progression. La Russie également exemple vendre une partie des yuans représentant 13% environ des devises possédées par la Banque de Russie et pourrait vendre une partie de son stock d'or, 2.299 tonnes, le cinquième plus gros au monde.
3.- Qu’en est-il pour le bilan de Sonatrach en 2021 ?
Sonatrach a dressé un bilan provisoire des réalisations de l'année 2021, les premiers indicateurs de production révélant une augmentation de près de 5% de la production d'hydrocarbures, qui passe de 175,9 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP) en 2020 à 185,2 millions de TEP en 2021.Pour ce qui est du volume de production au niveau des unités de raffinage, nous avons une stabilité de l'ordre de 27,9 millions de TEP en 2021, contre 27,8 millions en 2020. S'agissant de la production de gaz naturel liquéfié (GNL), Sonatrach a réalisé en 2021 une progression de 14%, le niveau de production ayant atteint 26,3 millions de m3 en 2021 par rapport à la quantité produite en 2020 (23,1 millions de m3), tout en ayant couvert les besoins du marché national, estimés à 64 millions de TEP en 2021, soit une augmentation de 9% par rapport à 2020, avec une baisse importante des quantités importées (-70%), passant de 859.000 TEP en 2020 à 255.000 tonnes en 2021. En ce qui concerne les niveaux d’exportations, le bilan a fait état d’une augmentation significative de 18% entre 2020 et 2021, ce qui a permis d'accroître les quantités exportées de 80,7 millions de TEP fin 2020 à 95 millions en 2021 pour une recette ( à ne pas confondre avec le profit net devant déduire les coûts ) en 2021, d'une valeur dépassant 34,5 milliards USD (contre 20 Mds USD en 2020), USD. Afin de développer les capacités nationales de production, en vue de répondre aux besoins internes qui enregistrent une croissance annuelle de 5%, ainsi qu'aux engagements contractuels avec les différentes partenaires, notamment en Europe et en Asie, il est prévu que Sonatrach investit 40 milliards de dollars à l'horizon 2026, dont 8 Mds USD en 2022.
4.- Sonatrach peut-elle fournir davantage de gaz à ses partenaires européens ?
La déclaration récente du PDG de Sonatrach a été mal interprétée car elle contient des nuances que la presse internationale n’a pas mis en relief, je le cite . « les appoints en gaz naturel et/ou en GNL vers l’Europe sont tributaires de la disponibilité de volumes excédentaires après satisfaction de la demande du marché national, de plus en plus importante, et de ses engagements contractuels envers ses partenaires étrangers » .L'Algérie est connue pour produire du gaz moins cher que le gaz russe et plus facile à transporter, mais, cela nécessite un investissement important dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant- avec les firmes étrangères, afin de développer les infrastructures nécessaires pour le transporter à grande échelle. Pour l’Algérie, en s’en tenant aux données officielles, les réserves de pétrole sont estimées selon, la déclaration officielle du ministre de l’Energie (source APS décembre 2020) à environ 10 milliards de barils et les réserves de gaz à environ 2500 milliards de mètres cubes pour le gaz traditionnel. Les exportations, à ne pas confondre avec la production (et tenant compte d’un pourcentage d’injection de gaz dans les puits pour maintenir leurs activités , la différence étant la consommation intérieure) à ne pas confondre avec la production pour 2020/2021 ont fluctué entre 450.000/500.000 barils/j contre environ 1 million de baril d’exportation vers les années 2007/2008, et 40 milliards de mètres gazeux d’exportation en 2020 et 42/43 en 2021 (33% GNL et 67% par canalisation). La première destination du gaz algérien reste le marché européen, essentiellement l'Italie (35%), l'Espagne (31%), la Turquie (8,4%) et la France (7,8%). Mais existent des limites économiques, l’Algérie étant confrontée à deux contraintes majeures, la forte consommation intérieure et la concurrence de nombreux acteurs. Pour les canalisations nous avons le TRANSMED, la plus grande canalisation d’une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes gazeux via la Tunisie, le MEDGAZ directement vers l’Espagne à partir de Beni Saf au départ d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux qui après extension depuis février 2022 a une capacité qui a été portée à 10 milliards de mètres cubes gazeux et le GME via le Maroc dont l’Algérie a décidé d’abandonner , le contrat s’étant achevé le 31 octobre 2022, d’une capacité de 13,5 de milliards de mètres cubes gazeux. En ce mois de mars 2022, le constat est que les exportations sont toujours dominées par les hydrocarbures y compris les dérivées ,pour le bilan 2021, 34,5 milliards de dollars dont 2,5 de dérivées comptabilisées dans la rubrique des 4 milliards de dollars hors hydrocarbures par le Ministère du commerce soit environ 98% des exportations totales et en mars 2022, Sonatrach c’est l’Algérie et l’Algérie c’est Sonatrach irriguant l’ensemble du corps économique et social : taux de croissance, taux d’emploi, niveau de l’inflation , réserves de change en basse 194 milliards de dollars au 01 janvier 2014 et ayant terminé au 31/12/2021 à environ 44 milliards de dollars. Aussi, dans cette conjoncture, elle ne peut augmenter substantiellement les volumes , peut être entre 3⁄4 milliards de mètres cubes gazeux à travers le Transmed via l’Italie où ‘’Algérie exporte 22 milliards de mètres cubes vers l’Italie sur une capacité du gazoduc de 33,5 milliards, il reste 11 milliards de mètres cubes supplémentaires qui peuvent être acheminés sans investissements dans l’immédiat mais Sonatrach est confronté plusieurs contraintes : des contrats de gaz fixes à moyen et long terme dont la révision des clauses demandent du temps ; le désinvestissement dans le secteur rendant urgent la promulgation des décrets de la nouvelle loi des hydrocarbures pour attirer les investissements étrangers, tenant compte de la forte concurrence étrangère et surtout de la forte consommation intérieure qui risque horizon 2025/2030 de dépasser les exportations actuelles ,dossier lié à la politique des subventions sans ciblage.
5.- Avec ces tensions, quelle est la collaboration de Sonatrach avec Gazprom ?
La position de l’Algérie est une position de neutralité entretenant des relations diplomatiques cordiales tant avec les USA et l’Union européenne qu’avec la Russie et la Chine et Sonatrach est guidé essentiellement par une position purement commerciale pour honorer ses engagements internationaux . Rappelons l’abandon du projet de Galsi de l’Algérie vers l’Italie de l’Algérie d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux , Gazprom ayant fait capoter le projet ayant fait pression sur les élus de la Sardaigne car dans la pratique des affaires n’existent pas de sentiments . La Russie et l'Algérie ont signé un accord de partenariat stratégique en 2001 pour une coopération dans divers secteurs dont l'énergie. Sonatrach travaillent en étroite collaboration avec des compagnies américaines, européennes ,russes , et chinoises à l’approvisionnement du marché gazier en pleine expansion. Existent un partenariat au niveau du périmètre d’El Assel situé dans la région du bassin de Berkine à 250 km au sud-est de Hassi Messaoud et a fait l’objet d’un contrat de recherche et d’exploitation en partenariat entre Sonatrach (51% de parts) et Gazprom EP International B.V. (49% de parts). Le 02 février 2022, Sonatrach a annoncé la réalisation d’une étape importante, avec son partenaire Gazprom EP International B.V., dans le cadre du contrat de recherche et d’exploitation d’hydrocarbures pour le développement optimal des ressources en gaz découvertes au niveau des champs de Rhourde Sayeh et Rhourde Sayeh Nord (périmètre d’El Assel), et ce, à travers la réalisation d’opérations de forage de 24 nouveaux puits ainsi que la réalisation d’une unité de traitement pour la production de gaz naturel, de condensats et de GPL qui seront acheminées à travers le réseau de transport existant de Sonatrach », précise la même source, en ajoutant que que « l’entrée en production de ce projet est prévue courant 2025.
6-Quelles solutions durables des relations énergétiques entre l’Europe et l’Algérie ?
Nous avons la possibilité d’exploiter le pétrole/gaz de schiste dossier que j’ai eu l ‘honneur de diriger pour le compte du gouvernement remis le 15 janvier 2015, sous le titre assisté des cadres de Sonatrach et 20 experts internationaux, « opportunités et risques « dont l’Algérie est le troisième réservoir mondial avec environ 20.000 milliards de mètres cubes gazeux. Mais étant un dossier complexe , cela nécessite comme l’a souligné le président de la république Abdelmadjid Tebboune, de lourds investissements et un dialogue social et des nouvelles techniques appropriées autres que telles que celles existantes de la fracturation hydraulique, afin de protéger l’environnement et ne pas polluer les nappes phréatiques dans le sud du pays. Nous avons le gazoduc Nigeria Europe via l’Algérie d’une capacité d’environ 33 milliards de mètres cubes gazeux , toujours en négociation mais dont la faisabilité ne peut se faire sans l’accord de l’Europe principal client évalué à environ 20 milliards de dollars en 2020, pour une durée de réalisation minimum de cinq années. Mais existent également d’autres alternatives, tant pour l’Europe que pour l’Algérie qui est surtout l’accélération de la transition énergétique. Le premier axe est d’améliorer l’efficacité énergétique car comment peut-on programmer 2 millions de logements selon les anciennes normes de construction exigeant de fortes consommation d’énergie alors que les techniques modernes économisent 40 à 50% de la consommation.. Le second axe est le développement des énergies renouvelables devant combiner le thermique et le photovoltaïque dont le coût de production mondial a diminué de plus de 50% et il le sera plus à l’avenir. Or, la réalité est amère pour les énergies renouvelables, malgré des discours et de nombreux séminaires, en Algérie représentent moins de 1% en 2021 au sein de la consommation globale Or, avec plus de 3000 heures d’ensoleillement par an, l’Algérie a tout ce qu’il faut pour développer l’utilisation de l’énergie solaire et à travers des systèmes de connexions être un grand exportateur d’énergie solidaire vers l’Europe. La promotion des énergies renouvelables suppose des moyens financiers importants en investissement et en recherche-développement afin de réaliser le programme du gouvernement qui consiste à installer une puissance d’origine renouvelable de près de 22000 MW d ’ici 2030, l'objectif étant de produire, 30 à 40% de ses besoins en électricité à partir des énergies renouvelables surtout avec la forte consommation intérieure, la différence , afin de pouvoir exporter le gaz traditionnel. Le troisième axe selon les experts, horizon 2030/2040, est le développement de l'hydrogène comme source d’énergie enrichissant le « mix » ou le bouquet énergétique mondial, pour le transport et le stockage des énergies intermittentes et pourrait aussi permettre de produire directement de l'énergie tout en protégeant l’environnement , l’hydrogène en brûlant dans l’air n’émettant aucun polluant et ne produisant que de l’eau.
Synthèse de réponses données à l’hebdomadaire Jeune Afrique, le Monde.fr –AfricapresseParis et à la télévision BeurTVParis
Abderrahmane MEBTOUL : Professeur des Universités (Docteur d’Etat 1974, expert comptable de l'institut supérieur de gestion de Lille France) expert international, Directeur d'Études (Ministères Energie/Sonatrach 1974/1979-1990/1996-2000/2007