Mohamed Ould el Bachir
La plus haute louange d’un expert universitaire est dans ce qualificatif ''digne d’intérêt’’, comme une valeur sûre.
De ce point de vue, la personnalité, l’itinéraire révolutionnaire et le parcours diplomatique de Mohamed Seddik Benyahia (né le 30 janvier 1932 à Jijel) constituent immanquablement un legs historique méritant l’intérêt, le questionnement et l’étude et devrait inciter davantage de diplomates et d’intellectuels à lire son héritage.
Parce que prestigieuse, la diplomatie algérienne avait dès le départ eu la chance de compter dans ses rangs, à l’instar de Benyahia, un nombre relativement important d’hommes d’envergure et de cadres de qualité. Tous s'employèrent à faire du ministère des Affaires étrangères un outil efficace au service de l'Etat.
Je n’étais pas encore en mesure de comprendre les choses diplomatiques, quand Mohamed Seddik Benyahia monopolisa mon attention.
Le 30 mai 1981, à Bamako, il a échappé miraculeusement à la mort dans le crash, en pleine brousse, de l’avion qui le transportait. Peu après, j’écoutais la radio, quand un communiqué annonça la bonne nouvelle. Ce jour-là, la mort n’était pas au rendez-vous. Un berger avait retrouvé l’épave au milieu de la brousse, à son bord, Benyahia blessé, coincé dans son siège. A ses côtés, son secrétaire général, en état de choc, le commandant de bord blessé également coincé, et trois membres d’équipage décédés.
Il est peut - être difficile pour moi, à l’époque, de mesurer le retentissement d’une telle nouvelle. Mon statut ne me permettait pas de cerner la valeur de Benyahia, diplomate chevronné, mais, avant tout, militant patriotique, dévoué dès son jeune âge à la cause nationale, et dont le nom avait en outre une forte connotation politique.
Dans une Algérie où les valeurs de novembre avaient encore beaucoup d’influence, le militantisme de Benyahia au cours des vingt dernières années de sa vie lui valait, en effet, le double surnom très plaisant de «renard du désert», que l’opinion algérienne a réservé à un de ses dignes fils qui ont porté haut sa cause, en raison justement de ses capacités de persuasion et de sa maturité d’esprit, et de " petit Benyahia", comme aimaient à l’appeler ses compagnons, en raison de sa silhouette frêle et sa corpulence fragile.
Le récit détaillé de la mort de Benyahia était dans les kiosques, dans une des éditions du journal El Moudjahid, qui donnait le ton : ‘’ Le routier de la diplomatie, à la subtilité à fleur de peau, et au regard perspicace, doté d’une volonté inébranlable, ne survivra pas à un autre accident et décède le 3 mai 1982 dans le crash de son avion à la frontière entre l’Irak et la Turquie, avec lui, une délégation du MAE, composée de 15 cadres. Ce triste événement a mis fin à une vie au service de la patrie’’.
Les titres, photos et articles consacrés à sa mort tragique couvraient plus de la moitie des ‘unes’ des journaux de la presse nationale et internationale. Les liaisons téléphoniques et télégraphiques crépitaient , ce jour - là , de capitale en capitale, d’Alger à Pékin , de Moscou à Paris, de Rome à New York, de Berlin à Londres, de Ryad à Rabat , partout où des hommes et des femmes aiment et recherchent la paix.
En attendant que l’Histoire livre tous ses secrets, il nous revient de rendre à Benyahia toute la place qu’il mérite dans la glorieuse histoire de la diplomatie algérienne, dont le Ministre Abdelkader Messahel en fait un devoir institutionnel avec la promotion de l’IDRI et ne rate de ce fait aucune occasion pour rendre aux icones diplomatiques algériennes un vibrant et solennel hommage.
De cet itinéraire, l’on retient ses études en droit à l'université d'Alger et son inscription en 1953 au barreau d’Alger, avant d’assurer, deux ans plus tard, la défense de Rabah Bitat, incarcéré à la prison de Barberousse.
En juillet 1955, il fonda avec ses compagnons, dont Belaïd Abdeslam et Benbaâtouche, l’UGEMA (l’Union générale des étudiants musulmans algériens). En août 1956, il est désigné, au Congrès de la Soummam, membre suppléant du CNRA et avec la création du GPRA, il occupera le poste de Directeur de cabinet de Ferhat Abbas, pour ensuite représenter l’Algérie à la conférence des étudiants afro-asiatiques à Bandoeng.
Benyahia a également été le représentant permanent de l’Algérie en armes au Caire, aux Nations unies (en 1957), à Accra (1958), à Monrovia (1959), en Indonésie et ailleurs.
Grâce à lui, l’insertion internationale du FLN, déjà acquise à la Conférence de Bandoeng, est affirmée et étendue.
Le 21 juin 1960, le GPRA envoie trois émissaires, Mohamed Benyahia, Hakimi Ben Amar, Ahmed Boumendjel, pour rencontrer à Melun le général Robert de Gastines (officier de cavalerie), le colonel Mathon (cabinet militaire de Michel Debré) et Roger Moris (ancien contrôleur civil au Maroc) qui doivent préparer de futurs entretiens de Gaulle-Ferhat Abbas.
Dans ce processus, notre diplomate avait, plus d’un trait : une intégrité à toute épreuve et un esprit pondéré. Il y eut Melun, puis le premier et le second Evian. Benyahia est toujours là.
M. Rédha Malek a ainsi relaté et analysé les compétences tactiques de Benyahia et son intelligence diplomatique le long des négociations. «L’homme, hors norme, a marqué de son empreinte les négociations d’Evian», a-t-il soutenu.
Au lendemain de l’indépendance, l’homme au verbe caustique, comme aimait à le décrire l’historien Mohamed Harbi, est nommé tour à tour ambassadeur à Moscou puis à Londres jusqu’à 1966, ministre de la Culture et de l’information, de 1966 à 1970, avant de prendre en main le département de l’Enseignement supérieur.
Après ce passage remarqué, Benyahia est désigné ministre des Finances, pendant deux années, avant de faire les beaux jours de la diplomatie algérienne, lorsqu’il prenait en main, en 1979, les rênes du ministère des Affaires étrangères.
Sans doute l’affaire de la prise d’otages de 52 Américains détenus en Iran, en étant avec d’autres compagnons les vrais artisans de leur libération, en janvier 1981. Un coup de maître qui confirmera, dès lors, le respect international pour ce fin diplomate.
Au même titre que Si Rahal Abdellatif, son apport fut aussi de doter l’appareil diplomatique d’une grande fonctionnalité organisationnelle n’hésitant pas à confier des postes de responsabilité à de jeunes compétences diplomatiques.
L’expérience diplomatique de Benyahia se développera avec ces nombreuses activités. Sa culture politique s’étend. Ses connaissances du droit international s’approfondissent. Son sens de la négociation s’affirme, disent ceux qui l’ont connu.
De manière générale, Benyahia fut de tous les sommets des Non-alignés, de toutes les réunions internationales importantes où les pays débattaient de leurs problèmes et tentaient de faire entendre leurs voix sur la scène internationale.
Cependant, si brillante fut-elle, de l’avis de tous ceux qui l’ont connu, la carrière diplomatique de notre personnage ne fut qu’un volet, certes important, de sa vie politique. Il fut à la fois un leader d’opinion, un manager, un intellectuel et un grand commis de l’Etat. Mais, plus encore, ce fut un homme engagé dans la renaissance de la nation algérienne.
En outre, la vie de Benyahia était depuis toujours faite d’engagement politique total, de réflexion et d’action. Sa place dans l’histoire diplomatique algérienne reste donc à mettre en relief avec celle des autres figures de proue de l’Ecole diplomatique d’Abdelaziz Bouteflika.
Mohamed Ould El Bachir (Universitaire)