Par Mohamed Ould El Bachir
« Si tu veux aller loin, vas-y seul. Si tu veux y arriver, fais-le à plusieurs. » . Cette sagesse d’inspiration africaine a accompagné tout l’itinéraire de l’ambassadeur Mohamed Sahnoun, qui reste, disent les connaisseurs des arcanes du Ministère des Affaires étrangères, parmi ces icones diplomatiques algériennes d’envergure internationale engagées au service de la paix, dont l'éloquence élégante, la formule juste, le jugement sûr et souvent mordant ne laissent pas indifférent.
Loin d’Alger depuis plusieurs mois, c’est avec une grande tristesse que j’ai appris le décès le 20 septembre à Paris, en France, de l’ancien ambassadeur Mohamed Sahnoun, à l’âge de 87 ans.
A l’instar du Ministre Abdelkader Messahel, qui a eu l’honneur et le privilège de servir sous sa brillante et bienveillante direction, bien des diplomates de renom se sont évertués à brosser son portrait. Mais tous ont reconnu la singularité de l’homme d’Etat, son rôle prééminent en faveur de la paix et de la réconciliation et sa position incontournable dans le développement des dialogues interculturels et inter- religieux.
A l’heure où le monde est secoué par les extrémismes de tous bords, la lecture de son parcours nous invite à se rendre à l’évidence du besoin pressant de tolérance pour l'humanité qui s'enfonce de plus en plus aujourd'hui dans le bourbier des extrémismes.
Très attaché au dialogue, Mohamed Sahnoun s’est élevé avec force contre l’idée du choc des civilisations, déclarant par exemple : « Comme je le disais à Samuel Huntington lors d'une discussion à Washington, il n'y a pas de tel choc. Prenez la Somalie : d'un point de vue religieux, les Somaliens sont plus ou moins sur la même longueur d'onde. Mais en raison d'une insécurité totale, ils se rangent en sous-clans. C'est pourquoi je veux développer le dialogue interculturel et inter- religieux. »
C'est ce diplomate chevronné qui a tant donné pour son pays que je m’efforce ci-dessous à vous brosser à grands traits sa biographie.
Après des études au lycée franco-musulman à Alger, il se destinait à faire de la sociologie, et souhaitait compte tenu de ses valeurs universelles un changement dans le monde. Il avait des amis au Parti communiste et à Témoignage chrétien. À Paris, il a fait connaissance avec l'écrivain Kateb Yacine et le peintre Issiakem, des gens qui parlaient un langage universaliste.
Au cours de sa longue carrière de diplomate, Mohamed Sahnoun transcendera sa blessure intime au service de la paix. Les tragédies ont endurci le médiateur professionnel sans aigrir l'homme ou le rendre cynique.
Ses références sont toujours indiennes, dont notamment le Mahatma Gandhi, celui qui préconisait la non-violence.
Sur le plan institutionnel, l’on note qu’il a été de novembre 1962 à juin 1963 directeur de la direction des «3A» (Afrique, Asie, Amérique latine) au ministère des Affaires étrangères.
Il a été ensuite ambassadeur d’Algérie dans plusieurs pays dont l’Allemagne (1975-1979), la France (1979-1982), les Etats-Unis (1984-1989) et le Maroc (1989-1990), sans oublier sa désignation en tant que de Chef de la mission de l'Algérie auprès des Nations unies (1982-1984).
Diplomate émérite, il a été Secrétaire général adjoint de l'OUA (1964–1973), Secrétaire général adjoint de la Ligue des États arabes chargé du dialogue entre les pays arabes et les pays africains (1973 – 1975), Conseiller principal du secrétaire général de la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement (CNUED), Représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour la Somalie (avril à novembre 1992). À ce poste, il atteint des résultats remarqués, mais le programme de pacification de la région piloté par l’ONU est interrompu par l’impatience américaine à déclencher une opération de pacification militaire.
Représentant spécial du Secrétaire général de l'OUA pour le Congo (1993), il est ensuite nommé Conseiller spécial du directeur général de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) pour le Programme pour une culture de la paix (1995-1997) et ensuite Représentant spécial des Nations unies pour la région des Grands lacs africains auprès de l'Organisation de l'Unité africaine (1997).
Dans le sillage de ses activités notamment dans le cadre de sa Présidence d’Initiatives et Changement International, organisation non gouvernementale basée en Suisse qui promeut la pratique du dialogue, le changement des comportements et le rétablissement de la confiance interpersonnelle afin de promouvoir la paix, la bonne gouvernance et une économie juste et durable, il publie un livre en anglais intitulé : « Somalia: The Missed Opportunities (Somalie : les occasions manquées) dans lequel il analyse les raisons de l'échec de l'intervention de l'ONU en Somalie en 1992. Il montre que, entre le début de la guerre civile en 1988 et l'effondrement du régime de Siad Barre en janvier 1991, les Nations unies ont manqué au moins trois occasions de prévenir des drames humanitaires majeurs.
En 2007, Mohamed Sahnoun a également publié un livre largement autobiographique, Mémoire blessée.
Coauteur de « la responsabilité de protéger», Mohamed Sahnoun insiste sur la nécessité de cultiver « l'amour de l'autre ».
Tout au long de sa carrière diplomatique, il met en œuvre ces idées, cherchant à établir un dialogue entre les communautés, en particulier lorsque les pays africains sont confrontés aux problèmes posés par les frontières héritées de la colonisation.
C'est effectivement cette approche qui permet le mieux d'approprier le sens de ses actions et leur valeur d’appréciation.
Mohamed Ould El Bachir (Universitaire)