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Les enjeux énergétiques et leurs impacts géostratégiques en Méditerranée (2020/2030)

23-01-2017 13:33  Pr Abderrahmane Mebtoul

Les dynamiques économiques modifient les rapports de force à l’échelle mondiale et affectent également les recompositions politiques à l’intérieur des États comme à l’échelle des espaces régionaux. L’énergie, particulièrement, est au cœur de la souveraineté des États et de leurs politiques de sécurité. L'énergie peut dynamiser les régions de la Méditerranée, C’est dans ce cadre que rentre cette modeste contribution  posant l'urgence d'une transition énergétique maîtrisée. Car, si l’humanité généralisait le mode de consommation énergétique des pays riches, il nous faudrait les ressources de 4 ou 5 planètes d’où l’urgence d’un nouveau modèle de consommation à l’échelle mondiale qui pose la problématique de l'efficacité énergétique) et un consensus social, les choix techniques d’aujourd’hui engageant la société sur le long terme: combien coûte cette transition , combien ça rapporte et qui en seront les bénéficiaires ?

 

1.- Favoriser les  interconnexions en Méditerranée

 

Les interconnexions électriques en Méditerranée peuvent être un facteur  de co6développement. La dépendance énergétique de l’Europe est d’environ (53 %). Une communauté méditerranéenne de l’énergie, c’est possible où les liens commerciaux sont importants. Les pays du sud de la Méditerranée exportent environ 80% du gaz et 60% du pétrole vers l’Europe. Les besoins électriques sont complémentaires: la pointe de consommation d’électricité en Europe (France, Allemagne, Pays du Nord…) se situe généralement en hiver, alors que dans les pays du Sud, compte tenu des systèmes de refroidissement (appelés à se développer avec l’amélioration du niveau de vie), elle se situe en été. En Algérie, selon une étude de Medgrib, l’acquisition des turbines nécessaires pour satisfaire cette pointe de consommation coûterait plus cher que l’interconnexion avec les réseaux du Nord qui, compte tenu des vacances et des températures clémentes, sont alors peu chargés. Nous savons par ailleurs que le sud de la Méditerranée est mieux placé que le nord pour exploiter les énergies renouvelables. L’ensoleillement y est deux fois plus important. Quant à l’éolien terrestre, il y a des sites extrêmement favorables, notamment sur la bordure atlantique et aussi en Algérie et au Maroc, avec des durées de fonctionnement qui sont sensiblement le double de celles des sites allemands ou français. Ainsi il est très souhaitable d’échanger de l’électricité tantôt dans un sens tantôt dans l’autre: l’électricité conventionnelle de l’Europe vers l’Afrique dans les périodes d’été; l’électricité d’origine renouvelable de l’Afrique vers l’Europe dans les périodes d’hiver. Les interconnexions correspondantes permettront en outre de mieux gérer les problèmes d’intermittence inhérents au solaire et à l’éolien car, lorsque les productions du Sud seront insuffisantes, l’Europe pourra fournir le complément en électricité traditionnelle. On peut envisager l’utilisation de lignes à courant continu qui permettent de réduire les pertes à environ 3% pour mille kilomètres; Dès lors, l’électricité ainsi produite coûte deux fois moins cher au sud qu’au nord, ce qui la met sensiblement au niveau des prix moyens pratiqués sur les marchés européens. Toutes les conditions de base sont donc réunies pour que l’Afrique produise massivement des énergies renouvelables et envisage des programmes ambitieux. Les échanges énergétiques entre les deux rives de la Méditerranée doivent donc s’envisager dans le cadre de la transition énergétique qui s’impose de par la rareté des ressources. Les marchés aussi bien au Nord qu’au Sud devraient croître à un rythme de plus de 7% au Sud et 2 à 3 % au Nord. Le mix énergétique de demain sera à forte dominance électrique, puisque selon Shell, le marché de l’électricité devrait augmenter de prés de 80%  horizon 2040. Les énergies fossiles vont aller en décroissant, certes plus rapidement pour le pétrole. Cependant sans une rationalisation dans l’utilisation du gaz, la décroissance devrait aussi s’accélérer, bien que les ressources en Pétrole et gaz sont dominantes. Il est important de savoir que le solaire thermique pour l’exportation ,  combiné au photoltaique pour les besoins de consommation internes  devrait représenter la ressource la plus importante pour la génération électrique. L’hybridation avec le gaz devrait lui permette d’ores et déjà d’être compétitif avec les alternatives comme le nucléaire. En effet l’hybride dans des cas précis est en mesure aujourd’hui de réaliser un coût de production très compétitif. Les autoroutes électriques en courant continu pour traverser la Méditerranée vont servir à satisfaire les besoins grandissants de la cote méditerranéenne de l’Europe. La supraconductivité achevée par un refroidissement à l’hydrogène liquide sera la solution à moyen terme pour satisfaire les besoins de l’Europe du Nord. En effet des pipes transportant de l’Hydrogène liquide permettront de transporter aussi de l’électricité dans des câbles supraconducteurs. L’hydrogène pour sa part sera produit par un craquage de l’eau en utilisant du solaire thermique à 1300 °C. Les premiers résultats laissent envisager des suites prometteuses. Il est entendu qu’il faille être réaliste, à court et moyen terme, les fossiles traditionnels seront encore déterminants au vu des nouvelles découvertes notamment en Méditerranée. L’énergie apparaît donc aujourd’hui comme un puissant facteur de coopération et d’intégration entre les deux rives de la Méditerranée. Le climat et l’énergie peuvent donc fournir le lien structurant qui permettra non seulement de concrétiser l’orgueil culturel méditerranéen dans la conception et la réalisation d’une suite de projets concrets, mais aussi de préparer l’élaboration d’un concept stratégique euro-africain. Certes, existent des limitations technologiques actuelles qui interdisent d’installer des câbles électriques à très haute tension lorsque les profondeurs dépassent 2000 mais qui peuvent être contournées comme par le Détroit de Gibraltar ou au niveau de la Sardaigne.

 

 2.-Les mutations énergétiques en Méditerranée

 

 Mon ami , le polytechnicien  Jean Pierre Hauet de KP Intelligence ( France)  note avec justesse  que « les marchés de la filière énergie - situation et perspectives que c’est que depuis à peine 10 ans, la scène énergétique s’anime à nouveau en Méditerranée avec au moins trois grands champs de manœuvre dont il est intéressant d’essayer de comprendre les tenants et d’anticiper les aboutissants. Il y aurait  trois théâtres d’opérations. Le premier théâtre est celui des énergies renouvelables (éolien, solaire à concentration, photovoltaïque) qui s’est caractérisé par le lancement de grandes initiatives fondées sur l’idée que le progrès technique dans les lignes de transport à courant continu permettrait de tirer parti de la complémentarité entre les besoins en électricité des pays du Nord et les disponibilités en espace et en soleil des pays du Sud. On parlait alors de 400 M€ d’investissements et de la satisfaction de 15 % des besoins européens en électricité. Aujourd’hui le projet Desertec est plutôt en berne, du fait notamment du retrait  de grands acteurs industriels, Siemens et Bosch, et du désaccord consommé  entre la fondation Desertec et son bras armé industriel la Desertec Industrial Initiatitive (Dii). La Dii poursuit ses ambitions d’intégration des réseaux européens, nord-africains et moyen-orientaux, cependant que la Fondation Desertec semble à présent privilégier les initiatives bilatérales au Cameroun, au Sénégal et en Arabie Saoudite. Le deuxième théâtre d’opérations est plus récent : il a trait à la découverte à partir de 2009, de ressources pétrolières et gazières en off shore profond, dans le bassin levantin en Méditerranée Est. Israël est le premier à avoir fait état de découvertes importantes sur les gisements de Dalit, Tamar et plus récemment de Léviathan. Ce dernier gisement, localisé sous la couche de sels messinienne, semble très important. Des forages sont en cours afin d’aller explorer les couches encore plus profondes qui pourraient contenir du pétrole. Chypre  et la Grèce ont également trouvé des réserves apparemment considérables de gaz, toujours dans le même thème géologique qui était resté largement inexploré jusqu’à présent. Toujours selon l’auteur, Chypre, la Grèce et Israël ont reconnu leurs zones économiques exclusives en Méditerranée et le 8 août 2013 ont signé un mémorandum sur l’énergie qualifié d’historique, incluant notamment la construction d’une usine de GNL à Limassol et réalisation d’un câble de 2 000 MW entre Chypre et Israël. Le troisième théâtre d’opérations a trait à la prospection et à la mise en valeur éventuelle des gaz de schiste dont il faut el rappeler le premier producteur sont les Etats Unis d’Amérique qui ont réussi à réduire depuis trois années les couts d’environ 50% les grands gisements sont rentables à un cours variant entre 40/50 dollars et les marginaux, un cours  de 55/60 dollars..

 

3,-L'énergie au service du développement

 

L’objectif stratégique est de mettre l'énergie au service de la croissance et de l’emploi des deux rives de la Méditerranée et de l’Afrique. Face aux bouleversements géostratégiques récents, doit être posé tant pour l’Algérie, le Maghreb   et l’Europe, la problématique de la sécurité dans la zone sahélo-saharienne,  les dynamiques de la conflictualité saharienne actuelle les interpellant. Dans ce cadre, l’on devra éviter de verser dans l‘utopie, par un retour à un protectionnisme sur des bases nationales qui n'irait pas dans le sens de l'histoire du monde multipolaire qui s'organise à travers de grandes régions Nord-Sud incluant la protection de l’environnement. La Méditerranée, un bassin grand comme cinq fois la France, ne représente que 0,7% de la surface des océans, mais constitue un des réservoirs majeurs de la biodiversité marine et côtière, avec 28% d’espèces endémiques, 7,5% de la faune et 18% de la flore marine mondiale. C’est une des mer les plus polluée du monde. C’est une mer sans marée dont l’eau met plus d’un siècle pour se renouveler mais qui voit passer 30 % du trafic maritime mondial et dont la faune et la flore sont en danger. Des « navires voyous » dégagent près de 200000 tonnes d’hydrocarbures dans la Méditerranée chaque année. Environ 290 milliards de micro plastiques flottants sur les 10 à 15 cm d'eau dérivent en Méditerranée, selon les données recueillies lors des deux campagnes scientifiques de l’Expédition MED, menées  en mer Méditerranée nord-occidentale. La crise économique et financière a remis au premier plan les questions de croissance et de compétitivité misant pour résoudre le chômage et rembourser la dette sur la seule augmentation du produit intérieur brut et semble mettre de coté les problèmes d’environnement. La production d’un seul kilo de viande de bœuf demande 4 à 5 kg d’aliments et 15 000 litres d’eau au niveau mondial. Plus d’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable et 250 millions de personnes sont affectées par la désertification. Et si la Chine et l’Inde notamment pour le transport et l’alimentation adoptaient le même modèle de consommation que ceux des pays développés qui concentrent la majorité de la richesse mondiale qu’adviendra-il de notre planète ? La compétitivité d’un pays peut diminuer s’il y a détérioration environnemental, se traduisant par une baisse du surplus collectif par des allocations supportées par la collectivité comme le coût des maladies, les congés de maladie et la destruction de la biodiversité. Exemple le déclin des populations d’abeilles ayant le rôle de pollinisation influe sur la productivité agricole. Selon certaines études scientifiques, dont universcience, 12% des espèces d’oiseaux, 23% des mammifères, 32% des amphibiens, 42% des tortues, et un quart des espèces de conifères sont menacés d’extinction mondiale. Chaque jour, 50 à 100 espèces disparaissent, tels que la sole qui a vu sa population chuter de 90% en 25 ans au niveau mondial. Or l’économie verte , dans le cadre d’une symbiose de développement durable entre le Nord et le Sud sachant que plus d’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable et 250 millions de personnes sont affectées par la désertification.. Tout en étant réaliste, les énergies fossiles seront encore pour au moins deux décennies dominantes. Il s’agit de réaliser des choix stratégiques aujourd’hui, de réaliser des arbitrages qui détermineront le profil de l’appareil productif de demain.

 

4.-Un devenir méditerranéen est  commun

 

Un rapport de l’EPIMED montre que le déficit structurel européen et la forte hausse de la demande de la rive sud impliqueront à l’avenir de construire les éléments d’un partenariat qui dépasse le modèle classique fournisseur-client. Ce rapport met l’accent sur la dépendance gazière européenne passée de 53% aujourd’hui à 80% en 2030. Facteur de précarité supplémentaire, la part des approvisionnements européens en gaz provenant du marché spot du gaz sera plus forte avec la montée en puissance des livraisons en GNL sur un marché mondial décloisonné. La volatilité des prix et l’insécurité des volumes disponibles seront plus importants dans une telle configuration en dépit de la multiplicité des offreurs. Aussi, les pays de la méditerranée sont tous confrontés au problème de la sécurité. Énergétique. Il s’agit avant tout de renforcer la coopération notamment dans le domaine énergétique, étant un élément fondamental de l'activité économique, un facteur de sécurité humaine, pouvant représenter un lien très fort entre le nord et le sud de la Méditerranée. La situation géographique de l’Europe et la Méditerranée, est un couloir de transit important pour les marchés mondiaux de l'énergie et important carrefour pour les marchés énergétiques mondiaux. Autre axe lutter contre la pénurie d’eau, qui peut être source de conflits planétaires, qui touchera horizon 2020/2030 cette région avec la désertification y compris la zone sahélienne, causée par l'évolution démographique et économique, les activités humaines et le réchauffement climatique qui n'est pas une chimère. Le dessalement de l’eau de mer,  permet de réduire ces tensions. Mais il faudra être attentif au coût. Seule la production à grande échelle de ses composants, peut réduire substantiellement les coûts, les Etats transitoirement devant supporter ces projets par des subventions ciblées. Les efforts, pour renforcer les infrastructures, l'expansion des marchés commerciaux et ouvert aux investisseurs locaux et étrangers, les interconnexions énergétiques entre l’Europe et le Maghreb dans le cadre de la directive européenne gaz/électricité, auront un impact significatif, dans les années à venir sur l’espace euro-méditerranéen. Comme le note justement mon ami, le professeur Jean Louis Guigou, Délégué de l’IPIMED,  il faut faire comprendre que, dans l'intérêt tant des américains que des Européens et de toutes les populations sud méditerranéennes, les frontières du marché commun de demain, les frontières de Schengen de demain, les frontières de la protection sociale de demain, les frontières des exigences environnementales de demain, doivent être au sud du Maroc, au sud de la Tunisie et de l'Algérie, et à l'Est du Liban, de la Syrie, de la Jordanie et de la Turquie passant par une paix durable au Moyen Orient les populations juives et arabes ayant une histoire millénaire de cohabitation pacifique

 

En conclusion, la stabilisation politique de l’Irak, de la Syrie ou devrait transiter  des canalisations et  de la Libye, tout en  n ‘oubliant pas les énormes potentialités de l’Iran,  devrait entrainer un profond bouleversement de la carte énergétique   au niveau de la méditerranée, concernant le pétrole et le gaz traditionnel, expliquant la position russe(1).  Comme j’ai eu  à l’affirmer au cours de différentes conférences internationales, le co-développement, les co-localisations, qui ne sauraient se limiter à l'économique, incluant le volet anthropologique et social, antinomie de l’effet de domination, tenant compte de la diversité culturelle, peuvent être le champ de mise en œuvre de toutes les idées innovantes au niveau du bassin méditerranéen pour en faire un lac de paix et de prospérité partagé.


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(1)- contribution de  synthèses de conférences  au parlement européen  - Bruxelles, au Sénat et  au parlement français  -Le professeur Abderrahmane Mebtoul expert international ( Algérie) a été convié par le président exécutif  de l’Institut de la Méditerranée localisée à Barcelone  pour participer par une contribution  qui sera contenue  dans la quatrième édition de l’annuaire  IEMed de la méditerranée 2017. Cet annuaire  à diffusion mondiale, en arabe-anglais-français-espagnol- abordera  avec 60 éminentes personnalités internationales  , anciens et actuels ministres, experts en sciences politiques, militaires, économiques, juristes, historiens, sociologues, écrivains) des deux rives de la Méditerranée,  des sujets, intéressant la méditerranée et l’Afrique, géopolitiques, culturels, sociaux   et économiques.  Le professeur Abderrahmane Mebtoul étant par ailleurs membre du conseil scientifique du Forum Mondial du Développement Durable qui tiendra son 15ème Forum   à Paris le 13 mars 2017 où il  abordera le thème « Face  à la 4ème révolution économique mondiale, les axes de la transition énergétique de l’Algérie ». Voir également Interview du professeur Abderrahmane Mebtoul  à l’agence européenne- Bruxelles- Copyright Agence Europe © le 18/01/2017  « Algérie : agenda de rentrée chargé et perspectives d’une coopération  densifiée ».



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