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Les enjeux économiques et géostratégiques du gazoduc, Nigeria-Algérie

26-09-2021 13:43  Pr Abderrahmane Mebtoul

Le secteur de l’Energie au Nigeria  est marqué par le poids dominant de l’industrie pétrolière et gazière procurant  75 % des recettes du budget national et 95 % des revenus d’exportation et les réserves prouvées de gaz naturel sont estimées à 5.300 milliards  de mètres cubes gazeux. La faisabilité du projet du gazoduc Nigeria Europe, doit tenir compte des nouvelles mutations gazières mondiales pour évaluer sa rentabilité où des annonces sont contredites par la dure réalité économique, car les lettres d’intention ne sont pas  des contrats définitifs.  Comme le démontre une importante étude  de l’IRIS IRIS  19 aout 2021, le  gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe est l’objet d’enjeux géostratégiques importants pour la région, expliquant l’importance de la diplomatie économique, un tel projet placerait la région comme un  nouveau pôle d’approvisionnement pour l’Europe face à la Russie, la Norvège  et le pays qui fera obstacle à ce projet étant la Russie, à moins qu’il  ne soit partie prenante d’où l’importance  d’avoir une vision économique froide sans sentiments  pour sa rentabilité, surtout en ces moments de graves tensions financières.

1.- Les autorités nigériennes doivent éclairer définitivement leurs positions concernant le projet du gazoduc soit l’Algérie ou le Maroc, existant des déclarations contradictoires. A l'occasion d'une visite officielle du roi Mohammed VI au Nigéria, le Maroc et le Nigeria ont signé un protocole d’accord le 3 décembre 2016 pour l'étude et la construction d’un gazoduc  entre l’ouest nigérian et le Maroc, accord avalisé le 12 juin en 2018 lors de la visite du président Muhammadu Buhari au Maroc. Le gazoduc Maroc-Nigéria mesure environ 5 660 kilomètres de long. Il longerait la côte Ouest Africaine en traversant ainsi 14 pays : Nigéria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone, les trois Guinée, la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie et le Maroc. Ce projet  a pour but de  connecter les ressources gazières nigérianes à différents pays africains, existant déjà deux gazoducs dans la zone Afrique du Nord-Ouest, le «West African Gas Pipeline   », qui relie le Nigéria au Ghana, en passant par le Bénin et le Togo, et le gazoduc Maghreb-Europe (également nommé « Pedro Duran Farell ») qui relie l’Algérie à l’Europe via l’Espagne (Cordoue) en passant par le Détroit de Gibraltar et le Maroc. Concernant le gazoduc Nigeria Algérie, la longueur du gazoduc trans-saharien sera de 4 128 kilomètres et sa capacité annuelle de trente milliards de mètres cubes devant partir  de Warri au Nigeria pour aboutir à Hassi RMel   en passant par le Niger.  Rappelons qu’actuellement, les  exportations de l’Algérie se font grâce au GNL qui permet une souplesse dans les approvisionnements des marchés régionaux pour 30% et  par canalisation pour 70%. L’Algérie possède trois canalisations. Le TRANSMED, la plus grande canalisation d’un looping GO3 qui  permet d’augmenter la capacité  de 7 milliards de mètres cubes  auxquels s’ajouteront aux 26,5 pour les GO1/GO2 permet une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes gazeux. Il  est d’une longueur  de  550 km sur le territoire algérien et  370 km sur le territoire tunisien,  vers l’Italie. Nous avons le MEDGAZ  directement vers l’Espagne à partir de Beni Saf au départ d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux qui après extension prévu courant 2021 la capacité sera porté à 10 milliards de mètres cubes gazeux. Nous avons le GME via le Maroc dont  l’Algérie a décidé d’abandonner,  dont le contrat s’achève le 31 octobre prochain,  d’une longueur de 1300 km, 520 km de tronçon marocain, la capacité initiale étant de 8,5 milliards de mètres cubes ayant  été porté en 2005 à 13,5 de milliards de mètres cubes gazeux. Le  projet du  gazoduc Trans-Saharien de 4 128 kilomètres est d'une  capacité annuelle de trente milliards de mètres cubes devant partir  de Warri au Nigeria pour aboutir à Hassi RMel, en passant par le Niger dont l’idée a germé dans les années 1980, l’accord d‘entente a été signé le 03 juillet 2009. Le 21 septembre 2021 le ministre nigérian de l’Énergie a déclaré dans une interview accordée à la chaîne de télévision CNBC Arabia en marge de la conférence Gastech que son pays a commencé à mettre en œuvre la construction d’un gazoduc pour transporter du gaz vers l’Algérie. L’accord de l’Algérie fait suite aux différents rapports du Ministère de l’Energie afin de pouvoir honorer ses engagements internationaux en matière d’exportation de gaz   les réserves de gaz traditionnel pour l’Algérie, pour une population dépassant 44 millions d’habitants ( pour le gaz de schiste troisième réservoir mondial 19.800 milliards de mètres cubes gazeux,  selon un rapport US)  selon les données du Ministre de l’énergie en décembre 2020 reprises par l’APS, étant de 2.500 milliards de mètres cubes gazeux. Selon les  données du Ministre de l’énergie en décembre 2020, nous assistons à  une baisse des exportations étant passées de 62/65 milliards de mètres cubes gazeux à 51,5 en 2018, 43 en 2019, 41 en 2020, espérant  un niveau de 43/44 pour 2021. Pour maintenir ses capacités d’exportation, l’Algérie doit s’orienter  vers les  énergies renouvelables, avoir une nouvelle politique d’efficacité énergétique, revoir sa politique de subventions  et avoir des accords de partenariat d’exploitation à l’extérieur du pays expliquant l’intérêt porté à ce projet. 

4.-La rentabilité du projet Nigeria Europe, suppose cinq conditions. Premièrement, la mobilisation du financement, alors que les réserves de change sont à un niveau relativement faible au 01 janvier 2021, pour l’Algérie de 48 milliards de dollars pour 44 millions d’habitants, le Maroc 36 milliards de dollars pour 37 millions d’habitants  et le Nigeria 33 milliards de dollars pour 210 millions d’habitants. Pour le projet Nigeria-Maroc  soit 1 400 kms de plus que le TSGP, le grand  problème est le financement  sachant que  le dernier gazoduc Russe, le Nord Stream 2,  long de 1 230 kms, a coûté environ 11 milliards de dollars. Etant plus long que le gazoduc Russe, le projet  selon  une étude de l’IRIS  nécessitera environ 20 ans avec un cout prévisionnel  entre 25/30 milliards de dollars alors que le  Maroc autant que le Nigeria connaissent de vives tensions financières.  Pour le projet Nigeria /Algérie selon une étude  de  l’Institut Français des Relations Internationales IFRI en 2019, le cout initial est passé de 5 milliards de dollars en 2009, à 17/20 milliards de dollars. Le Nigeria et l’Algérie traversant une crise de financement, il faudra impliquer des groupes financiers internationaux, l’Europe principal client et sans son accord et son apport financier il sera difficile voire impossible  de lancer ce projet.  Deuxièmement,  l’évolution du prix de cession du gaz  car comme le souligne le PDG  de Sonatrach, Intervenant lors du Forum de la Chaine 1 de la Radio nationale, le 12 septembre 2021 a précisé  que la   faisabilité est   liée à l'étude du marché au vu de la baisse du prix du gaz, soulignant que le prix de ce dernier est passé de plus de 10 dollars l'unité calorique il y a 10 ans entre 1,5-2 dollars le MBTU entre 2018/2020, pour remonter  depuis juin 2021 à 4/5 dollars le MBTU, le cours le 23 septembre 2021 sur le marché libre étant de   4,810 dollars le MBTU. Ce qui pourrait, selon Sonatrach , « influer sur la prise de décision de lancer un tel investissement", d'où la démarche de lancer une étude du marché pour déterminer la demande sur le gaz avant de trancher sur l'opportunité de s'engager dans ce projet ». Cette faisabilité implique la détermination du seuil de rentabilité fonction   de la  concurrence d’autres producteurs, du cout et de l’évolution du prix du gaz. Troisièmement, la sécurité et des accords avec certains pays,  le projet traverse plusieurs zones alors instables et qui mettent en péril  sa fiabilité avec les groupes de militants armés du Delta du Niger qui arrivent  à déstabiliser la fourniture et l’approvisionnement en gaz, les conséquences d’une telle action, si elle se reproduit, pourraient être remettre en cause la rentabilité de ce projet. Par ailleurs,   il faudra   impliquer les États traversés où il faudra négocier pour le droit de passage(paiement de royalties) donc   évaluer les risques   d'ordre économique, politique, juridique et sécuritaire. Quatrièmement,  pour la faisabilité du projet NIGAL la demande    future sera  déterminante, la production mondiale de gaz naturel s’étant  élevée à 3 890 milliards de m3 (Gm3) en 2020 selon Cedigaz, soit 115 Gm3 de moins qu’en 2019 (- 2,9%), environ 22% du Mix énergétique et surtout  la demande européenne où sa   dépendance pourrait atteindre, , près de 70 % de la consommation totale d'énergie, soit 70 % pour le gaz naturel, 80 % pour le charbon et 90 % pour le pétrole, selon les estimations de la Commission européenne.  Cinquièmement, la concurrence internationale qui influera sur la rentabilité de ce projet.   Les réserves avec de bas couts, sont  de  45.000 pour la Russie, 30.000 pour l’Iran et plus de 15.000 pour le Qatar sans compter l’entrée du Mozambique en Afrique (4500 de réserves). Ne pouvant contourner toute la corniche de l’Afrique, outre le coût élevé par rapport à ses concurrents, le fameux gazoduc Sibérie-Chine, le Qatar et l’Iran, proches de l’Asie, avec des contrats avantageux pour la Chine et l’Inde, le gazoduc Israël-Europe en activité vers 2025, les importants gisements de gaz en Méditerranée (20.000 milliards de mètres cubes gazeux) expliquant les tensions entre la Grèce et la Turquie. Et l’Algérie est concurrencée même en Afrique, avec l’entrée en Lybie, réserves d’environ 2000 milliards de mètres cubes non exploitées, et les grands gisements au Mozambique (plus de 4.500 milliards de mètres cubes gazeux), sans compter le Nigeria avec ses GNL. Outre les USA, premier producteur mondial avec le pétrole/gaz de schiste, avec de grands terminaux, ayant déjà commencé à exporter vers l’Europe, nous avons la concurrence en provenance de la mer Caspienne dont gazoduc  Trans Adriatic Pipeline (818 km ) concurrent direct de Transmed, qui achemine le gaz à partir de l’Azerbaïdjan qui traverse le nord de la Grèce, l’Albanie et la mer Adriatique  avant de rallier, sur 8 km, la plage de Melendugno au sud-est de l’Italie,  opérationnel pouvant  transférer l’équivalent de 10 milliards de mettre cube par an.  Mais le   le plus grand concurrent de l’Algérie sera la Russie, avec des coûts bas où la capacité du South Stream de 63 milliards de mètres cubes gazeux, du North Stream1 de 55 et du North Stream2 de  55 milliards de mètres cubes gazeux, ce dernier en voie de régularisation,  assouplissement de la position des USA, soit au total 173 milliards de mètres cubes gazeux en direction de l’Europe (Conférence/débats du Pr Abderrahmane Mebtoul, à l’invitation de la Fondation allemande Friedrich Ebert et de l’Union européenne 31 mars 2021).. Ne pouvant contourner toute la corniche de l'Afrique, outre le coût élevé par rapport à ses concurrents, le fameux gazoduc Sibérie Chine, le Qatar et l’Iran proche de l’Asie avec des contrats avantageux pour la Chine et l’Inde , et en Afrique , le retour de la Libye  (sans compter le pétrole 42 milliards de barils de réserves et  2000 milliards de mètres cubes gazeux non exploitées pour une population de 6 millions d’habitants), les grands gisements  au Mozambique ( plus de 4.500 milliards de mètres cubes gazeux), sans compter le Nigeria avec ses GNL,  le marché naturel de l'Algérie, en termes de rentabilité,  est l'Europe où la part de marché de l’Algérie face à de nombreux concurrents , en Europe est en baisse  où selon le site « Usine Nouvelle », la Russie fournit 36% du gaz importé par l’Europe,  la Norvège (23%), les autres fournisseurs de GNL (10%) et l’Algérie 7/8%, presque le même niveau que  le Qatar qui n’était qu’à 2% en 2000.

En conclusion,  avec les tensions budgétaires que connait l’Algérie, il  y a lieu de ne pas  renouveler l’expérience malheureuse du  projet GALSI, Gazoduc Algérie–Sardaigne–Italie,  qui devait être mis en service en 2012, d’un coût initial de 3 milliards de dollars et d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux, devant  approvisionner également  la Corse, qui est tombé  à l’eau suite à l’offensive du géant russe Gazprom, étendant ses parts  de marché, avec des pertes financières de Sonatrach ayant consacré d’importants montants en devises  et dinars pour les études de faisabilité (conférence à la chambre de commerce en Corse A.Mebtoul en 2012 sur le projet Galsi). Evitons ces déclarations utopiques de remplacer les exportations d’hydrocarbures (98% des recettes en devise en 2020 avec les dérivés)  du jour au lendemain alors qu’un projet PMI/PME, sachant toutes les  contraintes bureaucratiques que n’ont pas  levées tous  les codes d’investissement depuis l’indépendance politique, du fait d’une gouvernance mitigée, le manque de visibilité  de la politique socioéconomique, en plus du  problème du financement en devises ,  est lancé en janvier 2022 ,ne sera rentable qu’en 2025 et pour les projets hautement capitalistiques comme la pétrochimie, le fer de Gara Djebilet ou le phosphate de Tebessa que vers 2027/2028 .L’Algérie fortement dépendante des hydrocarbures, est avant tout un pays gazier qui lui procure avec  les  dérivées plus de  33% de ses recettes en devises,  devra donc être attentif aux mutations gazières mondiales ( voir analyse développée par Pr A. Mebtoul dans la revue internationale gaz d’aujourd’hui Paris 2015 sur les mutations mondiales du marché gazier ). La   part du GNL représentant en 2020 plus de 40 % de ce commerce mondial contre 23 % à la fin des années 1990, n’est pas un marché mondial mais un   marché segmenté par zones géographiques alors que le marché pétrolier est homogène, du fait de la prépondérance des canalisations, étant  impossible qu’il réponde aux mêmes critères. Pour arriver un  jour à un marché du gaz qui réponde aux normes boursières du pétrole (cotation journalière) , il faudrait que la part du GNL passe  à plus de 80%. D’ici là, car les investissements sont très lourds,  tout dépendra de l’évolution   entre 2021/ 2030/2040,  de la demande en GNL qui sera fonction  du nouveau modèle  consommation énergétique  mondial  qui s’oriente  vers la transition numérique et énergétique avec un accroissement de la part du renouvelable, de l’efficacité énergétique  et entre 2030/2040 de l'hydrogène  qui déclassera   une grande part de l’énergie transitionnelle.  Le monde s'oriente en 2021/2030, inéluctablement, vers un nouveau modèle de consommation énergétique fondé sur la transition énergétique. L'énergie, autant que l’eau, est au cœur de la souveraineté des États et de leurs politiques de sécurité.  Les nouvelles dynamiques économiques modifieront les rapports de force à l'échelle mondiale et affecteront également les recompositions politiques à l'intérieur des États comme à l'échelle des espaces régionaux’. La stratégie gazière mondiale et notamment en Méditerranée principal ,marché de l’Algérie,   où la concurrence est acerbe, ne devant jamais oublier que  dans la pratique  des affaires et des  relations internationales n’existent pas  de sentiments mais, que des intérêts, chaque pays défendant ses intérêts propres.  ademmebtoul@gmail.com

Professeur des universités, expert international, membre de plusieurs organisations internationales et de nombreuses contributions sur les mutations énergétiques mondiales. Pr Abderrahmane Mebtoul a présidé, au nom de l’Algérie,  la commission transition énergétique de la société civile de la méditerranée orientale + Allemagne 2019/2020 et a donné une  conférence  en juin 2019, à Marseille France, sur la place de l’Algérie dans le cadre  de la stabilité de la région euro-méditerranéenne et africaine en présence, du président français, des ministres des affaires étrangères , dont l’Algérie , des organisations internationales, FMI, Banque mondiale, BIRD, Union européenne.

Références -Pr Abderrahmane Mebtoul « Sonatrach dans un environnement concurrentiel », parue dans la revue mensuelle en anglais Arab Oil Gas Magazine vol. XXXX juin 2003(Paris Londres) et revue bimensuelle pétrole et gaz arabes  publication simultanée en anglais et en français vol XXXV n° 817 avril 2003-   Contribution -HEC Montréal novembre 2012 « pour un nouveau management stratégique de Sonatrach-  -conférences du Pr Abderrahmane Mebtoul devant le parlement européen   octobre 2013 sur « le Maghreb face aux enjeux géostratégiques » où a été abordé la stratégie énergétique comme facteur d'intégration – conférence au Sénat français « l’Algérie face à la transition énergétique mondiale »  ( décembre 2013) - la stratégie gazière en Algérie  et le  marché européen , face la concurrence internationale »  (revue internationale gaz d’aujourd’hui Paris janvier 2015)- Forum mondial du Développement durable Paris (France) le 13 mars 2017 Intervention du professeur Abderrahmane Mebtoul,  « quelle transition énergétique pour l’Algérie ? »   –Voir audits opérationnels sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul de 1974 à 2015 1.-Bilan de Sonatrach  -Ministère Industrie/Energie Alger - 1974/1976 assisté des cadres dirigeants de Sonatrach  et d’experts nationaux   7  volumes 680 pages. 2.-  -Pour un nouveau modèle de consommation des carburants audit  assisté du bureau d’études  Ernest Young et des cadres dirigeants de Sonatrach 2007  8 volumes 780 pages. 3- -Pétrole et gaz de schiste : opportunités et risques  assisté de 20 experts internationaux 10 volumes 980 pages Premier Ministère Alger- 2015.

 



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