(Source BREIZH INFO)
Le généralDELAWARDE, ancien chef «situation-renseignement-guerre électronique» à l’étatmajor interarmées de planification opérationnelle, nous a adressé ce texte danslequel il répond à nombre de ses amis qui lui ont demandé ce qu’il fallait penser des événementssurvenus en Algérie ces trois dernières semaines.
Pour avoirbeaucoup travaillé sur le dossier algérien lorsque j’étais en fonction et pourne pas avoir cessé de le suivre depuis, je vais tenter de vous donner monanalyse de la manière la plus claire possible en répondant à trois questions :Pourquoi ? Quoi ? Comment ?
Pourquoi ?
La réponse àcette question se trouve, de mon point de vue, dans un contexte géopolitiquequi dépasse largement les frontières de l’Algérie. Pour simplifier à l’extrême,le monde est aujourd’hui coupé en deux camps qui s’opposent.
Il y a celuiqui s’accommode parfaitement d’une organisation de la communauté internationaletelle qu’elle a été conçue et construite au sortir de la 2ème guerre mondiale:FMI, OMC, Banque Mondiale, dollar, et prééminence US quasi absolue depuis 1990.Les idéologues néoconservateurs de ce camp dérivent aujourd’hui peu à peu versun objectif de « mondialisation heureuse (pour eux) », unipolaire, sousdominance occidentale (en fait, sous dominance US-OTAN).
Minoritaireen nombre d’États et en population (quarante à cinquante États, un milliardd’habitants) ce camp dispose, pour quelques années encore, de la puissanceéconomique (plus de 60% du PIB mondial) et, d’une supériorité militaire (OTANqu’il utilise sans modération). Un quarteron d’États s’active, sur la scèneinternationale (ou en coulisse), pour mobiliser ce camp et faire valoir sesintérêts : Les USA, le Royaume-Uni, la France et Israël. L’influence majeureest, dans les faits, exercée par un duo: USA et Israël. Ce camp se regroupesous la bannière de la « coalition occidentale » et s’autoproclame souvent, àlui seul: «communauté internationale».
De l’autrecôté du grand échiquier, un autre camp s’est organisé peu à peu sous lahoulette de la Russie et de la Chine. Aujourd’hui, ce camp monte rapidement enpuissance avec, entre autres, des organisations internationales créées en cedébut de XXIème siècle: les BRICS et l’OCS pour ne citer qu’elles. Il souhaiteremettre en cause l’ordre et les règles de la gouvernance mondiale établis ausortir de la guerre, au profit des occidentaux, pour évoluer vers un mondemultipolaire. Il regroupe, autour de la Russie et de la Chine, de grands paystels l’Inde ou le Pakistan (puissances nucléaires) et surtout de nombreux«fans». Ce camp, fans compris, est majoritaire tant en nombre d’États qu’enpopulation (une centaine d’États et plus de quatre milliards d’habitants) maisil est encore à la traîne en terme de puissance économique (moins de 40% du PIBmondial).
L’Algérie estun grand pays. Avec une superficie de 2,4 millions de km2, c’est à la fois leplus grand pays d’Afrique, du monde arabe et du bassin méditerranéen. Sous lagouvernance de Bouteflika, elle a su rester un pays indépendant, contrairementà de nombreux pays arabes qui, se sont, peu ou prou, rapprochés de la coalitionoccidentale, en application du proverbe: « Baise la main que tu ne peuxtrancher».
Aux yeux dela « coalition occidentale » précédemment décrite, la gouvernance Bouteflika acommis cinq « fautes impardonnables » :
1 – Elleentretient de trop bonnes relations avec la Russie, pays dans lequel elle formeles officiers de son armée depuis fort longtemps et auquel elle achète beaucoupde matériels militaires majeurs (dont les fameux S 400).
2 – Elleentretient de trop bonnes relations avec l’Iran, ennemi désigné des USA etd’Israël, et, par conséquent, pas vraiment ami de la France et du Royaume-Uni…France et Royaume-Uni, derrière des discours hypocrites et trompeurs, n’ontrien fait d’efficace pour remplir leurs engagements dans l’accord sur lenucléaire iranien.
3 –Contrairement à la gouvernance de plusieurs pays arabes (dont le docile Maroc,son voisin), l’Algérie de Bouteflika a refusé de rejoindre la grande coalitionsaoudienne, soutenue par les occidentaux, dans son intervention armée au Yemenpour mater la révolution populaire d’Ansar Allah. Cette opération militairevisait, à l’évidence, à contrer l’extension de l’influence iranienne auMoyen-Orient, et cela au profit de l’État hébreu.
4 – En outre,depuis le début du conflit syrien la gouvernance Bouteflika a entretenu debonnes relations avec celle de Bachar el Assad en Syrie et refusé de participerà la curée et au démembrement de ce pays programmé par les occidentaux etcertains de leurs alliés arabes au profit de l’État hébreu.
5 – Enfin,l’Algérie de Bouteflika reste l’un des derniers bastions arabes dans la défensede la cause palestinienne. Chacun peut comprendre que cette position indisposel’État hébreu et son puissant allié US qui peuvent y voir un obstacle sérieuxau « deal du siècle ».
La réponse àla question : «Pourquoi les événements sont-ils aujourd’hui ce qu’ils sont enterre algérienne ?» tient, pour une large part, dans les points évoqués cidessus .
Quoi ?
Les indicesne manquent pas dans la crise algérienne qui font furieusement penser à uneopération de « Regime Change » (changement de régime), dont les occidentauxsont particulièrement friands (révolutions colorées, Ukraine, Libye, Printempsarabes, Syrie, Venezuela, Brésil…..), qu’ils réussissent parfois (Maïdan,Libye, Brésil) et dont ils gardent jalousement «les secrets de fabrication».
Il y a,bien-sûr, les déclarations enflammées, à l’attention du peuple algérien, del’inénarrable BHL qui constituent, à elles toutes seules, un marqueurindiscutable qu’une opération de «Regime Change» est en cours. Il faut sesouvenir de son engagement constant et toujours théâtral dans ce typed’opération : Bosnie, Kosovo, Libye, Maïdan, révolutions colorées, Syrie, etmême Venezuela dernièrement… etc.
Ses appels àla révolution (chez les autres, pas chez nous) relèvent désormais du grandclassique autant que du meilleur comique troupier. Elles pourraient mêmedevenir contre-productives en révélant, à l’avance, le dessous des cartes auxobservateurs les plus avertis.
Il y a aussila teneur des déclarations des grands leaders de la coalition occidentale surcette affaire algérienne, qui montre clairement, jour après jour, qu’ilsapprécieraient un changement de gouvernance en Algérie et l’avènement d’unnouveau pouvoir qui leur serait plus favorable. A chacun de s’y référer etd’interpréter les propos tenus.
Il y a,encore, la lecture des journaux du quarteron d’États dirigeant « la coalitionoccidentale ». L’ampleur, la teneur et le ton des réactions médiatiques sur cequi devient, peu à peu, la «crise algérienne» et qui pourrait être baptisé dansquelques jours: «le printemps algérien», sont particulièrement révélateurs. Lalecture du New York Time et du Washington Post aux USA, du journal Le Monde etdes reportages de BFMTV en France, des journaux israéliens, Haaretz etJerusalem post, est édifiante et facile à décrypter pour un bon spécialiste durenseignement.
Enfin, il y ala méthode, les techniques et les moyens utilisées pour organiser un chaos deplus ou moins grande ampleur, préalable indispensable à l’avènement d’unnouveau régime. Ils constituent également de précieux indices.
Comment ?
Comme danstoutes les opérations de « Regime Change », il faut, pour réussir, respecterplusieurs règles de base et disposer de gros moyens financiers:
1 – Choisirle bon moment pour déclencher l’opération.
Le bonmoment, c’est celui où le régime auquel on s’attaque est fragilisé (criseéconomique ou sociale, gouvernance usée et affaiblie, population divisée). Uneéchéance électorale peut constituer une excellente opportunité permettantd’éviter trop de dommages collatéraux pouvant aller jusqu’à la guerre civile…
Tous les feuxsont au vert pour déclencher, en mars 2019, ce type d’opération de « RegimeChange » en Algérie, avec quelques espoirs de succès.
2 –Diaboliser le camp à abattre, puis promouvoir celui qu’on veut aider àtriompher.
Ce sont lestechniques de base utilisées avec grand succès par Cambridge Analytica dansplus de 200 campagnes électorales entre Septembre 2013 et Mars 2018. Cestechniques sont toujours utilisées aujourd’hui.
Dans le casde l’Algérie, l’incapacité physique de Bouteflika à gouverner le pays est miseen avant. On dénonce les résultats de sa gouvernance, évidemment qualifiés dedésastreux (chômage, inégalité, résultats économiques). On dénonce sonentourage et la corruption. On s’appuie sur une diaspora algérienne nombreuseet fortement influencée par les médias mainstream occidentaux pour chauffer àblanc l’opinion et la rue.
3 – Utiliserles moyens modernes de communication et d’échange entre les citoyens.
Facebook etTwitter, outils sous contrôle occidental, sont utilisés au maximum pourmanipuler et chauffer les foules et pour organiser très rapidement de grandsrassemblements protestataires. Là encore, il s’agit de méthodes expérimentéesavec succès par Cambridge Analytica dans un passé récent, notamment en Amériquedu Sud.
Ceux quicontrôlent ces opérations «numériques» ne résident pas toujours dans le paysobjet de l’ingérence. L’opération peut être contrôlée à partir du territoired’un pays occidental (généralement les USA). Il suffit de disposer d’un grouped’individus de bon niveau maîtrisant parfaitement la langue du pays objet del’ingérence. Ces individus existent évidemment en grand nombre dans la diasporaalgérienne mais aussi dans la diaspora séfarade. De telles actions contrôlées àpartir de l’étranger ont déjà été observées dans les cas tunisien, libyen etégyptien…
Cesopérations numériques constituent un complément utile et efficace à l’actiondes médias traditionnels (TV et journaux mainstream) qui agissent en meute,avec une belle unanimité, ce qui n’a rien d’étonnant lorsqu’on connaît laconnivence de leurs propriétaires et les règles de « la guerre de l’information».
4 – Corrompreun maximum de politiques, d’organisations d’influence, d’hommes importants dansl’appareil d’état (Armée, Justice, élus….)
Il s’agitd’organiser d’abord le lâchage du régime en place et dans un deuxième temps lesoutien du candidat à promouvoir : encore une méthode éprouvée de « CambridgeAnalytica ». Elle nécessite beaucoup d’argent, mais l’État qui imprime lepapier «dollar» n’en manque pas.
L’argent etles promesses de positions avantageuses dans le nouveau régime viennentgénéralement à bout des plus coriaces…
Pour savoirqui aura gagné de la coalition occidentale ou du camp «BRICS-OCS», il sera trèsutile d’étudier le passé, les soutiens et l’entourage de l’homme qui émergeralorsque le régime en place aura passé la main … Il sera très instructifd’observer les premières mesures prises par le nouveau pouvoir. Unenormalisation des relations avec le Maroc et un rapprochement avec les pays duGolfe constitueraient des indices intéressants.
Je ne penseévidemment pas qu’on aille jusqu’à une normalisation des relations avec Israël,à une visite officielle à Tel Aviv ou à l’établissement d’une ambassaded’Algérie à Jérusalem. Pour les non initiés, ces trois derniers gestes ont étéobservés dans le « regime change » brésilien et indiquent de manière claire lerôle éminent joué par la diaspora pro-israélienne au Brésil dans l’affaireBolsonaro. Ce rôle existe aussi dans l’affaire Vénézuélienne, si l’on en croitles promesses enflammées de Guaïdo de transférer son ambassade à Jérusalem,s’il parvient à prendre le pouvoir. Ce genre de promesses a l’immense intérêt dedésigner clairement les sponsors financiers du président élu brésilien et du «président autoproclamé » du Venezuela et d’expliquer le soutien de la «coalition occidentale » à ces individus.*
Enconclusion, vous l’aurez compris, je ne crois pas à la spontanéité de tous lesévénements qui agitent aujourd’hui la rue algérienne.
Aucun desdeux grands camps qui s’opposent aujourd’hui dans le monde ne peut êtreindifférent à ce qui se passe en Algérie. L’ingérence étrangère y est donc plusque probable. Le contraire serait surprenant.
Ceux quis’ingèrent sont ceux qui y ont un intérêt et qui en ont les moyens. Ilss’appuient très habilement sur la triple opportunité qui leur est offerte :l’usure du pouvoir en place et de son chef , l’indéniable crise économique etsociale imputée à la gouvernance Bouteflika et l’échéance électorale prévue parla Constitution. Ils s’appuient aussi sur les moyens techniques (réseauxsociaux), et les moyens financiers et humains dont ils disposent.
Bien sûr, lestenants du clan « occidental » vont hurler «au complotisme » à la lecture decette analyse. C’est une technique désormais bien connue pour discréditer lesindividus dont les points de vue s’écartent des positions officielles. Maiscela n’empêchera pas ceux qui réfléchissent encore par eux mêmes de se poserles bonnes questions.
Quant àsavoir comment va tourner cette affaire, je me garderai bien d’émettre lemoindre pronostic. La rue algérienne n’a probablement aucune idée de lamanipulation dont elle est l’objet. La gouvernance en place et ses services derenseignements disposent certainement d’informations précises qui peuventconstituer un facteur de force. Mais de là à en déduire qui va l’emporter,c’est encore impossible aujourd’hui. On ne peut dire qu’une chose: « Bonnechance l’Algérie »!
DominiqueDelawarde
PS : Troisdocuments intéressants viennent à l’appui de mon propos pour ceux qui veulentaller au fond des choses:
– Un articleintéressant du 13 mars 2019 relevé sur le site « les alertes de Stratediplo »sous le titre «déstabilisation de l’Algérie».
– Une dépêchede l’agence sputnik du 19 mars 2019 sous le titre: «La diplomatie algériennetransmettra à Poutine une lettre de Bouteflika».
– Une dépêchede l‘agence russe RT du 19 mars 2019 sous le titre: «La Russie met en gardecontre toute ingérence étrangère en Algérie.»
(Précision :les points de vue exposés n’engagent que l’auteur de ce texte et nullementnotre rédaction. Média alternatif, Breizh-info.com est avant tout attaché à laliberté d’expression. Ce qui implique tout naturellement que des opinionsdiverses, voire opposées, puissent y trouver leur place).