La politique du gouvernement algérien, axée essentiellement, ces trois dernières années, sur la dépense, au nom de la paix sociale, si elle a permis à l’Algérie d’éviter le chaos généré par le « printemps arabe », elle arrive néanmoins aujourd’hui à ses limites.
Augmentations des salaires en faveur quasiment de tous les secteurs (administration, secteur économique public), avec des rappels sur plusieurs années, transferts sociaux, crédits à taux bonifiés : telle était la réponse du gouvernement qui, pour sa chance, disposait d’une cagnotte faramineuse à faire pâlir d’envie tous les régimes politiques, à sec, qui n’ont rien à offrir à leur peuple sinon « les larmes, la sueur et la sang » pour reprendre les propos du Premier ministre de la Grèce.
L’option du « tout argent », envers et contre toute rationalité économique, a eu, certes, l’effet calmant sur le front social, mais elle a aussi réveillé les appétits revendicatifs les plus insensés, les plus excessifs. Aujourd’hui encore dans quasiment tous les secteurs d’activité, pourtant déjà touchés par des augmentations des salaires conséquentes, c’est le même refrain : de l’argent et encore de l’argent.
Aujourd’hui, le pouvoir algérien, qui n’a pas su accompagner cette politique de la quête de la paix sociale à tout prix (au propre comme au figuré), avec une communication intelligente pour en expliquer à la fois les ressorts mais surtout les limites se retrouve pris dans son propre piège. Continuer à déverser de l’argent ne sera désormais plus possible. C’est exactement le sens du message délivré jeudi par le ministre des fiances Karim Djoudi aux députés.
La tendance à la baisse que connaissent actuellement les prix mondiaux du pétrole (notre unique ressource de devises) conduit l’Algérie à adopter ''plus de prudence'' en matière de politique budgétaire, avait t-il tenté de convaincre en avertissant contre l’effet d’une augmentation démesurée des salaires dans les prochaines années.
Le premier argentier du pays fait assaut de métaphore pour faire toucher du doigt à ses interlocuteurs le bien fondé d’une nouvelle politique prudentielle. ''Le budget de l’Etat est comme le budget d’un ménage : si on dépense trop et qu’on tire trop fort sur la corde, on va tout perdre'', a-t-il dit en réponse à un journaliste qui l’interrogeait sur l’orientation du Gouvernement quant aux dépenses de fonctionnement et notamment les salaires. Les augmentations de salaires, décidées en 2009, ont été faites soit pour un besoin de rattrapage soit pour un besoin de restructuration, a-t-il rappelé.
Cependant pour ce qui est du rattrapage, ''il faut être très prudent car si on va au-delà, on mettra en difficulté l’avenir de nos équilibres budgétaires'', a-t-il averti. Équilibre budgétaire : voilà le mot clé de la problématique. En continuant sur la pente dépensière actuelle, alors que les rentrées de devises se contractent, on va droit dans le mur. Karim Djoudi a même évoqué (simple hypothèse pour le moment) la perspective d’une réduction des dépenses d’équipement, à travers l’abandon de certains projets structurants, selon un ordre de priorité à établir.
En cas d’une baisse importante et confirmée des prix du pétrole, les recettes algériennes vont certes baisser et ce sont alors les dépenses de fonctionnement qui vont creuser le déficit public, a-t-il encore averti. Mais, le niveau actuel des salaires et des transferts sociaux, qui constituent ensemble l’essentiel des dépenses de fonctionnement, ''ne sera pas touché dans tous les cas'', a-t-il rassuré. Rassurer : c’est le devoir du ministre, surtout dans un contexte aussi explosif. Mais rassurer implique aussi « le discours de la vérité » sur la nécessité de la rigueur.
Et c’est là que les choses risquent de se corser pour le gouvernement dans les semaines et les mois qui viennent. En effet, son discours sur la rigueur sera difficilement vendable à l’opinion algérienne quand cette dernière constate le train de vie actuel de l’Etat. Pour le petit agent des corps communs de l’hôpital Mustapha, qui touche à peine 9.000 dinars /mois, il sera difficile pour lui d’accepter la loi de la rigueur quand dans le même temps les députés qui touchent actuellement 30 millions chacun viennent d’obtenir un bonus (primes) mensuel de 10 millions par mois. Et ce sera encore plus difficile, voire même impossible au Gouvernement Sellal de convaincre les algériens du bien fondé de la rigueur quand ceux qui ont volé les milliards continuent de braver la République, à cause d’une Justice qui n’a pas les moyens de son indépendance.