Les sombres perspectives du marché énergétique mondial mettent, comme de juste, la pression sur le gouvernement algérien. Celui-ci est aujourd’hui partagé entre dire la vérité aux citoyens, en courant le risque d’attiser leur angoisse, dans un contexte social et politique gros d’incertitudes ; ou bien continuer d’entretenir l’illusion anesthésiante d’une Algérie, forte de sa coquette réserve de devises, à l’abri des convulsions de ce marché.
Ce dilemme cornélien, nous le retrouvons dans le discours politique officiel de responsables qui soufflent alternativement le chaud et le froid. Il y a environ deux semaines, le ministre des finances, Karim Djoudi, déclarait aux journalistes, en marge d’une session de questions orales à l’APN, que le repli des prix du pétrole, en raison de la contraction de la demande, elle-même due à la crise, affecterait fatalement les revenus de l’Algérie. Partisan de la rigueur financière, le très orthodoxe (au sens économique) Karim Djoudi avait laissé entendre que certains projets structurants qu’il considère probablement comme des dépenses somptuaires pouvaient être remis en cause. Et que si la tendance baissière du prix du pétrole s’installait dans la durée, un ordre de priorité sera établi dans la réalisation de ces projets.
En somme, un discours de bon sens et surtout de responsabilité de la part d’un ministre qui jouit d’un grand respect dans la classe politique (majorité comme opposition). Mais ne voilà t-il pas que Abdelmalek Sellal, qui n’a certainement pas trouvé le discours de son ministre des finances politiquement correct, le remet presque vertement en place. Tous les projets inscrits dans le cadre du programme du président de la république seront réalisés, s’est empressé de démentir M.Sellal qui rappellera que les autorités avaient pris « toutes les dispositions » pour se mettre à l’abri des contrecoups de la crise économique mondiale.
Mais les propos rassurants, pour ne pas dire euphorisants qu’il a tenu en réponse aux avertissements éclairés de son ministre, n’ont pas empêché le même Sellal de dire quasiment la même chose, que son ministre, à l’occasion d’un récent forum économique organisé à Alger par une boite privée. A la tribune, le Premier ministre a sommé les entreprises publiques, ces tonneaux des Danaïdes, de générer leurs propres ressources, de ne plus compter sur le trésor public pour financer leurs déficit structurels, de chercher des partenariats avec les entreprises étrangères.
Le but, à terme, de cette nouvelle feuille de route imposée ex abrupto aux gestionnaires des entreprises publiques, soumis désormais à un contrat de performance, (une vieille turlutaine qui date de l’époque de Abdelhamid Temmar), est de faire des entreprises les locomotives de l’économie algérienne post pétrolière.
Cette passe d’armes entre Karim Djoudi et Abdelmalek Sellal a rebondi lundi. Sauf que les protagonistes ne sont pas les mêmes. Pour le coup, c’est Abdelhamid Zerguine, le patron de la Sonatrach contre son patron , le ministre de l’énergie. Youcef Yousfi.
Le PDG de Sonatrach, avait estimé samedi qu’il était « difficile » pour l’Algérie de préserver les prix du gaz dans un contexte de crise économique qui affecte aussi bien la demande que le prix. « Notre marge de manœuvre est difficile, car il n’y a pas de reprise économique forte, et lorsqu’il n’y a pas de reprise forte, commander le marché n’est pas uniquement l’apanage de Sonatrach », avouait –il en citant, à l’appui de son propos arbitrage que venait de perdre le géant pétrolier national avec l’Italien Adison.
Toute laisse à penser que les propos de vérité de Zerguine n’ont pas agréé le ministre de l’énergie qui est monté lundi au créneau pour éteindre la torche. "Les choses se passent correctement (...). Nous nous adaptons à la situation actuelle du marché" par rapport à la baisse de la demande de gaz en raison de la crise, a-t-il affirmé à des journalistes en marge d’une réunion du Comité énergétique algéro-tunisien.
"Il n’y a rien de dramatique (dans cette situation), et nous n’avons pas de difficultés actuellement en matière de commercialisation" du gaz, a ajouté le ministre, soulignant que la concurrence n’a jamais posé de problème à l’Algérie pour la commercialisation de son gaz à l’international. "Il y a toujours eu de la concurrence depuis que le marché du gaz existe", a-t-il insisté.
Ces deux passes d’armes illustrent aujourd’hui, on ne peu mieux, des tiraillement des responsables. À moins qu’il ne s’agisse d’une sorte de partage des rôles en fonction de la fameuse méthode du barbier qui consiste à mettre la mousse avant de passer au couteau.