Depuis le milieu des années 70, de nombreux Algériens qui sont passés par Benidorm, la célèbre ville balnéaire du sud de l'Espagne, connaissent ou ont entendu parler de Katy, la propriétaire algérienne du restaurant "La Casbah" qui se trouve à quelques dizaines de mètres de la plage, presque les pieds dans l'eau, et qui est reconnaissable de loin, grâce au drapeau algérien qui flotte sur son fronton (à côté des bannières espagnole et anglaise).
Katy, de son vrai nom Houria Debbah, est arrivée à Benidorm il y'a plus de 45 ans, y a déjà vécu deux fois plus longtemps que dans sa ville natale- Alger qu'elle a quittée à 22 ans- et elle connaît tous les grands et petits secrets de la frivole cité touristique espagnole.
"Partout où j'ai été, j'ai "planté" le drapeau de mon pays" confie Katy, aujourd'hui âgée de 68 ans. "Benidorm est cosmopolite, toutes les nationalités y cohabitent. Les Anglais vont dans le quartier anglais, les Allemands dans les établissements allemands et moi j'ai voulu créer un endroit pour que les Algériens se sentent chez eux à Benidorm. On peut déguster dans mon restaurant une chorba, un tadjine, une tekchtouka ou des briks".
"Je suis arrivée en Espagne sous le régime de Franco, se souvient Katy avec une certaine nostalgie. On était fiers alors d'être Algériens, on était considérés. Aujourd'hui, ce n'est plus pareil. Je suis respectée personnellement parce que je suis une travailleuse. On m'a donné la nationalité ibérique mais quelque part, je sens que je ne suis pas chez moi".
Katy est une femme d'affaires avisée et a plusieurs fois profité des opportunités que lui offrait le commerce avec ses compatriotes algériens. En terre d'exil, le monde des affaires (comme celui, interlope, de la nuit) peut être féroce et engendrer beaucoup d'ennemis mais aussi permettre d'entretenir des solidarités à toutes épreuves.
En 1980, Katy ouvrit des boutiques à Alicante sous l'enseigne "Tati" pour attirer les touristes algériens friands de réaliser de bonnes affaires. Mais Fabien Ouaki, le fils du fondateur français de la marque, la menaça d'un procès. Elle trouva rapidement la parade et se contenta de changer deux lettres à l'enseigne litigieuse qui devint "Katy" à la place de "Tati". Elle ajouta en dessous cette devise malicieuse et néanmoins tout à fait légale: "Chez Katy, c'est comme chez Tati".
"C'est à cette époque, raconte-t-elle, que les gens ont commencé à m'appeler Katy car les touristes algériens disaient "on va aller faire nos achats chez Katy". C'était à l'origine un nom commercial mais il est devenu, au fil du temps, ma seconde identité".
Sauf pour ce qui concerne le restaurant "La Casbah", le vocable "Katy" a été repris depuis dans toutes les dénominations de ses sociétés, notamment une agence de location de voitures et une agence immobilière : "Katy trading cars" et "Katy trading houses". Katy a exporté vers l'Algerie des milliers de voitures "de moins de 3 ans", lorsque la loi algérienne autorisait ce négoce.
Deux ans après son arrivée à Benidorm, soit en 1977, Katy a perdu son époux, décédé des suites d'une grave maladie. Elle a élevé seule ses trois enfants dont deux filles; l'une est actuellement manager au sein de la compagnie "Emirates Airline" à Dubai.
En 40 ans, Katy n'est revenue dans son pays natal qu'à deux occasions, la dernière cet été. "Mais dit-elle, j'ai toujours avec moi, dans mon cœur, l'Algérie". "J'aime mes Algériens, mes compatriotes, avec leurs défauts, et Dieu sait qu'ils en ont. Ils sont comme ma famille. On se regroupe lors des fêtes ("Nétlémou fi Ramdan, fi l'Aïd"). Je fais de mon mieux pour aider ceux qui peuvent se trouver dans la difficulté, soit moralement soit matériellement. Pour moi, c'est un devoir. Je ne peux dormir et laisser un Algérien dans la rue, à Benidorm. "Ouled bladi". Je crois qu'ils m'aiment".
Beaucoup d'Algériens de passage à Benidorm vont faire une halte dans son restaurant "La Casbah". Certains sont célèbres comme l'écrivain Yasmina Khadra qui vient parfois y dîner en famille et possède un pied à terre, pas loin, à Campeo, entre Alicante et San Juan..
Pour Katy, "une partie de Benidorm a été construite par des Algériens" comme feu Abdelkrim Benbrahim Belhadj Aïssa, un homme d'affaires de Metlili, près de Ghardaïa, qui a construit des centaines d'appartements à Benidorm et Palma de Majorque, en association avec des pieds-noirs espagnols. C'était un ami du milliardaire grec Onassis qu'il avait rencontré chez Régine, à Paris. Il s'était exilé en Espagne après que sa luxueuse villa du quartier algérois "Le Calvaire" à Kouba, ait été nationalisée par le Président Ben Bella, quelques temps après l'Indépendance. En 1990, à l'âge de 80 ans, "B.B." comme l'appelait ses amis, est rentré mourir au pays, après avoir subi une dialyse à l'hôpital de Beni Messous et respiré une dernière fois la brise matinale d'Alger ("Nessma bladi").
Personne n'oublie le chant de son enfance ni ne renie la terre de ses ancêtres.