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L’Algérie n’a-t-elle que faire de ses biens et symboles culturels nationaux spoliés ?

14-09-2021 16:00  Contribution

Mes parents m'ont donné pour prénom « Merzoug » (le fortuné). Lorsque j'atteignis l'âge de raison, j’eus la curiosité de connaître le motif du choix porté par mes parents sur ce prénom fort rependu à travers les régions de notre pays. En interrogeant ma grand-mère paternelle, celle-ci me dit que la seule chose qu'elle avait entendue à ce propos est qu'un de mes lointains aïeux paternels a porté ce prénom du fait que son père était un mouride (disciple) d'un mystique appelé Baba Merzoug qui fut investi à sa mort marabout et protecteur des artisans artificiers fabricants et marchands d'armes à feu. Fort de cet argument, bien qu’autobiographique, je m’estime autorisé à apporter, à ma façon, ma contribution au débat qui se déroule au sujet du canon Baba Merzoug ne serait-ce qu’en faisant connaître d’où est-ce qu’il tient son appellation.

Les disciples dudit marabout, et c'est le cas encore pour leurs descendants, adoptèrent pour tradition de faire tonner la poudre à l'aide d'une grande variété de grosses armes de leur fabrication. Constitués en troupes, ces baroudeurs voyageait à travers le pays pour  exhiber  leur savoir faire dans le maniement de leurs armes à feu.

Alger, alors capitale de la Régence, les recevait et aimait les voir produire leur spectacle assourdissant et très fumigène sur ses places publiques. Sa population retint des invocations hagiographiques dédiées à leur saint patron que scandaient les baroudeurs le nom de Baba Merzoug qu’elle donna, dès sa mise en service, au gigantesque canon conçu avec un poids de 12 tonnes et d’une longueur de 7 mètres dans les fonderies de Dar En Nhas, près de la porte Bab El Oued en 1542, par un maître métallurgiste vénitien, Sébastiano Cornova, engagé par le Dey de la Régence Hassan Pacha.

Ledit canon, une fois achevé et livré, fut posté sur la jetée Kheir Eddine Barberousse à Bordj Amar pour être à l’avant-garde de l’artillerie de la défense d’Alger la bien gardée. Dès le jour où elle entendit le tonnerre terrifiant de sa première décharge vers la mer, la population de la capitale le baptisa du vénérable nom de Baba Merzoug.

Le moudjahid Belkacem Babaci, que Dieu ait son âme, était le Président de la fondation Casbah. Il s’était voulu, lui le fervent patriote,  une vigilante sentinelle mémorielle de notre culture et à ce titre il ne ménagea point ses efforts pour la sauvegarde de notre mémoire collective et notre patrimoine historique national. Ce faisant, il se révéla être un vulgarisateur reconnu en histoire d’Algérie et du Maghreb. A travers ses conférences, ouvrages littéraires, articles de presse et émissions radiophoniques et audiovisuelles, il a initié un très large public aux secrets de notre histoire, grâce à la passion et à l’art et à la manière qu’il mettait dans l’enseignement et l’explication des faits historiques même les plus obscurs ou controversés.

C’est au cours de cette effervescente activité qu’il rédigea un ouvrage consacré à part entière à l’histoire du Maître canon Baba Merzoug ou « La Consulaire » toujours captif à Brest en France depuis 1832, et ce dans le sillage de la démarche militante qu’il a, lui avant quiconque, personnellement entreprise pour sa récupération. Pour ce faire, il a sollicité la contribution d’une autre sentinelle de la culture pour affiner avec lui les stratégies et les tactiques en vue d’atteindre le but de la démarche de récupération, relire et préfacer son ouvrage.

Ce militant convaincu ne se déroba pas à la tache et y alla même de la l’écriture du texte d’une magistrale plaidoirie radiophonique diffusée sur les ondes de la chaîne El Bahdja de la radio nationale à laquelle prêta son auguste voix le grand acteur Mohamed Adjaimi et de la composition d’une chanson en langue arabe populaire célébrant la geste du légendaire canon Baba Merzoug qui a été selon ce que j’ai appris, mise en musique et interprétée par le grand maître du chaabi algérois Abdelkader Chercheme. Pour sa part, le grand poète populaire et néanmoins membre du Conseil de la Nation vint à l’appui en écrivant et publiant une épopée en vers relatant l’histoire du canon encore captif chez ses ravisseurs.

Le livre de Belkacem Babaci et toutes les autres oeuvres produites pour soutenir la cause tiennent lieu d’exposé des motifs pour l’inscription, en bonne place, de Baba Merzoug dans le martyrologe de nos biens culturels nationaux spoliés par l’ancienne puissance occupante qui ne s’est pas privée de dépouiller le peuple algérien, envahi, déshérité et asservi, de ses richesses bibliographiques manuscrites scientifiques et littéraires et de ses symboles matériels de fierté et de gloire.

Pour conclure, je dois malheureusement dire que ni la démarche fondatrice de la revendication du symbole national qu’est Baba Merzoug entreprise, en Algérie et en France même, par Belkacem Babaci, ni celles de ses nombreux émules et continuateurs actuels n’ont bénéficié,  jusque là, de l’intérêt de notre gouvernement alors qu’elles commencent à susciter, du côté français un frémissement favorable à la restitution du canon réclamé si toutefois l’autorité algérienne officielle manifeste son intérêt pour l’idée.

Ne devrions nous pas nous demander dans quel côté se trouve la mauvaise volonté ? 

    Merzoug Hamimi  
Université de Constantine



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