Par Elijah J. Magnier: @ejmalrai
À la suite de la violation, par Al-Qaeda au Levant (alias Front al-Nosra, alias Hay’at Tahrir al-Cham), de l’accord d’Astana visant une zone de désescalade dans la ville d’Idlib au nord de la Syrie, la Turquie et la Russie, avec la bénédiction de Damas, ont convenu de permettre aux troupes d’Ankara de progresser en territoire syrien pour s’occuper d’Al-Qaeda dans la ville. Les forces armées turques sont entrées dans le secteur contrôlé par Al-Qaeda à la suite d’une entente entre les parties afin d’éviter une confrontation directe pour plusieurs raisons.
-Al-Qaeda est doté du meilleur arsenal militaire importé par l’intermédiaire de la Turquie au fil des années qu’a duré la guerre syrienne. Ses sympathisants internationaux (l’Occident, avec les USA en tête) et des pays du Moyen-Orient (principalement l’Arabie saoudite et le Qatar) ont fourni des armements au groupe terroriste en Syrie pour qu’il poursuive le combat contre l’armée syrienne et affaiblisse l’Iran et ses alliés au Levant. Al-Qaeda a également confisqué des armes perfectionnées américaines aux soi-disant rebelles modérés de « l’Armée syrienne libre » et de ses diverses divisions, que la CIA et le Pentagone avaient armés et entraînés.
-Al-Qaeda s’est révélé l’organisation djihadiste la mieux organisée, malgré ses pertes dans différentes guerres (en particulier la bataille d’Alep et ses combats récents autour d’Idlib à la suite de l’accord d’Astana au Kazakhstan). Les officiers de l’armée syrienne et du Hezbollah parlent avec respect de la capacité militaire d’Al-Qaeda, de sa détermination sur le champ de bataille et dans son idéologie, et reconnaissent le courage de ses militants.
-Al-Qaeda a mis au point des drones armés et des véhicules blindés commandés à distance dont il se sert dans diverses attaques (avec ou sans conducteur), qui se sont révélés plutôt efficaces sur le champ de bataille. Al-Qaeda a utilisé aussi un nombre modéré de kamikazes comparativement au groupe armé « État islamique » (Daech), qui envoie inutilement de façon chaotique des dizaines de kamikazes à chacune de ses attaques. Cela confirme qu’Al-Qaeda est un bon planificateur et qu’il accorde de la valeur à ses militants, ce qui en fait un adversaire bien plus féroce et beaucoup plus puissant que Daech.
-L’armée turque est restée immobilisée aux portes d’al-Bab pendant des mois, car Daech les empêchait de progresser. La Turquie a pu occuper cette ville du nord de la Syrie seulement après avoir conclu des accords bilatéraux avec Daech, pour qu’il puisse se retirer sans livrer combat. La faiblesse des forces loyales à la Turquie est ressortie dans les affrontements, tout comme son incapacité à occuper toute ville importante où des forces idéologiques sont présentes (Al Qaeda et Daech). Refusant d’admettre ses pertes, la Turquie a été réticente à reconnaître le meurtre barbare de soldats turcs ayant été capturés. Ankara ne sera assurément pas heureux de voir d’autres soldats turcs capturés de nouveau au cours de batailles à venir en Syrie.
Tout ce qui précède indique qu’Ankara, malgré le soutien aérien russe, n’osera pas s’engager dans une confrontation militaire d’envergure contre Al-Qaeda, mais qu’il cherchera plutôt à s’entendre avec le groupe, soit pour permettre à Al Qaeda de quitter les lieux en toute sécurité (si Al-Qaeda souhaite partir), soit pour l’autoriser à rester sous une nouvelle forme ou identité, en se faisant passer pour une organisation locale.
L’efficacité de l’aviation russe sur le champ de bataille syrien depuis septembre 2015 a été significative, car les bombardements aériens se faisaient en harmonie avec les troupes terrestres (l’armée syrienne et ses alliés), qui en tiraient un avantage réel. Les alliés de la Russie ne se souciaient pas des pertes humaines, préféraient la défaite des djihadistes à tout prix et voulaient reprendre le territoire occupé. Ce qui n’est pas le cas des forces turques censées collaborer avec l’aviation russe si Al-Qaeda refuse de se désister et de livrer Idlib aux envoyés d’Ankara. Idlib est considéré comme une ville complètement contrôlée par Al Qaeda, qui a chassé les mandataires syriens proturcs d’« Ahrar al-Cham » il y a plusieurs mois.
La guerre en Syrie et le contrôle de villes syriennes par des organisations djihadistes (Daech et Al Qaeda) tirent à leur fin. Ce sera alors le début d’un processus politique complexe qui ne manquera pas d’entraîner des conflits d’intérêts entre de nombreux pays : les USA et la Turquie (qui occupent tous les deux une partie du nord), la Russie (qui maintient de bonnes relations avec le régime syrien et de nombreux groupes opposés au régime et qui veut absolument mettre fin à la guerre en Syrie pour marquer des points sur l’échiquier international), Damas (qui veut reprendre l’ensemble du territoire syrien), l’Iran (qui considère qu’il a gagné cette guerre avec ses alliés et qui est prêt à poursuivre la lutte, avec ou sans la Russie, jusqu’à la fin de l’existence des USA, de Daech et d’Al Qaeda au Levant) et, enfin, l’Arabie saoudite et le Qatar, qui ont soutenu les djihadistes et les rebelles syriens et qui tentent d’obtenir par voie politique, autour de la table de négociations, ce qu’ils n’ont pu réaliser sur le champ de bataille.
Cependant, les USA cherchent encore à mélanger les cartes en se servant des Kurdes (en Irak et en Syrie) pour s’assurer que des parties de la Syrie échappent au contrôle de Damas (et de Bagdad), et pour empêcher l’arrivée de l’armée syrienne et de ses alliés au poste-frontière d’Al-Qaim, dernier bastion de Daech (des deux côtés de la frontière irako-syrienne), où il est encore puissant.
Les forces américaines tiennent encore le poste-frontière d’al-Tanf et ont imposé un périmètre de sécurité de 60 km pour empêcher l’armée syrienne et ses alliés de s’approcher d’un rassemblement inutile de forces engagées dans la soi-disant « lutte contre le terrorisme ». En fait, ce mois-ci, des combattants de Daech ont traversé la région semi-désertique faisant partie de ce corridor de sécurité de 60 km sous contrôle américain pour mener une attaque militaire massive contre l’armée syrienne. Les USA, dont les forces sont censées surveiller ce secteur, n’ont rien fait contre ces centaines de militants de Daech qui ont attaqué la route menant à Der Ezzor qui avait été libérée. Même si l’armée syrienne a repris la majeure partie du territoire, la Russie a exprimé son profond mécontentement envers la politique américaine : c’était un « coup bas », dans le but apparent de prolonger la guerre en Syrie.
Cela a incité Bagdad et Damas à unifier leur soutien militaire en déployant leurs forces armées vers la frontière (Al-Qaim), afin de mieux frapper Daech et de mettre fin à son occupation du territoire une fois pour toutes.
Le dernier chapitre de la guerre en Syrie n’est pas encore écrit, mais sa rédaction devrait commencer l’an prochain (2018), quand tous les intervenants se réuniront autour de la table de négociations. Les pays concernés n’auront alors pas d’autre choix que de révéler leurs véritables intentions et objectifs.
Par Elijah J. Magnier. @ejmalrai
Article en arabe: alrai.li/fzvhhmj via @AlraiMediaGroup
Article en anglais: elijahjm.wordpress.com/2017/10/10/tur… …
Traduction : Daniel G.
Source: Middle East Politics