Le Président de la République Abdelmajid Tebboune a annoncé la révision prochaine de la Constitution par référendum après une large consultation politique et avis d’experts et de personnalités nationales. En tant qu’expert international et professeur des Universités, non partisan, ouvert à tout dialogue, privilégiant uniquement les intérêts supérieurs de l’Algérie, je formule les recommandations au niveau politique et économique, propositions interdépendantes, que je soutiens depuis de longues décennies ( voir nos ouvrages 1980/1982 deux tomes -Réformes et Démocratie Office des Publications Universitaires OPU Alger), devant être sous tendues par une nette volonté politique de changement pour résoudre la crise multidimensionnelle à laquelle est confrontée l’Algérie. Car cette révison se déroule dans une situation socio-économique préoccupante en plus des tensions géostratégiques au sein de la région.
1.Une situation socio-économique préoccupante
Le cous du pétrole le 04 février 2020 est coté dans la matinée à 54,58 dollars le Brent et à 50,48 dollars le Wit pour une cotation euro- dollar 1,1052 avec le risque d’épuisement des réserves de change car l’année 2020 est une année essentiellement politique et dans ce cadre, il ne faut pas s’attendre à un flux d’investissement tant étranger que du privé national. Le moteur de la croissance reste toujours la dépense publique via la rente des hydrocarbures, 98% des recettes en devises directement et indirectement avec les dérivées. Or cette dernière est limitée avec la tendance à l’épuisement des réserves de change qui ont évolué ainsi selon les données internationales et de la banque d’Algérie : -2012 :190,6 milliards de dollars -2013 :194,0 milliard de dollars –fin 2014 :178,9 milliards de dollars -2015 :144,1 milliards de dollars -2016 : 114,1 milliards de dollars -2017 : 97,3 milliards -2018 : –fin 2019, 62 milliards de dollars auquel il faut ajouter 173,6 tonnes d’or coté en moyenne janvier/février 2020 à 1574,56 l’once et 50,529 dollars le kg donnant en moyenne 8,77 milliards de dollars soit environ 14% des réserves de change. Au rythme 2019/2020 , malgré la paralysie de la majorité de l’appareil de production ( restriction des importations dont entreprises privées et publiques ne dépasse pas 15%), les réserves de change devraient clôturer avec l’hypothèse d’un cours de 65 dollars le baril, n’oubliant pas que 33% des recettes de Sonatrach proviennent du gaz dont le cours a chuté de plus de 40% entre 2010/2019, non pas à environ 52 milliards de dollars fin 2020, car devant ajouter un minimum de 4 milliards de dollars dus à la fois à la chute duc ours du gaz et pétrole et un montant nécessaire pour relance l’économie en berne donc 48 milliards de dollars fin 2020, 28 milliards de dollars fin 2021 et 7 milliards de dollars fin 2020. Comme l’on ne doit pas induire en erreur l’opinion publique les dépôts récents à la banque de Tunisie de 150 millions et les DTS au niveau du FMI (l’Algérie ayant augmenté sa quote-part au Fonds monétaire international (FMI) de 705,2 millions de DTS , la portant de 1,25 milliard de DTS à 1,96 md de DTS (près de 3 mds de dollars), selon un décret présidentiel publié au dernier journal officiel) ne sont des dons, pouvant être récupérés à tout moment par l’Algérie. Toutefois, existe une limite à la compression des importations de biens entre 44/46 milliards de dollars entre 2016/2019 et services ( souvent oubliés 9/11 milliards de dollars par an) pour une entrée de devises en 2019 n’ayant pas dépassé 35 milliards de dollars, moins en 2020 si le cours est entre 55/60 dollars . Rappelons que les lois de finances 2019/2020 fonctionnent sur la base d’un cours de pétrole supérieur à 100 dollars le baril et que les réserves de change maintenant la cotation du dinar algérien à plus de 70%. Dans l’hypothèse d’un niveau de 10/15 milliards de dollars, la Banque d’Algérie sera contrainte de dévaluer le dinar officiel à environ 200/220 dinars un euro avec une envolée du cours sur le marché parallèle qui fluctuera en fonction du taux d’inflation entre 300/400 dinars un euro et beaucoup plus, fonction du taux d’inflation et en cas du maintien de l’actuelle politique économique caractérisée par une production et une productivité interne faible. L’on devra méditer les échecs passés de la dépense publique, mal ciblée et sans contrôle, des assainissements répétées d’entreprises publiques pour plusieurs dizaines de milliards de dollars, revenues pour la majorité à la case de départ et le favoritisme pour une oligarchie rentière privée alors que le principe de base d’une l’économie de marché maitrisée, non anarchique, avec l’importance de l’Etat régulateur, repose sur une économie productive. Cela explique qu’ avec une entrée de devises de plus de 1000 milliards de dollars entre 2000/2019 (98% provenant de Sonatrach) et des importations de biens et services de plus de 940 milliards de dollars, l’Algérie a connu un impact faible : taux de croissance moyenne annuelle entre 2/3%, alors qu’il aurait du dépasser les 9/10%, impactant le taux de chômage, forte pression démographique plus de 44 millions d’habitants au 01 janvier 2020 et plus de 50 millions horizon 2030, devant créer en plus du taux de chômage, 350.000/400.000 emplois nouveaux par an et non des emplois rentes, quitte à faire exploser les caisses de retraite. Il ne peut y avoir de véritable relance sans une nouvelle gouvernance par la moralisation de la société, une lutte efficace contre la corruption passant par l’impérieuse réforme de l’administration, la bureaucratisation néfaste. Comprendre la crise actuelle implique de saisir les liens dialectiques entre la production de la rente -Sonatrach et sa distribution à travers le système financier notamment les banques publiques qui canalisent plus de 85% des crédits octroyés expliquant que la réforme profonde du ministère des finances en profondeur n’a jamais été réalisée depuis l’indépendance politique, enjeu énorme du pouvoir assis sur la rente , réforme qui doit être couplée avec celui du ministère du commerce pour plus de cohérence, responsable de nombreuses licences d’importation et autres autorisations de complaisance. Sans sa réforme profonde autant que celle de des institutions (l’administration centrale/locale) et de la justice, il serait utopique de s’attaquer à l’essence de la corruption, se limitant à des actions conjoncturelles où les mêmes causes produiront les mêmes effets de corruption si l’on maintient les mêmes mécanismes de régulation. La réforme, étant une question de sécurité nationale, doit toucher donc toutes les structures du Ministère des finances où des audits poussés doivent être entrepris pour combattre les dysfonctionnements: toutes les banques publiques notamment les directions et sous directions de crédit avec leurs annexes régionales, qui canalisent plus de 85% des crédits octroyés, les caisses de garanties octroyant parfois des garanties de complaisance comme cela a été constaté récemment, la DG de la fiscalité avec ses annexes régionales avec ses antennes régionaux, avec des non recouvrements faramineux inexplicables les seuls pénalisés étant les salariés et fonctionnaires dont la retenue est à la source, les domaines avec ses annexes régionales, avec ses antennes régionaux, incapables d’avoir un registre cadastre transparent afin d ‘éviter le bradage du patrimoine national et la douane avec ses annexes régionales, sans tableaux de la valeur reliés aux réseaux tant nationaux et qu’internationaux, comme je l’ai préconisés entre 1982/ 1983 en tant que haut magistrat et DG des études économiques à la Cour des comptes qui n’a jamais vu le jour car touchant de puissants intérêts rentiers. Le temps ne se rattrapant jamais en économie, dans le cas du retour au FMI fin 2021/2022, il serait utopique tant pour le pouvoir, l’opposition qu’El Hirak de parler d’indépendance sécuritaire, politique qu’économique avec le risque d’une déstabilisation de l’Algérie avec des incidences géostratégiques. Pourtant , évitons toute sinistrose : avec la valorisation du savoir pilier du développement du XXIème siècle, une vision stratégique s’adaptant au nouveau monde en perpétuel mouvement, la bonne gouvernance, et le ciblage de projets à valeur ajoutée, l‘Algérie peut fonctionner avec un baril de 60 dollars et éviter le scénario catastrophe que nul patriote ne souhaite.
2.-Les fondements de la révision constitutionnelle
Le Président de la république a été élu « indépendant » donc n’a pas de Parti. Qu’en sera t-il avec la décision de dissoudre les assemblées actuelles avant la fin de l’année : assisterons nous à une recomposition politique autour de trois ou quatre grands partis ou à un émiettement ce qui rendra impossible la constitution d’un gouvernement homogène issu des partis. Et depuis le 22 février 2019 avec une société civile atomisée, majoritairement non organisée excepté les satellites du passé vivant du transfert de la rente, dont Al Hirak qui a un dénominateur commun –le changement- mais traversé par différents courants idéologiques contradictoires ( gauchistes, droitistes, centristes , islamistes, laïques ect) donc impossible de s’entendre sur un projet de société, la majorité des Parties politiques notamment ceux du pouvoir mais également de l’opposition sont rejetés par la majorité de la population, car déconnectés des aspirations réelle de la société. Les objectifs stratégiques sont la refondation de l’Etat algérien, conciliant la modernité et son authenticité, l’efficacité économique et une profonde justice sociale, de redonner la confiance actuellement brisée entre l’Etat et les citoyens grâce au dialogue fécond et productif. Il n’existe pas d’Etat standard mais que des équipements anthropologiques qui le façonnent largement influencé par la mondialisation avec de nouvelles fonctions. Dès lors, des stratégies d’adaptation politique, militaire, sociale et économique tenant compte de l’innovation destructrice, en ce monde turbulent et instable pour reprendre l’expression du grand économiste Joseph Schumpeter. D’où l’urgence de restructurer tant le système partisan, que la société civile loin de toute action autoritaire. Lorsqu’un pouvoir émet des lois qui ne correspondent pas à l’Etat de la société, celle-ci-émet ses propres lois qui lui permettent de fonctionner accentuant le divorce Etat-citoyens par la dominance de l’informel, à tous les niveaux : politique, économique, social et culturel. Tout pouvoir a besoin d ‘une opposition forte, organisée avec des propositions productives pour se corriger, devant l’associer dans les grandes décisions qui engagent l’avenir du pays. L’Algérie a besoin pour éviter la léthargie et la stérilité que tous ses enfants dans leur diversité, par la tolérance des idées d’autrui, se regroupent au sein d’un même objectif à savoir le développement économique et social tenant compte de la dure réalité mondiale où toute Nation qui n’avance pas recule forcément. Une loi n'est qu'une loi fusse t- elle la Constitution, devant être sous tendu par une nette volonté politique de réformes structurelles, le renforcement de l’Etat républicain, la démocratisation dans tous les domaines, l’engagement, à ne pas geler les institutions sous peine de délits d’initiés et à mettre en œuvre dans un délai raisonnable les décrets exécutifs d’application.
3.-La révision sur le volet politique
3.1.-. Facteur essentiel du développement économique et social, il s’agira de codifier le développement des libertés, politiques, économiques, sociales et culturelles l’implication de la jeunesse et la promotion réelle de la femme à la gestion de la Cité.
3.2.- Codifier la bonne gouvernance, l’Etat de Droit par la lutte contre la bureaucratie paralysante, l’indépendance de la justice avec une nette séparation du pouvoir, exécutif, législatif- judiciaire- des juges indépendants des procureurs généraux nommés par l’exécutif, un rééquilibrage au niveau du Conseil de la magistrature en favorisant les élections libres, rééquilibrer le Conseil constitutionnel en faveur de personnalités indépendantes et renforcer le pouvoir du Conseil d’Etat.
3.3.- Codifier d’une manière précise les missions de l’ANP, des services de sécurité y compris la DGSN et du Conseil de sécurité et ce dans le cadre de la transition démocratique, en prévoyant pour leur financement une loi de programmation de cinq années afin de faciliter leurs objectifs stratégiques.
3.4.- Codifier clairement les missions de notre diplomatie qui doit s’adapter aux nouvelles mutations tant sur le plan économique, politique que sécuritaire .
3.5.- Codifier l’alternance au pouvoir, par la reconnaissance de l’opposition, comme acteur de la scène politique, la séparation nette des pouvoirs, une institution indépendante chargée de superviser toute élection, le Ministère de l’Intérieur via les Walis, étant chargé uniquement de la logistique, ainsi que limiter dans le temps (5 ans maximum) les hautes fonctions supérieures de l’Etat au même poste, pour éviter la léthargie et les relations de clientèles.
3.6.- Limitation du mandat présidentiel à deux maximum de cinq années, instaurer durant cette période de transition étant un régime semi-présidentiel, le régime parlementaire, souhaitable, étant inadaptée actuellement du fait de la non représentativité et de la multitude des partis qui doivent se regrouper en fonction d’affinités idéologiques et économiques.
3.7.- Codifier éventuellement la fonction de vice-président, nommé par le président, chargé de le seconder, qui en cas de vacance du pouvoir terminera le mandat présidentiel.
3.8.- Codifier la fonction de chef de gouvernement et non plus de premier ministre, responsable de la politique socio-économique avec des prérogatives clairement définies avec obligation de présenter son bilan deux fois devant le parlement.
3.9.- Tout en nous en tenant à nos constantes nationales (Arabité- Islamité-Amazighité) comme facteur de cohésion sociale, devant favoriser la tolérance et combattre toute forme de racisme et de xénophobie, codifier que l’État garantit la liberté de culte et la liberté de conscience, veillant à ce que la religion, n'interfère pas dans les affaires de l’État.
2.10.- Codifier le rôle stratégique de l’élite avec l’intégration de notre émigration et la valorisation du savoir par la réforme profonde de l’école du primaire au supérieur.
3.11.- Codifier la pluralité syndicale, la liberté des médias avec un code de déontologie, la reconnaissance de la société civile et la liberté pacifique de manifester.
3.12.- Sans son histoire, une société est comme un corps sans âme, l’histoire étant le fondement de l’action présente et future, devant différencier régime éphémère et Etat éternel, codifier les valeurs du 01 novembre 1954 et de la plateforme de la Soummam, un Etat qui survit aux aléas de l’histoire, à la gloire et aux sacrifices de nos martyrs qui ont permis l’indépendance de l’Algérie.
4.-Introduire les objectifs économiques :pour une économie de marché à finalité sociale
4.1.- Définir clairement le rôle futur de l’Etat dans le développement économique et social, en insistant sur le rôle de l’Etat régulateur conciliant les coûts sociaux et les coûts privés.
4.2.- Codifier la transition numérique, en prenant en compte de la cybercriminalité e tle développement de l’intelligence artificielle.
4.3.- Criminaliser la corruption qui connait un niveau inégalée depuis l’indépendance politique, une atteinte à la sécurité nationale qui implique pour son atténuation une totale transparence de l’utilisation des deniers publics (dépense publique- rente de Sonatrach- réserves de change), l’unification des institutions de contrôles, indépendants de l’exécutif, et donner de larges prérogatives à la Cour des Comptes, parallèlement au contrôle parlementaire, à la société civile et s’engager à respecter les Accords internationaux en la matière contre le blanchissement de l’argent «sale. Mais l’on devra différencier la corruption de l’acte de gestion afin d’éviter de paralyser l’initiative des managers.
4.4.- Garantir la propriété privée, comme droit inaliénable.
4.5.- Codifier l’économie de marché concurrentielle à finalité sociale, loin de tout monopole, comme processus irréversible, mettre l’entreprise privée locale et internationale et publique, sur le même pied d’égalité, la finalité étant de promouvoir une économie productive hors hydrocarbures compétitive s’adaptant avec pragmatisme au processus de la mondialisation.
4.6.- Codifier la régionalisation économique autour de grands pôles (combinant université-centres de recherche secteurs banques - fiscalité secteurs économiques- administration) à ne pas confondre avec régionalisme qui impliquera d’importantes réformes institutionnelles (Ministères, secteur économique public - wilayas- APC).
4.7.- L’agriculture et son soubassement l’eau, enjeu du XXIème siècle, segment stratégique, codifier la non urbanisation des terres agricoles, parallèlement à la politique d’urbanisation qui devra s’inscrire dans le cadre d’une politique d’aménagement du territoire clairement définie qui ne saurait s’assimiler aux actuels programmes spéciaux de wilayas.
4.8.- Codifier la préservation de l’environnement et la protection de la biodiversité.
4.9.- Le système d’information s’étant effrité, codifier un organe indépendant de l’exécutif chargé de la collecte d’information et de la planification stratégique tenant compte avec les bouleversements mondiaux.
4.10.- Codifier comme impératif stratégique, la mise en place d’une transition énergétique reposant sur un Mix énergétique, toute action devant avoir l’aval du Conseil national de l’Energie et du Conseil de sécurité et s’engager à un large débat national concernant le futur énergétique 2015/2030 qui engage la sécurité nationale.
4.11.- Codifier le dialogue économique et social entre l’exécutif et les partenaires économiques et sociaux en incluant les syndicats autonomes et revoir l’actuel fonctionnement du Conseil Economique et Social en lui donnant l’autonomie totale, s’étant totalement bureaucratisé, sa composante n’ayant pas été renouvelée depuis des décennies.
4.12.- Facteur d’adaptation à la mondialisation, intimement lié à la politique étrangère, il s’agira de codifier l’intégration de l’Algérie au sein de la région euro-méditerranéenne et de l’Afrique, continent à enjeux multiples, comme processus stratégique.
En résumé, face aux enjeux géostratégiques, la région africaine et euro-méditerranéenne, devant connaitre d’importants bouleversements horizon 2020/2030, impose à l’Algérie une stratégie d’adaptation tant politique, économique que militaire. L’opposition est l’opposition et le pouvoir est le pouvoir. Personne n’a le monopole du nationalisme, le seul but en commun étant les intérêts supérieurs de l’Algérie.
Pr Abderrahmane MEBTOUL, Directeur d’études ministère Energie-/Sonatrach 1974/1979-1990/1995-2013/2015 membre de plusieurs organisations internationales - haut magistrat (premier conseiller) et directeur général à la cour des comptes 1980/1983- expert au Conseil Economique et Social 1995/2007 - Voir nos différentes contributions parues au niveau national et international 2014- 2019 « impact de la crise politique et de la baisse du cours du pétrole sur l’économie algérienne» ( www.google.com)