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La presse algérienne face au double chantage du pouvoir politique et du pouvoir de l’argent

03-05-2013 16:02  Mourad Arbani

Le président Bouteflika, tente de pallier son absence sur la scène politique par une présence médiatique intensive. Après son message aux travailleurs et surtout au monde sportif, à l’occasion de la finale de la coupe d’Algérie, la presse a eu droit jeudi à son message. Et cela à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse. Dans ce message, il fait part de sa décision du faire du 22 octobre prochain une journée nationale de la presse. Pourquoi le 22 octobre ? C’est la date du premier numéro du journal El Mouqawama El Djazairia (organe central du FLN et de l’ALN) publié le 22 octobre 1955.

A travers cette décision, le président Bouteflika entend ainsi rendre un hommage à la corporation des journalistes « la profession des ennuis », comme on dit « eu égard à la place de ce secteur dans la promotion de l'homme, la défense des fondements de la société et la contribution au développement global ». Le président de la République explique en outre qu’en dépit de ses ennuis de santé, il tenait à s’exprimer à cette occasion « pour réaffirmer l'engagement de l'État à doter la presse nationale et le secteur de l'information de mécanismes juridiques et de différentes formes de soutien à même de lui permettre de s'acquitter de ses nobles missions sans restriction à sa liberté, afin qu'elle puisse accéder à la place de choix qui lui revient dans le monde de l'information et du savoir ».

Le geste du président de la République d’avoir une pensée pour la presse algérienne, au moment où il fait face à des problèmes de santé, ne maque pas de grandeur. C’est incontestable. Et la corporation lui en saura certainement gré. Mais ce geste emprunt de grandeur, qui relève d’ailleurs plus de l’ordre du rituel ne doit pas pour autant occulter les difficultés de la presse nationale sous le règne du président Bouteflika.

Le dernier rapport de RSF est très révélateur à ce propos, situant l’Algérie aux 125 places, parmi les pays les moins respectueux de la liberté de la presse. Le ministère de la communication, prompte à dégainer quand l’Algérie est l’objet de critiques, pourtant fondée, va certainement trouver à redire sur ce rapport. Pourtant la réalité est bien là : tous les journalistes algériens considèrent qu’ils étaient (comble du paradoxe !) plus libres au temps du terrorisme islamistes qui en avait pourtant fait des cibles privilégiés (plus de 170 journalistes assassinées).

« Quand il m’arrive incidemment de relire certains de mes éditos écrits dans les années quatre–vingt -dix , je dis est-ce que c’est vrai ?Est –ce que on était si libres », regrette un éditorialiste dans un célèbre quotidien d’Alger. Aujourd’hui, la presse écrite est prise en tenaille entre le pouvoir politique et le pouvoir de l’argent. La plupart des journaux sont tenus de faire malgré eux dans le politiquement correcte pour avoir droit à deux ou trois pages de publicité de l’ANEP qui a le monopole exclusif sur le marché publicitaire de l’état. Pour ne pas se faire rappeler aussi à l’ordre par l’imprimerie de l’Etat qui sont de véritables épées de Damoclés.

Certains journaux de la presse, qui ont su garder une certaine liberté de ton, une certaine distance par rapport au pouvoir politique ne sont pas pour autant plus libres, car ils dépendent du pouvoir des annonceurs publicitaires privés. C’est eux qui dictent la ligne, dans une large mesure. « Lors du dernier salon de l’auto, nous avons vu des cas d’arnaques de la part des concessionnaires, mais nous ne pouvions pas les dénoncer, car pages de publicité obligent » se révolte un autre journaliste spécialisé dans l’automobile. « Les consommateurs algériens sont victimes d’escroqueries de la part des concessionnaires qui les obligent, pour certains, à payer l’intégralité du véhicule et attendre treize mois pour se le faire livrer » ajoute ce journaliste qui n’hésite pas à parler de « vraie mafia qui met en danger la vie des algériens avec des cercueils roulants ».

Ce double chantage politique et financier a pour conséquence la systématisation de la censure et de sa forme la plus sournoise et pernicieuse l’autocensure. Quant à l’audio-visuel, le pouvoir algérien multiplie de grandes phrases dédiées à l’ouverture prochaine de ce secteur. Des phrases ronflantes pour cacher la peur de ce pouvoir à réaliser la rupture dans ce secteur. « Plus d’un an après le vote par le parlement d’une nouvelle loi sur l’information censée abolir le monopole de l’audio-visuel public, l’autorité de régulation, préalable indispensable, n’a pas encore été instituée.

Aucune chaîne de droit privé n’a pu voir le jour. La nouvelle législation reste donc théorique, un simple effet d’annonce », note à ce propos le rapport de RSF. Alors, la presse algérienne a peut être besoin d’une journée nationale. Mais elle a certainement besoin de liberté pour continuer à exister dans la dignité. Pour continuer à être cet ultime recours des citoyens face à l’arbitraire des pouvoirs politique et financier.

« Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie » dit à juste tire l’écrivain et journaliste français Albert Londres (1884-1932) qui résume ainsi l’idéal du journalisme professionnel.



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