Abdelmadjid Tebboune, Premier ministre :« L’Etat, c’est l’Etat, l’argent, c’est l’argent » -discours APN20/06/2017
Je ne saurais trop insisterque le contrôle efficace doit avant tout se fonder sur un Etat de droit, avecl’implication des citoyens à travers la société civile, une véritableopposition sur le plan politique, une véritable indépendance de la justice,tout cela accompagné par une cohérence et visibilité dans la démarche de lapolitique socioéconomique, un renouveau de la gouvernance au niveau global afinde délimiter clairement les responsabilités. La moralité, du fait desajustements sociaux douloureux à venir, avec la chute du cours deshydrocarbures de longue durée. Cela impliquera plus de moralité des dirigeantsau plus haut niveau pour un sacrifice partagé afin d’éviter le divorceEtat/citoyens
1.- Si l’on veut lutter contre lacorruption, notamment contre les surfacturations, les transferts illégaux decapitaux, rendre le contrôle plus efficient, il y a urgence de revoir lesystème d’information qui s’est totalement écroulé depuis des décennies¸ posantla problématique d’ailleurs de la transparence des comptes, y compris, unegrande société comme Sonatrach.
Ayant euà diriger un audit financier avec une importante équipe avec l’ensemble descadres de Sonatrach et d’experts, sur cette société, il nous a été impossiblede cerner avec exactitude la structure des coûts de Hassi R’mel et HassiMessaoud, tant du baril du pétrole que le MBTU du gaz arrivé aux ports, laconsolidation et les comptes de transfert de Sonatrach faussant la visibilité.
Sans une information interne fiable, tout contrôle externe est difficile etdans ce cas la mission des institutions de contrôle dont celle de la Cour descomptes serait biaisée. Dans les administrations, disons que c’est presqueimpossible, du fait que leurs méthodes de gestion relèvent de méthodes du débutdes années 1960, ignorant les principes élémentaires de la rationalisation deschoix budgétaires. Dans son rapport rendu public dont la presse algériennes’est fait l’écho le 7 novembre 2012 de la Cour des comptes met en relief lamauvaise gestion des deniers publics et le manque de transparence.
Le rapportdénombre105 comptes spéciaux du Trésor, dont 16 n’ont pas connu de mouvements.Le nombre de comptes d’affectation spéciale reste prépondérant avec 77 comptes,soit 73% des CST. Pour les autres catégories, il est recensé 11 comptes deprêts, 9 comptes de participation, 4 comptes d’avance, 3 de commerce et uncompte d’affectation spéciale «dotation». Les investigations de la Cour descomptes ont mis en exergue la gestion défectueuse des Comptes d’affectationspéciale (CAS), étant sollicitées pour la réalisation des projets inscrits dansle cadre des plans quinquennaux 2004-2009 et 2009- 2014.
Le rapport note outrela non-conformité aux principes de la comptabilité publique et aux dispositionsde la loi, concernant tant les objectifs assignés, que la réalisation deprojets et de programmes, afférents au budget d’équipement par l’intermédiairedes CAS. La quasi-totalité des CAS n’a pas été réalisé malgré le soutien del’Etat et le volume des subventions. De plus, les banques ne produisent pas lesétats faisant apparaître la liste des bénéficiaires (particulier ou organisme)des bonifications sur les crédits accordés. Il a été noté également lesinsuffisances du contrôle fiscal.
Sur un nombre de 376.770 dossiers fiscaux,1465 ont été programmés pour la vérification de la comptabilité, le rapportsoulignant les insuffisances et les dysfonctionnements relevés, faute deprogramme de modernisation de l’administration fiscale. La Cour des comptesnote également dans son rapport que le taux de recouvrement des impôts est trèsfaible.
Plus grave, le document fait état de détournements et d’opacité dans lagestion des dossiers du microcrédit, une bonne partie de ces dépenses étantconstituée par des exonérations fiscales, dans le cadre de mesures incitativesintroduites par les différentes lois de finances afin d’encouragerl’investissement et l’emploi.
Malgré l’importance des exonérations accordées,le suivi des projets retenus n’a pas été au rendez-vous. L’absence de contrôlea encouragé certains promoteurs à ne pas respecter leurs obligations ouengagements. Cette situation s’est aggravée par une défaillance dans lacoordination des différents intervenants, Douanes, Impôts, Ansej et Andi. Cequi a amené certains investisseurs à détourner les projets de leur destinationinitiale et, dans certains cas, à la cession des équipements acquis dans cecadre.
2.- La rigueur budgétaire estfondamentale car au vu de la situation actuelle, il est évident que l’impact dela dépense publique entre 2000/2017, montant colossal, est très mitigé comme ladisproportion avec le taux de croissance durant cette période, une moyenne de 3%en moyenne alors qu’il aurait dû être le triple et au minimum le double.
Dans un rapport élaboré le 27 février 2013, repris parl’agence officielle algérienne APS, de la Caisse nationale d’équipement pour ledéveloppement (CNED), toujours d’actualité, il est mentionné qu’uniquement queles grands projets (non compris les petits projets , ni ceux deSonatrach/Sonelgaz non inclus dans le calcul) inscrits au titre du plan derelance économique 2004/2009 ont connu un surcoût global de 40% pour l’ensemblede ces projets, c’est-à-dire un surcroît d’argent public de l’ordre de 1 050milliards de dinars, (plus de 13 milliards de dollars). Le rapport note que lemaître d’ouvrage élabore souvent une offre financière et un délai deréalisation prévisionnels en croyant qu’il maîtrise tous les facteurs quientourent son projet, ne prenant pas en considération des contraintes, ce quiengendre des réévaluations des autorisations de programmes récurrentes etcoûteuses pour le budget de l’Etat. Le manque de maturation des études n’estpas le seul obstacle des réévaluations.
Ces difficultés sont généralement liéesà la libération des assiettes foncières et des emprises, aux retards dans ledéplacement des réseaux divers, le retard dans le choix et l’installation desbureaux et suivi de contrôle des travaux, la faiblesse des capacités nationalesde gestion et de suivi des grands projets, la non-maîtrise» des prix en Algérieen raison de l’existence de «marchés déstructurés».
Ainsi a été adoptée entre2010/2012 la Loi relative à la prévention et à la lutte contre la corruptionprévoyant la création d’un office central de répression de la corruption(OCRC), qui visait «la consolidation des règles de transparence, de probité etde concurrence loyale concernant les marchés publics. Récemment, il a étéprocédé à la nomination de la composante de l’Organe national deprévention et de lutte contre la corruption. Signalons qu’existent d’autrestextes de loi traitant, également, de la lutte contre la corruption, comme la loisur la monnaie et le crédit, relative à la répression des infractions de changeet des mouvements des capitaux de/et vers l’étranger. Il s’agira impérativementd’éviter le télescopage de tous ces organes et notamment de l’organe chargé dela corruption et la Cour des Comptes deux institutions stratégiques prévues parla Constitution.
Pour la cour des comptes dont le rôle est stratégique dans lamajorité des pays développés où existe un Etat de droit, en Algérie, elle estsous encadrée notant qu’uniquement le contrôle de Sonatrach nécessiterait 200magistrats financiers. Ayant eu l’occasion de visiter ces structures au niveauinternational et de diriger en Algérie par le passé ( en 1982 pendant laprésidence de feu docteur Amir, ex-secrétaire général de la présidence de larépublique), trois importants audits sur l’efficacité des programmes deconstruction de logements et d’infrastructures de l’époque, sur les surestariesau niveau des ports et les programmes de développement des wilayas, en relationavec le ministère de l’Intérieur, et celui de l’Habitat assisté de tous leswalis de l’époque, je ne saurais donc trop insister sur son importance enévitant, comme par le passé, qu’elle ne soit pas instrumentalisée à des finspolitiques.
La Cour des comptes, doit éviter cette vision répressive et être ungarde-fou, une autorité morale par des contrôles réguliers et des propositions.Elle peut jouer son rôle de lutte contre la mauvaise gestion et la corruption.Mais cela est insuffisant supposant un renouveau de la gouvernance sous tenduepar la visibilité et la cohérence de la politique socio-économique, devantéviter ce désordre actuel dans les discours, rendant urgent une réorganisationgouvernementale. Concernant les responsabilités, il y a lieu de tenir compteque l’Algérie est toujours en transition depuis 1986, ni économie de marché, niéconomie planifiée, existant un lien dialectique entre la logique rentièrebureaucratique et l’extension de la sphère informelle qui draine plus de 50% dela masse monétaire en circulation et accapare autant pour la superficieéconomique (voir mon étude réalisée pour l’Institut français des RelationsInternationales IFRI décembre 2013 – Poids de la sphère informelle au Maghreb).
C’est cette interminable transition qui explique les difficultés de régulation,posant d’ailleurs la problématique de la responsabilité du manager del’entreprise publique en cas d’interférences ministérielles, donc du politique,où la loi sur l’autonomie des entreprises publiques de 1990 n’a jamais étéappliquée. Dans ce cas, la responsabilité n’est-elle pas collective et renvoieau blocage systémique, les managers prenant de moins en moins d’initiatives ?Cela explique la bureaucratisation de la société avec des contraintes au niveaudu climat des affaires. Cela explique le manque d’esprit d’entreprises qui estfondé sur le risque et la déperdition des entreprises productives
3.-Les nouvelles technologies de l'information et de lacommunication (NTIC qui ont des implications au niveau de la gouvernancepolitique, la gestion des entreprises et des administrations et un impactégalement sur notre nouveau mode de vie renvoyant au savoir et à l'innovationpermanente, peuvent aider à plus de transparence et donc à la moralisation.
Politiques, entrepreneurs, citoyens, nous vivons tousaujourd'hui dans une société de la communication électronique, plurielle etimmédiate qui nous contraint à prendre des décisions en temps réel. La maîtrisedu temps étant le défi principal du siècle, en ce XXIe, engageant la sécurité nationale,toute inadaptation à ces mutations isolerait encore plus le pays.Mais, il fautle reconnaitre, l’Algérie souffre de la maitrise de l’anticipation en cemonde turbulent et instable, et donc d’une planification stratégique.
Dans cecadre, en 1983, en tant que directeur général des études économiques et premierconseiller à la Cour des comptes ayant été chargé par la présidence d l’époquedu dossier surestaries , j’avais suggéré , en relation avec les servicesdu ministère du commerce, des finances et de différents départementsministériels concernés, l’urgence pour lutter contre àla fois les surestaries et les surfacturations l’établissement d’untableau de la valeur. Dossier d’ailleurs toujours d’actualité et rendu urgent au vu des contraintes budgétaires, des nombreux bateaux en rades qui occasionnent des sorties de devises importantes.
Cela passe par la mise en place d’un système d’information en réseaux et en temps réel entre les administrations/ entreprises, lesports/aéroports, la douane, les banques, les services de la fiscalité reliés aux réseaux internationaux afin de connaitre les prix entemps réel les prix réels des marchandises importés produit parproduit. Or cela n’a jamais vu le jour car s’attaquant à de puissants intérêtsrentiers.
En résumé, l’Algérie souffreactuellement d’une crise de gouvernance. Sans réformesstructurelles profondes, supposant un minimum de consensus politique et socialet une visibilité et cohérence dans la démarche des réformes, il ne faut pass’attendre à des miracles. Plus on diffère les réformes, plus onépuisera les réserves de changes et cette crise de gouvernance risque de setransformer en crise financière, économique et politique avec le risqued’une déstabilisation régionale avec le retour au FMI 2019/2020, ce qu’aucunpatriote algérien ne souhaite. En bref, sans une transparence dans la gestion et une nette volontépolitique de lutte contre la corruption, il ne peut y avoir de développement enAlgérie impliquant une profonde moralisation de la société, surtout de ceux quidirigent la Cité.
Professeur desUniversités –Expert international Docteur d’Etat (1974) expert comptable -Abderrahmane MEBTOUL- Ancien haut magistrat Premier Conseiller à la Cour desComptes 1980/1983