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La bourreau-cratie a-t-elle exécuté l’administration ?

29-09-2020 14:17  Contribution

Par Kamel Khelifa*

En visite à Oran, M. Belkacem Zeghmati, ministre de la Justice, n’a pas mâché ses mots à l’égard des abus et des disfonctionnements de l’administration. Ce fait inhabituel venant d’un membre du gouvernement mérite d’être souligné et salué.  Il donne l’occasion à l’auteur de ces lignes de faire une synthèse globale de ses multiples contributions publiées relativement à ce fléau bureaucratique, pendant environ une vingtaine d’années, sur différents quotidiens nationaux, dont le LSA, LQO, El Watan, Liberté, etc.  

Dans un de mes articles (In LSA du 29 et 30/12/2012) j’avais même qualifié la bureaucratie de véritable monstre, ayant réduit l’Algérien à peu de chose et rendu l’Etat une dépendance de son pouvoir sans limite ni contrôle.  Quand des bureaucrates, après moult palabres et tergiversations, envoient promener un citoyen au Palais d’El Mouradia (on a entendu des ‘’allez vous plaindre chez Boutef…’’) ou renvoient sans sourciller des citoyens reconstituer un dossier complet au prétexte que celui-ci est introuvable chez eux, nous assistons là à l’administration de la preuve que l’Etat et ses fonctionnaires sont supplantés par la redoutable bureaucratie, à sa tête des sbires lâchés dans la nature la bride sur le cou. Si des agents de l’Etat égarent des papiers personnels confiés à l’autorité publique par les administrés, sans crainte de devoir rendre de comptes (les exemples ne se comptent pas), il y a là un sérieux problème de gouvernance. 

Etat des lieux de la gouvernance en l’absence de contrepouvoirs réels

Dans son livre « l’anneau d’améthyste », Anatole France, disait : « Nous n’avons pas d’Etat, nous avons des administrations. » Que devrions-nous dire en Algérie, nous qui n’avons pas d’administration, juste une bureaucratie emplie de nuisances ; un pouvoir des bureaux qui a dépouillé l’Etat et ses administrations de ses prérogatives de puissance publique au profit d’une catégorie sociale, réputée être au service du citoyen, se situant de fait au dessus des lois de la République, en toute impunité... 

Si les affaires publiques ne sont pas gérées par des lois applicables, à partir d’une ferme volonté politique et de la rigueur pleine et entière du droit, censées marcher de pair, chaque individu se considèrera en état légitime d’appliquer sa propre loi, comme dans la jungle. C’est le désordre qui règne à tous les niveaux dont je vais faire état ici et le parcours bureaucratique de l’Algérien au quotidien et à chacun de jongler avec  les armes à sa disposition, constituées notamment de la formule magique des 3 P, à laquelle ont recours tous les Algériens : Piston, Pognon, Pote. Vox populi a résumé la condition de l’Algérien par une figure de style parfaitement évocatrice du nihilisme potentiellement destructeur de notre destinée commune: ‘’Taga 3ala men tag’’…

Il apparait aujourd’hui que les Algériens ont moins besoin d’un personnel politico-bureaucratique, autant pléthorique que budgétivore, et souvent déconnecté des réalités quotidiennes du  peuple, que de contrepouvoirs forts à tous les niveaux de gestion du pays. Ceux-ci seraient placés entre des mains propres et en capacité de défendre scrupuleusement les droits des citoyens pour limiter les effets pervers de la gouvernance bureaucratique du pays… Les Algériens rêvent d’ombudsmans véritables, comme dans les pays nordiques (Suède, Danemark, etc.) ou de médiateurs de la république (Canada, France, etc.) pour être investis de cette responsabilité se généralisant à travers toute la planète. 

Assumer une responsabilité publique, n’est-ce pas soumettre chaque jour sa conscience au jugement de ses semblables et à l’épreuve de la vérité sous toutes ses formes? Les Algériens apprécièrent le travail exemplaire des médiateurs de la république, n’en déplaise à leurs détracteurs qui considéraient l’instauration de cette institution comme un crime de ‘’lèse-bureaucratie’’. Ainsi, après trois ans d’existence (96-99) seulement, l’organisation de feu Habachi Abdeslam ne put hélas survivre à la démission de l’auteur de cette institution, en l’occurrence le Président Liamine Zeroual. 

Apparemment la célérité dans les règlements des conflits entre les citoyens et les bureaucrates n’eut pas l’heur de plaire au système qui profita du changement de gouvernement pour faire un sort à la médiation, sans autre forme de procès... Ceci explique l’éphémère  existence de ce corps dont l’abrogation du texte, portant création de cette institution, a retourné les citoyens à la jungle bureaucratique où ils végétaient, dans un pays où le fonctionnaire n’est pas ‘’moulé’’ dans la culture de la neutralité de l’administration à l’égard du régime politique ; il deviendra bureaucrate dès lors que nul contrôle ne s’exerce sur le pouvoir dont il s’est emparé, au lendemain de la dissolution des toutes les assemblées élues, après le coup d’Etat du 19 juin 1965…  

En l’absence de représentants élus par le peuple, pour légiférer et faire équilibre au gouvernement, c’est l’administration qui a occupé le vide politique, puisque c’est à elle que revint l’insigne privilège de tricoter et détricoter les lois au niveau des départements ministériels (zitna fi dqiqna); organiser les élections et bourrer les urnes, sans culpabilité aucune ni témoins à charge pour dénoncer ces dérives, dès lors que l’ensemble du corps bureaucratique est tenu par des liens solidaires sans faille.  

C’est chemin faisant, en fricotant avec le pouvoir politique, que l’administration algérienne (il y en a eu une jusqu’en 1968) devint bureaucratie, élevée au rang de 3ème pouvoir , après celui du Conseil de la Révolution, des services de sécurité (Merbah, Draia et Bencherif furent les « Rbob Dzair ») de l’époque. 

Depuis lors, la bureaucratie n’a plus lâché prise, tant s’en faut, et depuis l’avènement au pouvoir de Bouteflika, avec des parlements aux ordres, la suppression des médiateurs, un DRS démembré, etc., celle-ci a repris du poil de la bête avec plus d’audace et de virulence. Lorsque la classe politique des lendemains de l’indépendance en 1962, la seule qui fut représentative à un titre ou un autre du peuple,  fut laminée par le coup d’Etat du 19 juin, les futurs dirigeants politiques, ultérieurement cooptés individuellement, viennent majoritairement de la bureaucratie, pour occuper des postes de ministres, ambassadeurs, wali, secrétaires généraux, Pdg de sociétés nationales, DG d’Offices et d’organismes publics, etc.  

En outre, le discours politique inaudible a accentué la crise de confiance et d’autorité entre gouvernants et gouvernés. Ces derniers pensent qu’en dehors des lois relatives à la sécurité, à la perception fiscale par le trésor public et les symboles institutionnels, sur lesquels tout un système veille l’arme au poing, le reste du dispositif législatif s’applique virtuellement, notamment lorsqu’il s’agit de rendre de justes droits aux citoyens... 

D’ailleurs, les interminables lamentations des Algériens ne tournent-elles pas constamment autour du mépris (hogra) et de la mauvaise interprétation (ou l’absence d’application) de la Loi ? Parce qu’il semble n’exister aucune volonté politique susceptible de rétablir ces contrepouvoirs et ce à tous les niveaux de la vie publique.  

Aussi, les gouvernés accusent-ils les gouvernants d’être seulement obnubilés par leur statut politique quasi-céleste, donnant l’impression d’ignorer de quoi est fait le quotidien des Algériens. La crise économique est parfois évoquée du bout des lèvres par des vizirs ‘’besogneux’’, sur des chantiers à la Potemkine, le temps de lancer quelques promesses itératives sur les médias. Mais ces vizirs paraissent ne pas voir ni entendre la crise morale qui affecte la société, depuis au moins un demi-siècle. Les gouvernants et autres privilégiés n’en parlent jamais car ils ne sont nullement touchés par la détérioration des conditions de vie de l’Algérien. Ils semblent voir en leurs administrés de simples mineurs inciviques, congénitalement rebelles à tout ordre établi, qu’il faut ‘’mater pour leur bien’’ (dixit Houari Boumediene), cité par Md Maarfia, In le soir d’Algérie 2012. 

Et lorsque le système veut agiter la  carotte, il a recours à l’assistanat corrupteur, tels : le panier du ramadhan ; le soutien des prix à la consommation des produits alimentaires ; l’Ansej, etc., au lieu d’inciter l’Algérien à entreprendre librement, en créant de la richesse dans son propre pays. Cet organisme  d’emploi des jeunes, créé en 1996, n’avait pas véritablement pour objectif économique la création de richesse de la collectivité, auquel cas on aurait fixé des règles à appliquer par les porteurs de projets, assorties d’objectifs de rendement à cette fin ; à l’instar d’initiatives semblables lancées par l’Onu et adoptées par nombre de pays sous forme d’innombrables start up ; en Algérie, il importe seulement pour les gouvernants d’acheter la paix sociale, quant aux rendements des investissements la manne pétro-gazière est là pour colmater toutes les brèches ... 

Avec de tels expédients, le système se donne bonne conscience d’avoir rempli sa mission et les tubes digestifs de nos compatriotes, avant de les pousser repu dans un sommeil politique profond, pour que les « gens du trône » règnent sans partage du pouvoir et le butin qu’ils se mettent plein les poches sans risque...  El Harrach aujourd’hui atteste de cet état de fait. Moins de contrepouvoirs et de compétition pour les postes d’excellence, sur le podium de la méritocratie, permet au système de se vautrer dans un océan de quiétude enveloppé par un univers fait de corruption à la faveur de son corollaire l’impunité…   

En ignorant le citoyen, sauf à satisfaire ce qui tourne autour de son ventre et son bas-ventre,  le système ne se met pas ainsi en devoir de faire appel à l’intelligence de l’Algérien, à son cœur, à sa raison et encore mieux à son sens patriotique, au risque de voir celui-ci se mettre à l’ouvrage, à réfléchir par lui-même, à être compétitif, créatif et à améliorer tous les mauvais classements de l’Algérie, pays retardataire impénitent dans tous les domaines...Tous les indices de développement accable régulièrement l’Algérie et celui de l’innovation place en 2018 le plus grand pays d’Afrique au 110ème rang sur 126 pays, loin derrière la Tunisie (66ème) et le Maroc (78ème), sans parler des libertés publiques où nous sommes lanterne rouge…  

Nos compatriotes ont fait la preuve qu’ils peuvent rivaliser avec les meilleurs (environ un millier de chercheurs algériens œuvrent au grand bonheur de la seule Silicon Valley (Usa)… En poutre, 7 à 8 millions de ressortissants Algériens dans le monde démontrent indubitablement qu’ils ne sont pas plus atteints d’une tare de moralité ou d’intelligence que tout autre peuple. Ils vivent comme leurs semblables dans les pays où ils ont élu domicile, en créant de la richesse; en prouvant qu’ils peuvent être de bons citoyens respectueux des lois du pays d’accueil; en bon contribuables ils s’acquittent de leurs impôts; en voisins ils jettent leurs sachets poubelles dans les conteneurs réservés à cet effet; comme piétons, ils empruntent le trottoir et traversent la chaussée sur un passage protégé…                                                                                                                                                  

Pourquoi, les nationaux ne font pas de même chez eux? Force est d’admettre l’influence et le poids du milieu, considéré ici comme une fatalité à laquelle il faut s’adapter. Face à un tel dilemme, faut-il jeter la pierre à l’Algérien ou au système dans lequel il évolue?  La réponse coulant de source, il semble à priori que de nouvelles conditions de gestion du pays s’imposent, sur la base d’un pacte politique et d’un projet de société à redessiner. Tous les faux problèmes, dont sont livrés ici quelques non sens, ne devraient jamais exister si nos compatriotes avait un Etat les considérant comme des adultes, capables d’être associés à leur devenir politique et à la gestion de la chose publique. Hélas, tel n’est pas le cas et les exemples cités ci-après, à titre purement indicatif, l’attestent incontestablement. Et aux ‘’biens pensants’’ de nous expliquer qu’il faut encore plus d’interdits à des Algériens peu en phase avec l’ordre et la loi. 

Restrictions et interdits, mamelles de prédilection de la corruption 

La preuve que les Algériens peuvent être disciplinés nous est administrée (ici-même en Algérie) par les mesures relatives au port de la ceinture de sécurité et l’usage du téléphone portable au volant de sa voiture; mesures dont les Algériens s’y conforment dans l’ensemble assez bien. Tous les peuples de la terre, sont originellement indisciplinés, paresseux et répugnent à travailler... C’est au système politique et aux gouvernants, qu’ils auront légitimement choisis, de réparer ces inconvénients… Le gouvernement pond parfois des lois, non pour réguler la marche de l’Etat dans son évolution logique, dans le cadre d’une vision globale, cohérente et homogène, mais par réaction, pulsions, humeur, mimétisme d’autres pays ou pour contrecarrer des antagonistes, des détracteurs, etc.  

Notre pays est bureaucratiquement géré par des sortes d’intermission et l’exemple au plan économique du crédit documentaire obligatoire, en tant que mode de paiement international, est assez significatif, à cet égard; une aberration non seulement économique mais également politique qui appauvrit notre pays au lieu de l’enrichir... Cf. les maintes interventions de l’auteur de ces lignes à ce sujet et dont la contribution In El Watan du 07/02/2012, représente une thèse pour les nuls, afin de comprendre le rôle et la portée du Credoc, vidé en Algérie des avantages qui font tout son intérêt. Notre pays semble se satisfaire de payer des intérêts en devises aux banques de renom garantes de ce mode de paiement international, sans palper les gains escomptés par la systématisation de ce mode de paiement, utilisé dans le négoce international en dernier recours. 

Pourquoi soumettre le peuple à tant d’austérité quand on enregistre 4 à 5 milliards Usd de manques à gagner (constitués en partie de pertes sèches) en raison d’une gestion approximative du commerce extérieur et de la chaine logistique ; au moins la moitié de ces sommes est récupérable, pour peu que la bureaucratie cède le pas à l’expertise algérienne… Je fais le pari qu’avec de simples mesures de facilitation et de contrôles honnêtes et compétents, notre pays peut se passer de tous les interdits fondés sur la suspicion, alors que ces derniers mois, les tribunaux nous ont montré que le vol et la rapine se sont généralisés par ceux-là même qui gèrent ce pays…  Est-il besoin de rappeler les années de prohibition aux Usa qui ont mis en évidence le fait que les interdits attirent la corruption comme un aimant aspire à lui la limaille?                                                                                                                                                                        

Il me plait parfois de citer l’exemple de l’’’autorisation de sortie du territoire national’’, instaurée à la fin de l’année 67, sous un prétexte des plus  burlesques : les Algériens furent enfermés pour défendre (les mains nues?!) l’Algérie contre un ennemi situé à 6000 km d’ici, susceptible, nous disait-on,  de nous attaquer à l’improviste, comme le fut l’Egypte en juin 67 par Israël; en sorte que nos compatriotes, n’ayant plus le droit de quitter le pays sans cette autorisation, ont vécu pendant 12 ans (67-79) dans une prison à ciel ouvert. La délivrance de cette autorisation, par la daïra, finira, à l’exemple de nombreux ‘’interdits’’, par être l’objet de bakchichs, suivant un barème dont les montants variaient de 500 à 1000 DA; un magot pour l’époque, quand on sait que le Smig était de 500 DA/mois et le Smag de 380 DA... 

Voici les circonstances dans lesquelles la corruption à grande échelle s’installa en Algérie, alors qu’à l’époque gratifier un garçon de café d’un simple pourboire pour manifester sa prévenance était mal vu par nos compatriotes. 

Nuisances bureaucratiques et maux sociaux

La résilience des Algériens a été sérieusement ébranlée, pendant au moins deux générations, par des privations et pénuries de toutes natures devant des Souks El Fellah, aux étals vides, sans parler des coupures d’électricité et d’eau rivalisant avec les sempiternels dérangements du téléphone, auxquelles s’ajoutent aujourd’hui les perturbations récurrentes d’Internet (pas seulement pendant la période du BAC !), y compris l’approvisionnement en médicaments dans une médecine aussi gratuite que l’acte qui lui a donné le jour… Les nerfs des Algériens sont constamment en ébullition, à la simple évocation de la proverbiale bureaucratie qui les sollicite sans répit avec des problèmes plutôt que d’apporter des solutions à leur existence. N’est-ce pas son rôle et c’est sans doute ce qu’a voulu rappeler le ministre de la justice, jeudi dernier à Oran.

Les maux sociaux dus aux nuisances bureaucratiques ont un coût socio-économique, mesurable, notamment par la facture des importations de médicaments avoisinant les 2 milliards d’Euros, dont une part conséquente est consacrée à l’achat de psychotropes et autres antidépresseurs, en usage, nous dit-on, plus particulièrement dans les pays industrialisés… Dans ce pays du tiers monde, on se surprend parfois à implorer le ciel résigné: ‘’Allah ghaleb’’, ‘’c’est ça l’Algérie!’’ A force de dire Amen, l’Algérien en est arrivé à se faire maltraiter verbalement, voire physiquement. Les frasques d’Air Algérie sur le net, nous montrent des agents de cette compagnie (majoritairement pistonnés) vociférer contre des passagers, lever la main sur eux… Et un député des Amériques-Asie de dire dans les années 2000 : ‘’quand on va au consulat d’Algérie (…) on a l’impression d’entrer dans un commissariat…’’ Qu’a fait au Ciel ce peuple, pour souffrir ce martyre? 

Les privilégiés ne connaissent évidemment pas ces supplices, puisque ce sort est réservé uniquement à l’Algérien lambda.  Là aussi, les plus futés vont s’’’attacher’’ (soudoyer) les services de préposés (pas tous heureusement) bien rompus à cet exercice, pour ne pas subir ces inconvénients  démoralisants pour les individus et affligeants pour le pays. Globalement les services publics sont logés à la même enseigne, à cause d’une hyper bureaucratisation du pays, pour des prestations de service franchement médiocres, résultant sans doute du manque de compréhension de la mission de service public par les agents de l’Etat et leur refus de s’amarrer à la modernité qui tend vers « zéro papier »...                                                                                                         

Ainsi, l’exercice du pouvoir par les bureaux va, par sa rigidité outrancière et son peu d’efficacité, jusqu’à laisser supposer que l’Algérien est par essence un mauvais sujet… A cet égard, la meilleure preuve nous est fournie par le recours obligatoire et systématique au notaire; une des professions les plus appréciées dans le monde, rendue dérisoire en Algérie. Au Canada, les notaires viennent juste à la deuxième position après les pompiers, dans le cœur des Canadiens. Ce geste d’établir un acte notarié, pour tout et n’importe quoi, a significativement dévalorisé la fonction de notaire, même si le métier rapporte énormément d’argent à l’Etat et à l’auxiliaire de justice. Au temps des actes sous papier timbré, légalisés à la mairie, il y avait moins de trafic et de notaires radiés ou emprisonnés que maintenant. Voilà comment on clochardise des professions, les plus nobles soient-elles.

Il y a des notaires qui sont carrément placés dans des situations de monopoles, au point de ne pouvoir faire face à la charge à eux confiée par des organismes publics, pendant que des affaires trainent dans les études notariales pendant des années, en dépit des encaissements des droits, taxes et frais de notaires rubis sur ongles ; face aux lenteurs générés par cette impasse, le génie de la bureaucratie est d’avoir inventé un autre formalisme, en l’occurrence la transaction (vente et d’achat), à la faveur d’un artifice appelé « promesse de vente »…; ce qui suppose néanmoins une régularisation ultérieures, avec d’autres frais supplémentaires supportés au moins par l’une des parties à la transaction…

Le recours au notaire est censé relever de la volonté individuelle (droit supplétif) et non d’une obligation administrative (droit impératif), donnant la nette impression que l’administration n’a nullement confiance en ses administrés. Dans d’autres pays, on a recours à l’acte notarié lorsque les rapports de confiance sont douteux ou ne présentent pas de garanties suffisantes. Ici, le caractère systématique et obligatoire du recours au notaire est aberrant, d’autant que l’étude notariale exige en outre la présence obligatoire de deux témoins. Dans ces conditions à quoi sert l’assermentation du notaire? Dans les pays anglo-saxons, et même dans de nombreux pays musulmans, la parole d’honneur est encore verbale. Il suffit que la traçabilité de la transaction soit évidente, pour laisser libre cours à la volonté des parties. 

L’attestation sur l’honneur sur papier timbré ne paraissait pas suffisante aux yeux des décideurs pour soumettre encore ce document à notarisation, au lendemain de la privatisation de la profession dans les années 90. Quand on soumet notre parole d’honneur à l’acte notarié, que nous reste-il encore comme principes et valeurs morales ? Dans les pays qui se respectent, où le citoyen est a priori considéré comme honnête, nulle loi ne lui impose de se soumettre à l’obligation désagréable, et non moins humiliante, de passer devant le notaire pour l’empêcher prétendument de se soustraire à ses obligations morales… 

C’est la meilleure façon d’installer la suspicion dans l’esprit de tout le corps social et de créer par conséquent de mauvais citoyens. Si ceux-ci ne sont pas loyaux, il doit exister une faille dans le milieu social et éducatif et corolairement dans la gestion de la chose publique. Dans ce cas, il appartient à la politique (n’est-ce pas l’art du possible?) de le refaçonner, comme Atatürk s’est employé à policer les Turcs, Bourguiba les Tunisiens, Franco les Espagnols, Salazar les Portugais, Mao les Chinois, etc.                                                                             

Quid de l’application des lois sur les activités d’utilité publique 

Il fut un temps où les pages de journaux étaient remplies d’annonces portant enquêtes ‘’commodo-incommodo’’, préalablement à la construction d’un édifice ou de création d’activités porteuses de nuisances. C’était du reste un préalable à l’obtention du registre de commerce et/ou du permis de construire. L’absence de ces enquêtes légales a livré nos villes et villages à une anarchie en béton à étages multiples (exit le R+1 réglementaire): des quartiers résidentiels sont transformés en autant de zones de nuisances; des dépôts de stockage, d’approvisionnement; d’ateliers de mécaniques, de tôlerie, d’installation d’alarme, de menuiseries, d’unités de marbre, etc.; outre des fabriques où ces activités s’accompagnent des inévitables livraisons de matières premières et de distribution de produits finis, à toute heure du jour et de la nuit. 

Que dire des nuisances sonores exaspérantes des chignoles, des scies à métaux, des marteaux piqueurs, des pelles mécaniques pour d’incessants travaux de transformation, dans des constructions mixtes, devenues cadre de vie et d’ateliers… On vient de rajouter dans une ville hyper bruyante comme Alger (à l’ère des drones silencieux dans la plupart des pays), des hélicoptères de surveillance qui tournoient autour de certains axes autoroutiers avec des vrombissements assourdissants. 

Je passe sous silence les bruits des pétards et fumigènes (interdits!?) à longueur d’années et tard dans la nuit, à l’occasion de mariages, de matchs de foot, de fêtes religieuses, outre le tintamarre des motos avec échappement libre. Et l’on s’étonne que les Algériens soient des écorchés vifs, pouvant en arriver aux mains au moindre prétexte… Jules César avait en son temps, il y a déjà plus de 2000 ans, réglementé les nuisances provenant des bruits, en interdisant notamment aux chars de circuler le jour, aux heures de la sieste, et la nuit à partir de 20 heures, pour permettre aux Romains de se reposer…

Que sont devenues les règles de circulation et de conduite dans la Cité ?

Les trottoirs et les chaussées ont perdu (ou plutôt ont changé) leur vocation première. En effet, tandis que les voitures et les commerces en tous genres envahissent les trottoirs, les piétons défilent en tous sens sur la chaussée.  Les quelques étrangers encore de passage dans notre pays, sont effrayés par la gymnastique à laquelle on se livre pour se frayer un chemin dans ces enchevêtrements inextricables. Les stationnements sur une seule rangée, suivant les jours pairs et impairs, n’existent plus, tout autant que le paiement du stationnement se faisant sous d’autres cieux par horodateur... Ici les espaces de stationnement sont accaparés par des commerçants qui font leur loi en se réservant ‘’à l’œil’’ des emplacements devant leur magasin, sous formes d’obstacles : piquets avec chaines, triangles métalliques cadenassés, chaises, vases, etc. Les espaces restants sont livrés à des margoulins (‘’parkingueurs’’), qui ont trouvé le moyen de s’assurer une ‘’aumône obligatoire’’, consentie par l’automobiliste pour ne pas en arriver aux mains…                                                                                          

Que dire alors de ces ralentisseurs (‘’dos d’ânes’’) hors de toutes normes légales. Ce spectacle, autant lamentable que dangereux, fait partie du décor des villes et villages algériens, y compris sur des routes nationales et autres rocades, comme si les nombreux nids de poules, défoncements et affaissement des chaussées ne remplaçaient pas avantageusement ces ‘’dodanates ‘’ (maltraitance lexicale du français); chaque Algérien se sent, le laisser-faire de la bureaucratie aidant, en droit d’installer son ‘’dos d’âne’’ devant chez lui,  soit autant de désagréments de nature à entraver la fluidité de la circulation routière, abimer les véhicules des gens... 

Apparemment on n’a pas compris que l’économie d’un pays, pour être dynamique, ne peut s’accommoder de ralentisseurs… Un transporteur routier me disait qu’avant l’installation des barrages fixes, multiplié à l’infini dans le pays et plus particulièrement dans la capitale, il pouvait effectuer aisément deux voyages par jour, du port aux différentes zones industrielles alentour. Avec les barrages fixes, où souvent ceux des gendarmes tutoient, quelques dizaines de mètres plus loin, ceux des policiers (?!), auxquels s’ajoutent ces ‘’ralentisseurs’’ sauvages, il ne fait plus qu’un voyage à présent.  Nous assistons là à un cas flagrant d’anti-économie, du fait d’une facture des surestaries en devises (pénalités pour dépassement de délai de restitution du moyen de transport) inversement proportionnelle à la vitesse de rotation des conteneurs. 

Si le transporteur n’effectue qu’un voyage au lieu de deux,  du fait de l’absence de mesures de facilitation portuaire et de la fluidité de la circulation, cela se répercute inévitablement sur les temps de souffrance des marchandises et d’attente des navires dans les ports maritimes et ports secs… Même si on multiplie le nombre de camions, on ne fera qu’augmenter le coefficient de congestion et de pollution de la ville et notre transporteur ne fera plus qu’un demi-voyage au lieu d’un seul actuellement… On peut ainsi écrire des thèses sur les maux sociaux et le laxisme ambiant, du fait d’une gouvernance paraissant dépassée par les évènements…

Genèse des commissions de lutte contre la bureaucratie

Déjà dans les années 70 fut constitué en 1976, un comité de réflexion chargé de se pencher sur ce fléau social, suite à des scandales nés des abus du formalisme, instauré autour de la délivrance des passeports et de l’autorisation de sortie du territoire national, évoquée plus haut, de sinistre mémoire... Il semble que les Algériens aient la mémoire courte, mais pour ceux qui s’en rappellent encore l’obtention de ces pièces de voyages fut soumise à de tels tracas bureaucratiques que la pratique de pot de vin (Chipa) s’imposa de facto pour se généraliser suivant des barèmes bien établis et selon le caractère d’urgence de la demande de sortie d’Algérie. On remarquera que la corruption sévit plus particulièrement dans les pays hautement bureaucratisés, à l’instar des ex, pays communistes où l’interdit fut de règle, pour servir d’adjuvant à la machine bureaucratique… 

Au lendemain de sa désignation, à la tête de l’Algérie Chadli Bendjedid, alors Secrétaire Général du Parti et Chef de l’Etat, constitua en 1981 une autre commission dont le rôle consista à faire un état des lieux sur ce que l’on qualifia à l’époque de « maux sociaux bureaucratiques ». Ainsi, un diagnostic et des propositions de lutte contre la bureaucratie devaient résulter des travaux de cette commission qui émit des suggestions, propres à éradiquer ce phénomène destructeur du destin commun et de ce qui restait comme vestige de l’administration.

Au grand désespoir des bureaucrates, l’autorisation de sortie fut purement et simplement supprimée et le formalisme, entourant la délivrance du passeport, fut nettement allégé, avec en prime une allocation touristique accordée une fois par an à tous les citoyens algériens désireux de se rendre à l’étranger. Ce fut une avancée majeure à l’époque pour un peuple frustré par les pénuries de toutes sortes de produits, outre qu’il fut privé d’aller se « ventiler »  un peu à l’étranger, s’il en avait envie… 

Par rapport à l’austérité imposé par son prédécesseur, le nouveau président fit une véritable révolution par ce geste de bonne volonté, ce qui lui valut la sympathie des Algériens qui applaudirent à tout rompre ces mesures ; dispositions vues évidemment d’un très mauvais œil par les bureaucrates, mécontents d’enregistrer autant de manques à gagner…

A son tour, Mohamed Boudiaf, le premier Président du Haut Comité de l’Etat, avait à l’esprit le phénomène bureaucratique auquel il entendait « livrer une lutte sans merci », selon ses propres termes confiés à un ami le regretté Mokhtar Boutaleb, ancien membre de la Ligue des Droits de l’Homme. Connaissant la détermination de l’homme, qui connut le sort tragique que l’on sait, il était certain qu’il serait parvenu à un certain résultat, à défaut d’éradiquer totalement le mal dont souffrait la société algérienne. 

A sa prise de fonction, en tant que Chef de l’Etat, le général Liamine Zeroual se préoccupa également du fléau constitué par la bureaucratie et en ce sens des médiateurs de la République furent nommés, comme recours social à tous les problèmes vécus par les citoyens dans leur affreux quotidien… Le travail fait par ces médiateurs, même s’il ne fut pas parfait, a quand même produit un certain résultat, dans la mesure où le pouvoir bureaucratique commençait à perdre de sa superbe, par crainte d’être confronté à ce contrepouvoir naissant.

A la surprise générale, cette institution n’a pas survécu à son initiateur, puisque le système profitera du premier changement venu pour faire oublier jusqu’à son existence… Au moment de la campagne électorale de 1999, Abdelaziz Bouteflika, alors candidat à l'élection présidentielle, déclarait sans ambages à une chaine TV étrangère : « lorsqu’on à faire aux tracasseries administratives, il (Bouteflika) pouvait comprendre que l’on puisse devenir terroriste… »

En s’installant à la tête de la Présidence de la République, une autre commission fut constituée par lui et dont les conclusions rejoignirent celles précédemment émises par ses prédécesseurs. Mais depuis lors non seulement le rôle de l'État fut dissous, celui de la bureaucratie amplifié et l’impunité généralisée, à enseigne telle que le système, n’ayant jamais été autant puissant, a désormais la bride sur le cou.

Combien d’élus, de hauts responsables, d’hommes en uniforme, de gens assermentés, etc., sont mis en examen (petite partie visible de l'iceberg, ne tenant pas compte de la procession de gens qui se tiennent par la barbichette), pour diverses affaires judiciaires liées à des abus d’autorité, de corruption, de détournements et de dilapidation de deniers publics, etc. Ils ne se comptent plus, mais on peut estimer à plusieurs dizaines de milliers les gens qui ont fait fortune depuis 1962 à ce jour sur le dos de la collectivité, se recrutant principalement parmi la bureaucratie... Ce sont ces multiples questions qui posent toute la problématique des déviances des agents de l’Etat, du rôle de l’informel initié et animé par le système, de la dissolution de l’administration exécutée par la bureaucratie, de l’effacement des fonctionnaires au profit de nervis, pour la plupart cooptés et installés à des niveaux de décisions stratégiques.

Dès lors qu’aucune volonté politique ne peut s’exercer contre ces fléaux socioéconomiques, c’est la preuve que l’Algérie n’a pas pu se doter d’un Etat régalien digne de ce nom, avec une direction en mesure de faire fonctionner convenablement son administration, dans le cadre du respect des Lois et règlements, sur lesquels sont supposés veiller les services de sécurité… Sécurité de qui ? Rétorquent désabusés les Algériens ; il y en a que pour la sécurité des gens du sérail, installés dans leur bulle de quiétude sur les hauteurs d’Alger et dans les résidences d’Etat… 

Mais apparemment, ces organes et ressorts réputés être ceux d'un Etat républicain, furent destinés beaucoup plus à servir la supposée « révolution », devenue au fil du temps un système aux pouvoirs surnaturels et démoniaques et le pouvoir des bureaux (bourreaux) par elle instauré.

N’est-ce pas le vœu des hommes forts, de la République Algérienne Démocratique et Populaire naissante, ces inspirateurs la Charte d’Alger en 1964, d’avoir fait en sorte que les « militants », les « masses laborieuses », la justice, l’armée, les forces de l’ordre, etc., enfin toutes les forces vives soient au service de la révolution et non au service du peuple ?  Voilà la grosse erreur de ce peuple d’avoir accepté que des apprentis-sorcier s’érigent en maitres de ce pays, pour le mener là où nous sommes…  

Voilà comment l’Etat, censé être républicain, le peuple supposé libre et souverain et son administration, autonome dans l’exécution de ses missions, se sont retrouvés aliénés ; situation politique ayant poussé des centaines de milliers d’Algériens à aller chercher sous d’autres cieux un peu d’ordre, une meilleure qualité de vie et un statut de citoyen honorable. Ces derniers années, pour faire illusion, devant la grogne contre la bureaucratie et les maux sociaux qui gangrènent le pays, le pouvoir a cru utile de créer des sites en ligne, comme le portail e-citoyen, elmouwatin.dz, lancé en juin 2010, à l’instar de beaucoup d’autres comme le e-commune ou e-santé.

Ainsi ces sites furent-ils présentés en grande pompes comme des sortes de « guichet unique »,  avec pour principale mission de renseigner et d’informer les citoyens. De nombreux textes de réglementation, avec de pseudos « liens utiles » et autres annuaires guident la navigation du citoyen. Et chaque service renvoie directement vers la page du site concerné… Mais nulle part, il n'est affiché la volonté du gouvernement de répondre à la question lancinante posée par des millions d'Algériens, de savoir : comment ne plus passer le plus clair de son temps à côtoyer les bureaux et surtout comment faire pour ne plus se faire renvoyer d’un bureau à un autre ?

Comment faire aussi pour limiter la redondance de papiers à présenter, dont se fait l’écho aujourd’hui le ministre de la justice en personne, d’autant que les administrations les possèdent à un titre ou un autre ? Quels sont les recours possibles ? Lorsqu’un citoyen n’est pas satisfait du service, en dehors de ces registres de doléances imbéciles qui ne sont d’aucune utilité, en l’absence d’un contrôle citoyen sur les suites à donner…  Tant qu’il n’y aura pas de contrôle véritable, non par des bureaucrates qui gèrent leurs carrières ou des « élus » sacrilèges de la chkara (sénateurs parodiques, députés-affairistes à l’APN et de pseudos  élus municipaux, parmi lesquels de nombreux arracheurs de dents, sortis droit des Souks hebdomadaires), il n'y a rien à attendre de cette politique de marchands forains de la politique qui n’affichent aucune conviction ni volonté de régler les problèmes de ces pauvres algériens, impuissant face à la mainmise bureaucratique sur le pays…

Hélas! la volonté politique relève de la cryptozoologie : sciences qui s’occupe d’espèces animales n’ayant jamais existé ou dont l’existence est sujette à caution, comme le serpent de mer dont tout le monde en parle et personne ne l’a vu, en dehors de témoignages devenant à la longue des mythes. Le peuple algérien croira à cette volonté le jour où le « mythe » sera matérialisé par l’instauration réelle de véritables contrepouvoirs susceptibles d’apporter, au pouvoir quel qu’il soit, la contradiction partout et à tous les niveaux…

Kamel Khelifa, Journaliste indépendant, essayiste, expert en commerce international, transports et logistique 



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