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L’ impasse de l’économie vénézuélienne : une expérience à méditer pour l’Algérie

12-03-2018 10:38  Pr Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert International DrAbderrahmane MEBTOUL

Doté de la première réserve mondiale de pétrole (environ302,25 Mds de barils), le Venezuela est excessivement dépendant desfluctuations du prix du pétrole (qui constitue 96% des exportations). Lesmatières premières n’ont jamais constitué le facteur décisif du développement,l’exemple le plus frappant étant l’Afrique.

Or, la bonne gouvernance et la valorisation du savoir,constituent le pivot d’un développement durable. C’est le paradoxe d’uneéconomie rentière, le Venezuela étant un pays riche en ressources naturelles maisavec une population de plus en plus pauvre, le pays étant au bord de lafaillite, un modèle que le parti des travailleurs algérien qui louaitincessamment ce pays voulait dans un passé récent appliquer à l’Algérie, lesparoles partent mais les écrits restent.

L’Algérie, pour ne pas renouveler cette expériencemalheureuse, doit méditer la leçon vénézuélienne.

1.-L’expérience de la dérive vénézuélienne

1.1--Quelques  socio-économiques du Venezuela (données du FMI 2012/2018)

D’une superficie de 912.050 km² avec comme capitale Caracaset des principales villes, Maracaibo, Valencia, Barquisimeto, Maracay, Merida,Ciudad Bolivar avec environ 40 langues autochtones (wayuu, piaroa, pemón,guahibo, etc.), le Venezuela fait partie de la CEPALC (Commission économiquepour l'Amérique Latine) et de la MCCA (Marché Commun d'Amérique Centrale). Ilest partenaire du MERCOSUR, s'étant retiré de la Communauté andine, quiregroupe plusieurs pays du cône sud, en 2006.

Le Venezuela a une population de 31, 518 millions en 2016dont 93, 4% urbaine et 6,6% rurale avec une densité de 28,5 habitants par km2,une espérance de vie de plus de 72 ans, et un taux d’alphabétisation de 95,5%.Avec la crise pétrolière, le produit intérieur brut (PIB), en milliards de dollarscourants US  a été estimé   selon le FMI à  242 milliards de dollars en2015, de 236 en 2016, de 215  en 2017avec une prévision de 207 en 2018  et 184en 2018 donnant un PIB, par tête d’habitant, nettement en baisse passant de7922 dollars en 2015 à 6850 dollars en 2017 avec une prévision de 6528 dollarsen 2018 et 5736 dollars en 2019. Les principaux secteurs d’activités dans lePIB : secteur agricole : 3,8 % ; secteur industriel : 45,8 % avec dominance deshydrocarbures (96% des exportations en devises) et le secteur des services :50,4 % en 2015 qui est passé à 71% en 2017 avec la dominance de la sphèreinformelle.

Les exportations de produits non pétroliers ne sont quemarginales (4 à 5% du total) et sont en diminution constante en valeur et envolume en raison des difficultés croissantes rencontrées par l’appareilproductif national. Elles sont dominées par les produits chimiques et minéraux(6070% du total).

La dette extérieure du Venezuela est estimée entre 100 et150 milliards de dollars. Le Venezuela a raté des paiements de 237 millions dedollars sur ses emprunts obligataires à échéance 2025 et 2026, ne parvenant pasà rembourser même à l'issue de la période de grâce de 30 jours, selon l'agenceS&P.

Le taux de chômage officiel serait de 8/10% mais selon leFMI a évolué ainsi : 7,8% en 2012, 7,5% en 2013, 8,8% en 2014, 14,0% en 2015,de 26,4% en 2017, et près de 30% en 2018.

Le taux d’inflation est passé de 111% en 2015 à 254% en2016, 652% en 2017 et selon les prévisions du FMI 2349% en 2018 et 3474% en2019. Le cours de la monnaie le Bolivar est passé de 5,30 un euro en 2012 à7,72 e, 9,85 en 2013, 8,02 en 2014, 6,71 en 2015, 9,85 en 2016 et le 9 mars2018 le bolivar s’échange à 12,29 pour un euro et 9,98 VEF  pour un dollar avecun écart de 100% sur le marché parallèle.

Selon les documents du FMI, les exportations duVenezuela  sont passées  à 97 milliards de dollars  en 2012, 88 en 2013, 74 en 2014, 36 en 2015 et 24 milliards de dollars en 2016auquel il faut ajouter  une moyenneannuelle  entre 1,8 et 1,4 milliards dedollars de services marginaux au niveau de la balance des paiements.

Quant aux importations, elles sont passées de 51 milliardsde dollars en 2012, à 48 en 2013, à 43 en 2014, 33 en 2015 et 13 milliards dedollars en 2016.

A cela il faut ajouter les importations de services quifluctuent entre 18 et 14 milliards de dollars entre 2012/2016, d’où destensions budgétaires et avec les restrictions des importations d’importantespénuries et des tensions inflationnistes.

Dès lors nous assistons à une détérioration du pouvoird’achat des couches les plus vulnérables et le nivellement par le bas descouches moyennes qui constituent la base du pouvoir.

La balance des transactions courantes connait une nettedétérioration, 11,02 milliards de dollars en 2012, 5,33 en 2013, 10,89 en 2014,un solde négatif de 3,98 milliards de dollars en 2015, un solde négatif en 2016respectivement 4 milliards de dollars de un (1) milliard de dollars en 2017 et3 milliards de dollars prévision 2018.

La dette publique totale (interne et externe souveraine + PDVSA)s’élèverait à 80% du PIB contre 56% en 2014. Corrélée à la rente deshydrocarbures, le Venezuela, en proie à une profonde crise économique, a vufondre ses réserves de change estimées à 16,3 milliards de dollars au 01 janvier2016 milliards de dollars pour s’établir au 01 janvier 2018 à 9,33 milliards dedollars, un niveau le plus bas depuis 20 ans

 1.2.- le Venezuela, une économie rentière à fortespotentialités, en semi - faillite

Si le Venezuela a des réserves de pétrole, une des plusimportantes du monde, c’est un pétrole lourd et coûteux à extraire.

Par ailleurs, son principal marché par le passé étant lesEtats Unis d’Amérique, avec la révolution du pétrole et du gaz de schiste, lesUSA deviennent auto-suffisants et exportent même.

En plus, avec la déperdition de ses cadres, le manqued’investissement au niveau de la principale société vénézuélienne, entre2013/2017, la production de pétrole est passée de 3,5 millions de barils jour àmoins de deux (2)  millions de barils en2017, avec une très forte consommation intérieure, les prix pétroliers étantsubventionnés.

Se disant victime d’une guerre économique, le président duVenezuela Nicolas Maduro, face à l'ampleur de la crise économique, a décidéd’opérer un resserrement de la politique budgétaire, décrétant en janvier 2016 «l’étatd’urgence économique» d’une durée de 2 mois renouvelable, d'augmenter leprix de l’essence, une première depuis près de 20 ans (même si le prix resteparticulièrement faible).

Il a aussi autorisé une dévaluation très forte de la monnaie,dont l’objectif serait de relancer la production locale, mais en réalitéd’essayer de combler le déficit budgétaire au prix d’une inflation importée.

En effet, selon une étude récente réalisée par BNP Paribas,le gouvernement a mis en place un système de rationnement. Chaque citoyen nedoit pas acheter plus que sa quote-part et il ne doit pas se rendre plus d'unefois par semaine dans les magasins publics.

La banque centrale coordonne la mise à disposition desdollars issus, en grande partie, de la rente pétrolière en appliquant plusieurstaux de change, le plus faible concerne les produits de premières nécessités.

Le gouvernement de Nicolas Maduro accuse les spéculateurs,les entreprises privées et l'opposition de gonfler les prix et d'asphyxieréconomiquement et par là de déstabiliser le pays, entendu le régime en place.

Ne s’attaquant pas aux réformes structurelles, avec desactions conjoncturelles, il décrète l’occupation temporaire de grandes usineset des expropriations, solutions conjoncturelles, qui amplifient les tensions.Les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques, leralentissement de l’investissement privé devrait se poursuivre malgré laprobable élimination progressive des restrictions aux importations et auxdevises.

La méfiance des investisseurs locaux et étrangers face àl’insécurité du cadre juridique devrait encore favoriser les sorties decapitaux du pays. L’inflation devrait rester élevée, alimentée par l’expansionrapide de la masse monétaire, la forte dépréciation du bolivar face au dollaret l’euro, et le pays n'ayant plus assez de devises pour payer tous sescréanciers.

2. Quelle conclusion tirer pour l’Algérie

2.2-Eviter le pilotage à vue et urgence d’un managementstratégique

La semi- faillite du Venezuela réside en son modèlesocio-économique qui est basé sur une redistribution de la rente pétrolière,reposant sur deux postulats : la consommation interne et une forte dépensepublique.

La croissance, nourrie par les cours élevés du pétrole, a été,jusqu’en 2012, l’une des meilleures croissances d’Amérique latine, mais une croissanceartificielle dampée par la dépense publique.

Depuis cette date, l’aggravation des déséquilibresmacroéconomiques et la chute des cours du pétrole ont totalement inversé cettetendance.

Mais les réserves de change tendant vers zéro et  un endettement de plus en plus lourd,réduisent les marges de manœuvre du gouvernement et rendent la menace d’undéfaut de paiement de la dette externe vénézuélienne probable en cas d’un coursinférieur à 80/90 dollars, le pays ayant fonctionné dans un  passé récent sur la base d’un cours de 120dollars le baril.

Le Venezuela a évité de justesse le défaut en 2015 grâce auxprêts accordés par la Chine. Malgré les augmentations de salaire, le pouvoird’achat est en baisse, la pauvreté augmente et le système de santé se dégrade.Le taux de chômage explose.

Le pays fait également face à une montée de l’insécurité,avec le taux d’homicide le plus élevé du continent latino-américain.

Tout cela pose la problématique des limites du modèlekeynésien, via la dépense publique via la rente et renvoie, pour l’Algérie, àla maitrise du management stratégique pour éviter les surcoûts, la mauvaisegestion et surtout le pilotage à vue, ignorant les nouvelles mutations mondialesou l’initiation de projets non muris qui risquent de faire faillite à terme.

Comme cette dérive  dumontage de voitures où l’on recense plus de trente constructeurs qui n’existentnulle part dans le monde, allant vers  lasortie de devises et des faillites prévisibles ,  après avoir perçu des avantages financiers et fiscaux considérables.

Et, aussi,  commecette utopie de dizaines de complexes de ciment où nous assistons actuellement  à la sous- utilisation de capacités avec lerisque du refroidissement si le stockage est de longue durée, accroissant lescoûts , alors inutilisables pour la construction,  , étant presque impossible d’exporter versl’Afrique où, contrairement à certains discours ne reposant sur aucune étude demarché séreuses,  les parts de marchésont déjà pris avec de nombreux complexes en voie de réalisation.

Pour ce dernier cas, de nouvelles méthodes de constructionau niveau mondial sont en cours économisant le rond à béton, le ciment etl’énergie et selon les experts consultés la seule solution, comme en Allemagne,est d’utiliser le béton pour construire les routes revenant souvent moins cherque le bitume importé (voir nos contributions www.google.com sur l’incohérencede la politique économique notamment industrielle 2013/2018).

Car entre 1970 /2018, , non avons pu constater une mauvaiseprogrammation, la surestimation des dépenses, de longs retards dans l’exécution des projets, de très importantsdépassements de budget au niveau de différents projets, l’existence d’undécalage entre la planification budgétaire et les priorités sectorielles.

Mais également, l’absence d’interventions efficaces dues àun morcellement du budget, résultant de la séparation entre le budgetd’investissement et le budget de fonctionnement, des passifs éventuelspotentiellement importants, de longs retards et des surcoûts pendantl’exécution des projets.

Ceci témoigne de la faiblesse de la capacité d’exécution desorganismes d’exécution et que ni les ministères d’exécution, ni le ministère desFinances n’ont suffisamment de capacités techniques pour superviser la qualitéde ces études, se bornant au contrôle financier, le suivi technique (ouphysique) exercé par les entités d’exécution étant inconnu ou au mieuxinsuffisant.

De nombreuses faiblesses trouvent leur origine dansl’urgence qui accompagne la préparation des projets, notamment, la myriade dedemandes spécifiques auxquelles les projets sont supposés répondre avec deschevauchements des responsabilités entre les diverses autorités et partiesprenantes (des dizaines de commissions ministérielles et commissions de wilaya)ce que les économistes appellent les couts de transactions et ce faute d’uneorganisation institutionnelle non optimale.  Dès lors, nous aurons 4 impacts de l’inefficacité de la dépense publique:

-a- Sur la valeur des importations car le gonflement est dû essentiellementà la dépense publique.

 -b- Sur le processusinflationniste qui est à l’origine pour partie de l’inflation et, trèsaccessoirement, les salaires qui représentent moins de 25% rapportés au produitintérieur brut.

 c- Sur la balance despaiements du fait que le doublement de la valeur des services entre 2002/2017,10/11 milliards de dollars/an concerne essentiellement les hydrocarbures et leposte infrastructures (assistance étrangère) renvoyant à la dévalorisation dusavoir.

 d- sur le taux de croissanceglobal et sectoriel. Là aussi il faut replacer les chiffres dans leursvéritables contextes car les hydrocarbures irriguent l’ensemble de l’économie) commele montre depuis plusieurs décennies les exportations hors hydrocarbures trèsmarginales (environ 3% du total). La question centrale, alors, qui se pose etqui devrait interpeller les plus hautes autorités algériennes au plus hautniveau est l’urgence d’une quantification précise des capacités d’absorption deces dépenses car tout divorce entre les objectifs et les moyens nationauxlimités, la solution de facilité étant le recours forcément  auxentreprises étrangères avec des réalisations clefs en main limitant forcémentl’accumulation du savoir-faire technologique et organisationnel interne sanscompter les réévaluations permanentes.

 Doit-on continuerdans cette trajectoire où les dépenses ne sont pas propositionnelles auximpacts où les réserves de change sont dues à des facteurs exogènes ?

2.2.-Maitrise le financement non-conventionnel afin d’éviterle risque inflationniste à la vénézuélienne

La banque d’Algérie selon son document sur la situationmensuelle, publié dans le Journal officiel, a créé 2.185 milliards de dinars demonnaie au 30 novembre 2017, soit environ 19 milliards de dollars.  Rappelons que selon le ministre des Finances,dans une déclaration reprise par l’APS le 22 octobre 2017,  les besoins duTrésor Public en matière de financement sont estimés  à 570 milliards de dinars en 2017, à 1815milliards en 2018 et à 580 milliards en 2019, mais en précisant que les lois definances qui président à ce genre de calcul, se basent sur un cours moyenannuel de 50 dollars le baril.

D’une manière générale, la dépense publique a ses propreslimites et le problème fondamental stratégique qui se pose à l’Algérie résideen l’urgence d’une bonne gouvernance renouvelée se fondant sur un Etat de droitet la démocratisation des décisions, l’épanouissement de l’entrepriseconcurrentielle nationale ou internationale et son fondement la valorisation dusavoir, richesse bien plus importante que toutes les ressourcesd’hydrocarbures.

Comment ne pas rappeler que lors de la conférence nationalesur le développement économique et sociale, le 4 Novembre 2O14 en présence dupremier ministre de l’époque et des membres du gouvernement, reproduiteoctobre/novembre 2014 dans la presse nationale et internationale (www.google.com)?

J'avais proposé d’approfondir les réformes structurelles etmettre en place un large front social face à la chute du cours des hydrocarburessous le titre ‘’Le Pr Mebtoul préconise la création d'un comité indépendant desauvegarde contre les effets de la crise’’.

 Avons-nous été écoutésdepuis ? Je ne puis oublier ce jour où la majorité des ministres- pas tous-  et des experts,  affirmaient que le cours allait  remonter, rejetant  cette proposition, traitant le Pr Mebtoul «d’oiseaude mauvaise augure».

Même les experts du Conseil économique et social ont induiten erreur les autorités du pays par des rapports de complaisance entre2013/2016.  La dépense monétaireencourageant les infrastructures qui ne sont qu’un moyen, a un impact limitépour un développement durable. Aussi, attention pour l’Algérie à uneapplication irréfléchie du financement non conventionnel en donnant lapréférence à la planche à billets qui entraînerait l’Algérie un processusinflationniste incontrôlé à l’image de l’expérience vénézuélienne au bord de lafaillite et ce bien que ce pays possède la plus grande réserve mondiale depétrole.

 Il y a urgence deposer les véritables problèmes à savoir l’approfondissement de la réformeglobale, pour un véritable développement hors hydrocarbures du passage d’uneéconomie de rente à une économie hors hydrocarbures.

Et seules  desréformes internes permettront de modifier le régime de croissance pouratteindre une croissance durable hors hydrocarbures condition de la créationd’emplois à valeur ajoutée, mettant fin progressivement à cette croissancevolatile et soumise aux chocs externes, les dépense monétaires sans sepréoccuper des impacts et l’importance des réserves de change, n’étant  pas synonyme de développement car fonction,du cours des hydrocarbures.

En résumé, l’Algérie doit méditer l’expérience vénézuélienne,surtout avec le recours au financement non conventionnel qui, non maitrisé,conduira inéluctablement à l’inflation.

Mais, sous réserve de profondes réformes structurelles etd’une vision loin du populisme stérile qui a conduit le Venezuela  à cette situation, les réformes qui déplaceront forcément des segments depouvoir assis sur la rente, l’Algérie  atoutes les potentialités pour devenir un pays émergent. Car, paradoxalement,l’avancée ou l’accélération des réformes en Algérie est inversementproportionnelle au cours du pétrole, étant freinées lorsque les courss’élèvent.

Pour l’Algérie se pose cette questions stratégique : pétrolebénédiction ou malédiction ? Il faut avoir une vision stratégique avec unequantification précise dans le temps du mode de financement et surtout   une nette volonté politique de réformer,loin des utopies des années 1970.

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