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L’Algérie menacée de partition. Pour un pays uni dans la diversité

17-06-2016 14:52  Agence

«On croirait aujourd’hui, en Algérie et dans le monde, que les Algériens parlent l’arabe. Moi-même, je le croyais, jusqu’au jour où je me suis perdu en Kabylie. Pour retrouver mon chemin, je me suis adressé à un paysan sur la route. Je lui ai parlé en arabe. Il m’a répondu en tamazight. Impossible de se comprendre. Ce dialogue de sourds m’a donné à réfléchir. Je me suis demandé si le paysan kabyle aurait dû parler arabe, ou si, au contraire, j’aurais dû parler tamazight, la première langue du pays depuis les temps préhistoriques…»,

Kateb Yacine, Les Ancêtres redoublent de férocité, 1967.

Encore une fois, l’actualité récente s’invite dans un débat récurrent, celui de l’identité des Algériens qui, imprudemment laissent les autres régler à leur place, à leur façon et pour leur plus strict intérêt. Décidément, du fait que nous n’avons pas pu, pas su ou pas voulu aborder d’une façon honnête remettant à plus tard cette nécessaire mise au point ou encore et c’est le plus navrant, se satisfaire d’un statu quo imposé à l’indépendance.

L’imposition d’un statu quo ante

C’est en tout cas l’avis de la sociologue Leila Benhadjoudja qui écrit à ce propos:

«La grande famille des Berbères est large et se divise en plusieurs sous-groupes dont les plus connus sont les Chaouïas, Cheluhs, les Kabyles, les Rifains, les Touareg, les Mzabs, les Zenagas, etc (…) Cependant, malgré la distinction ethnique entre Arabe et Berbère, certains penseurs restent sceptiques face à cette distinction tant les peuples de ces régions sont liés par leur histoire et tant le métissage a été important. Salem Chaker préfère parler de berbérophones (dont la langue est le tamazight) et d’arabophones car selon lui, tous les habitants de l’Afrique du Nord sont des Berbères (Chaker, 1992, 1998). Dans le cas de l’Algérie, Chaker estime ce pourcentage à 25% de berbérophones (Chaker, 2004)».(1)

«(…) Déjà à l’époque coloniale, le mouvement de libération nationale a écarté les berbéristes les jugeant nuisibles pour la lutte unie. (…) La volonté de l’État de construire une «algérianité» arabo-musulmane se justifiait en réaction à l’héritage colonial français. Cependant, le déni de la diversité linguistique et culturelle de l’Algérie représente également une continuité de la dynamique coloniale. (…) Les Français employaient le terme «musulmans» pour désigner les Algériens colonisés. Ce terme au-delà de la connotation religieuse, avait d’abord un sens politique. (….) Cependant, bien que le régime de l’indigénat concernait tous les musulmans, l’État colonial français a tout de même favorisé un groupe et a contribué à la construction des oppositions entre les identités «arabe» et «kabyle» ». (1)

« L’historienne américaine Lorcin Patricia, poursuit la sociologue, démontre dans son ouvrage «Kabyles, Arabes, Français: identités coloniales», comment le gouvernement français a construit «le mythe kabyle» (…) Après cent trente-deux ans de colonisation, l’Algérie devient indépendante en 1962 et adopte une stratégie politique basée sur un concept clé: l’unicité. Une langue: l’arabe; une religion l’islam; un parti: le Front de libération nationale (FLN). Cette unicité se voulait un pilier pour la construction d’un État fort dirigé par un parti unique censé représenter tous les Algériens. L’historien Mohammed Harbi considère que le FLN avait (…) Le politologue algérien Sami Naïr explique que l’État rendait l’espace de création de la société civile inexistant (Naïr, 1992). Les contestations, qu’elles aient été politiques ou identitaires, comme le cas du mouvement berbère, étaient systématiquement marginalisées et réprimandées.» (1)

Souvenons nous à l’indépendance le président Ben Bella était pris d’une véritable crise ne martelant d’une façon compulsive : « Nous sommes arabes ! Nous sommes arabes ! Nous sommes arabes !! »

Justement, la sociologue Leila Benhadjoudja décrit cette époque. Elle écrit :

«En 1963, sous l’autorité du premier président algérien Ahmed Ben Bella, un processus important a été lancé par le gouvernement se traduisant dans un mouvement nationaliste arabisant et islamisant. (…) l’Algérie, mais s’inscrivait dans le mouvement nationaliste panarabe de l’époque. (…) L’apogée des revendications berbéristes s’est traduite durant le printemps berbère en 1980 où toute la Kabylie s’est retrouvée paralysée par une grève générale. (…) Depuis l’indépendance, l’État algérien a fabriqué une identité officielle et a utilisé l’arabité et l’islam comme des instruments de contrôle. Par ses politiques linguistiques, l’État a limité les espaces de liberté, et par le fait même l’identité berbère. De plus, l’arabité préconisée était aussi une arabité importée qui brimait l’identité de tous les Algériens. Rappelons que d’un point de vue linguistique, bien que la majorité des Algériens parle l’arabe, c’est un arabe dialectal propre au pays et qui s’apparente de moins en moins à l’arabe classique. (…) »

La sociologue conclut ne parlant d’aliénation des modes d’expression autres que celui de la langue arabe :

« C’est dire que l’État, par sa politique d’arabisation, a non seulement étouffé la langue berbère, mais aussi la langue parlée par la grande majorité de la population. (…) L’État socialiste, en interdisant toute association et toute manifestation à l’extérieur du parti unique, a privé le peuple de son droit à s’auto-représenter et de construire une société civile. Ceci est aussi vrai pour les berbérophones que pour les arabophones. L’État algérien se conçoit encore comme un État-nation homogène ne laissant place qu’à une seule conception ethnique et politique de l’algérianité, ne reconnaissant ainsi l’existence d’aucune minorité et d’aucun peuple. En voulant se rapprocher des peuples du Machrek, l’État a nié l’existence des peuples de son territoire.» (1)

Les conséquences logiques de ce déni d’identité

On comprend dans ces conditions que ces braises qui couvent peuvent mettre le feu à tout moment et faire d’une revendication d’expression, somme toute légitime un incendie qui risque d’emporter le pays dans un contexte de plus en plus crisique. J’avais dans une contribution précédente mis en garde contre le fait de défendre une cause de reconnaissance tout à fait légitime d’une identité première que l’Etat est en train de reconnaître à dose homéopathique comme cela l’a été dernièrement avec la reconnaissance du tamazigh comme langue nationale, mais la dérive vers la partition d’une région berbérophone, en l’occurrence l’Algérie, est tout à fait autre chose.

J’avais écrit: «Mon attention a été attirée par la déclaration faite à l’Assemblée nationale française à l’occasion de Yennayer, le 12 janvier 2012. Déclaration dans laquelle le président du MAK aurait dit que la guerre d’indépendance a été un malentendu.» (2)

A l’Assemblée nationale française Ferhat Mehenni déclarait :

«La Kabylie n’ayant pas récupéré sa souveraineté à l’indépendance de l’Algérie, en 1962, par formalismes bureaucratique et protocolaire, son dossier a été transféré à l’État algérien qui en use et abuse pour éviter de refermer les plaies du passé qui compromettent la construction d’un avenir de solidarité entre nos deux peuples. (…) L’émergence d’une Kabylie de laïcité et de liberté ne peut que renforcer la communauté internationale éprise de paix et de stabilité. Pour cela, il serait bon que cette même communauté internationale, à commencer par la France, reconnaisse à la Kabylie le droit à son autodétermination. Le Gouvernement provisoire kabyle a besoin du soutien de tous pour la réalisation de ce noble objectif. (…) Vous voyez à travers cet exposé que ce qui oppose aujourd’hui le pouvoir algérien à la Kabylie est bien plus lourd que le malentendu qui a pu exister de 1857 à 1962 entre la Kabylie et la France.» (3)

J’avais cité la journaliste Nadjia Bouaricha d’El Watan qui réagissant à ce discours écrivait:

«Il est des moments dans la vie d’un homme qui marquent son heure de gloire ou de déclin. Ferhat Mhenni a eu droit à ce deuxième sort réservé à ceux de qui l’Histoire se détourne et continue son chemin. L’initiateur et promoteur du projet d’«autonomie-indépendance» de la Kabylie, Ferhat Mhenni, a franchi, dans sa quête de crédibilisation de ce projet, le seuil de l’indélicatesse et de l’affront. Le chef du MAK a tenu des propos insultants vis-à-vis de la Kabylie et de la guerre de Libération nationale et ce, dans l’enceinte même de l’Assemblée nationale française, à l’invitation de son ami député et ex-ministre UMP, Éric Raoult. (…) Enlever la Kabylie du sein de l’Algérie pour l’arrimer à la France n’est sûrement pas rendre justice à ce bastion de la résistance qui ne cessera jamais de revendiquer son algérianité, malgré les tentatives de division instrumentalisées par le pouvoir ou par des nostalgiques de «l’Algérie française», d’ici ou d’ailleurs.» (4)

En fait et comme je l’ai écrit nulle part, il ne fut question pour les maquisards, notamment ceux de la Kabylie, des Aurès, de partition ni de malentendu avec la France. La colonisation fut atroce et sans faire dans la concurrence victimaire on dit que l’occupation française par le fer et par le feu pendant 132 ans fut un véritable génocide au ralenti. L’Algérie aurait perdu 6 millions de personnes hommes femmes enfants et surtout, surtout le séisme d’un certain 5 juillet 1830 continue et pour cause à avoir des répliques dans nos imaginaires de nos jours (…)» (2)

En passant de la lutte pour l’autonomie de la Kabylie dans le cadre d’une Algérie indivisible, le MAK fait un pas vers l’aventure. Rappelons qu’en mai 2012, une délégation de ce même MAK avait été reçue en visite officielle en Israël, ce qui avait suscité une vive indignation des milieux politiques et médiatiques algériens et dévoilé les liens de l’organisation avec l’entité sioniste.

Lettre ouverte à Ferhat Mehenni

Dans cet ordre justement de fils rouges dépassés, la lettre de l’universitaire Salah Guemriche à Ferhat Mehenni mérite d’être citée même en substance:

« Cher , Ferhat, la Kabylie, j’y possède un empan («chber»), même symbolique, comme tu en as un du côté de chez moi, dans l’Est algérien (…) Tu as donc franchi le pas, un pas d’«aventurier de l’arche perdue», en créant le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), (…) j’ai toujours fait mienne la cause berbère, non point comme militant, mais comme citoyen algérien non berbérophone, pour qui la reconnaissance de l’antériorité de l’entité berbère est une nécessité ontologique et l’officialisation de la langue tamazight un facteur d’épanouissement de l’être algérien et non pas un facteur de division. (…) Voilà pourquoi, sans mettre une croix, si j’ose dire, sur la langue arabe, je pense qu’il y va de l’avenir de toute l’Algérie que le pouvoir se réhabilite en réhabilitant et en assumant l’identité berbéro-arabe du peuple algérien. Mais de là à vouloir amputer le pays d’une partie de son «corps», voilà qui donne à tes revendications, cher Ferhat, le caractère d’un égarement, voire d’un délire paranoïde. Après l’autonomie, tu réclames carrément l’indépendance.(…) Autant dire, cher Ferhat, qu’en t’accoquinant avec ce qu’Israël a de plus extrémiste, tu fuis une allégeance pour passer à une autre: d’un pouvoir discrétionnaire, celui du régime algérien que tu combats, à un pouvoir discriminant et colonial.(…) ta conversion à l’israélisme et ton flirt avec le Likoud font désormais de toi l’objet même de ton propre répertoire.» (5)

L’aide «extérieure désintéressée » pour aider à la partition de l’Algérie

Ce qui a relancé le feu si on peut s’exprimer ainsi, concerne la conjonction de deux évènements qui ne sont pas loin s’en faut, anodins. Parmi les appuis gratuits citons d’abord celui d’un historien autoproclamé révisionniste quant à la remise en cause des indépendances des pays africains, partisan des races supérieures et de la positivité de l’oeuvre coloniale en Afrique, je veux citer Bernard Lugan qui est allé jusqu’à signer une contribution avec le président du MAK mettant en cause l’intangibilité des frontières héritées à l’indépendance ce qui permet, on l’aura compris d’ouvrir la boîte de Pandore de l’atomisation des pays africains.

Dans le même ordre, nous avons appris avec stupéfaction l’ingérence en tout cas verbale d’un ambassadeur dans les affaires internes du pays, ambassadeur qui déclare lors d’un déplacement à Tizi Ouzou que la France privilégiait les natifs de cette région dans l’octroi de visas!! C’est comme si l’ambassadeur de l’Algérie déclarait dans ce pays qu’il encourageait les natifs d’une région connue pour son combat identitaire à se séparer de la métropole! Ce qui explique d’ailleurs la mise au point du ministre algérien des Affaires étrangères.

Le point d’orgue: BHL appelle à la partition de l’Algérie en soutenant l’indépendance de la Kabylie

Enfin, le meilleur pour la fin, l’intellectuel faussaire pour reprendre le bon mot de Pascal Boniface, directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques en France pour qui les intellectuels faussaires comme Bernard Henry Levy, les plus en vogue dans les médias sont aussi les plus corrompus et les plus démagos. Passe encore s’il n’était pas dangereux. BHL Le tintin des démocrates celui par qui le lynchage de Kadhafi est arrivé, celui par qui un pays a disparu en tant qu’Etat continue toujours à sévir

« Bernard-Henri Lévy (BHL) est présenté par les universitaires français comme un imposteur intellectuel. Sa réussite ne serait due qu’à un réseau de connaissances bien organisé. Dans un article intitulé «BHL n’est pas seulement ridicule, il est aussi dangereux, la carrière de BHL est faite d’affabulations et de ratés monumentaux, qu’il veuille créer un journal, faire un film, écrire une pièce de théâtre ou un livre. Il y a un écart grandissant entre l’écho médiatique qui lui est donné et la désaffection du public, qui n’est pas dupe. Il y a mieux! On apprend que le lynchage de Kadhafi fait partie de la croisade de BHL au nom des intérêts supérieurs des Juifs.» (6)

BHL et ses amis n’ont toujours pas abandonné leur projet macabre consistant à recoloniser tout le Maghreb par le sang, la malice et la corruption.

«Après avoir appelé de ses voeux à l’avènement d’un printemps arabe en Algérie, Bernard-Henri Lévy a lancé dans sa revue, La règle du jeu, un appel à soutenir la manifestation organisée à Paris par le MAK (Mouvement d’autonomie de la Kabylie). Sous le titre «Kabyles: un peuple sans reconnaissance en Algérie» à Paris en commémoration du 36e anniversaire du printemps berbère. Des amis kabyles nous ont demandé de relayer l’appel du gouvernement provisoire kabyle à manifester à Paris ce dimanche 17 avril 2016 . Nous le faisons d’autant plus volontiers que les thèmes de la manifestation, tels qu’ils sont précisés dans le bref texte qu’ils nous ont adressé, nous paraissent légitimes, a-t-il précisé. En outre, il affirme qu’il compte «revenir sur le combat que mènent les Kabyles, ce peuple sans Etat comme le sont les Kurdes, contre ce qu’ils nomment le colonialisme algérien». Une initiative qui a suscité un tollé sur Twitter où ses détracteurs ont été nombreux à lui rappeler les désastreuses conséquences de son interventionnisme en Libye.» (7)

Conclusion

Que voulons-nous en définitive pour ce pays? Entre ceux qui veulent la partition du pays croyant sauver la Kabylie et ceux qui pensent que le salut de l’Algérie est à rechercher auprès d’une sphère moyen-orientale arabe avec qui à l’évidence, nous n’avons aucun atome crochu, le moment est venu de faire preuve d’audace pour être en phase avec le monde, sans rien perdre de nos identités multiples.

Dans ce cadre, pourquoi devons-nous à tout prix copier le modèle jacobin centraliste qui étouffe les particularités? Aux Etats-Unis les 50 Etats sont autonomes et l’Etat fédéral est là pour laisser chacun des gouverneurs des Etats gérer de façon optimale avec les citoyens au mieux les affaires de l’Etat en question Ne peut-on pas penser à une organisation type Landers allemands où chaque région dispose d’une autonomie dans le cadre d’un État fédéral qui est garant des fondamentaux, Nous pourrons citer dans le cas de l’Algérie, le drapeau la monnaie l’identité, les langues, les fonctions de défense. Nous devons penser Algériens et non pas en fonction de nos régions nos particularités »ethniques » ou religieuses.

Nous devons rapidement régler cette cause du vivre ensemble pour que chaque algérien se sente bien , qu’il soit fier des multiples facettes du pays et comme le proclamait un homme politique parlant de l’unité, il cite quatre villes points cardinaux : « l’Algérie Min Ta Latta » ( l’Algérie de Ta à Ta) « l’Algérie de Tlemcen à Tebassa, de Tizi Ouzou à Tamanrasset ». Une nation apaisée qui s’accepte dans ses multiples dimensions pourra mettre ses citoyens en ordre de marche pour conjurer les périls à venir.

Les défis du pays sont multiples, mais ils ne peuvent être abordés qu’en réglant ces préalables. Parmi ces défis, l’éducation bien comprise avec une histoire généreuse sur trois mille ans, contribuera à l’apaisement et barrera la route à l’aventure. Penser à un système éducatif en phase avec la marche du monde? Voilà les vraies questions qui intéressent les Algériens et qui pourraient donner aux Algériens l’envie de participer à la construction du pays en étant, acteurs ce faisant de leurs destins dans cette Algérie qui nous tient tant à coeur.

Professeur Chems Eddine Chitour (in Mondialisation.ca)

Ecole Polytechnique enp-edu.dz



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